Je ne sais pas ce qui me pousse encore à zapper machinalement sur les chaînes d’info en continu. Une sorte de réflexe pavlovien, ou peut-être une espèce de masochisme socialement admis. Mais chaque fois, je ressors de l’expérience avec cette impression persistante : on me prend pour un abruti. Un vrai. Un terrien primaire, prêt à avaler tout et n’importe quoi, tant que c’est servi avec un bandeau rouge et une musique d’alerte dramatique.

Le niveau des débats ? Atroce. La mauvaise foi des chroniqueurs ? Olympique. Les soi-disant « experts » ? Des figurants interchangeables aux CV gonflés d’apparitions TV, venus non pour éclairer, mais pour cliver, provoquer, détourner. Un casting digne de téléréalité politique, où l’émotion surjouée remplace la réflexion, où l’outrance l’emporte systématiquement sur l’analyse.

Mais ne soyons pas naïfs. Ce n’est pas un accident. C’est le modèle économique. Ce que ces chaînes vendent, ce n’est pas de l’info. C’est du temps de cerveau disponible. Et pour l’arracher, elles doivent fabriquer de l’événement en permanence, même quand il ne se passe rien. On débat donc jusqu’à l’épuisement sur des détails insignifiants, on organise des « polémiques » en carton, on surexpose des sujets anxiogènes, le tout saupoudré d’un relativisme moral bien pratique : « les torts sont toujours partagés », surtout quand il ne faut pas froisser le pouvoir ou les actionnaires.

Résultat ? Une forme insidieuse de désinformation par saturation. Plus personne ne sait ce qui est grave ou pas, ce qui est vrai ou manipulé. Tout devient bruit, confusion, agitation permanente. On sort du journal plus perdu qu’on y est entré. Et pendant ce temps, les vrais enjeux — économiques, sociaux, écologiques, géopolitiques — sont traités en 45 secondes entre deux joutes sur le voile, l’insécurité ou la dernière phrase d’un élu en mal de buzz.

Alors oui, je me sens parfois stupide de continuer à regarder. Mais peut-être que ce n’est pas moi le problème. Peut-être qu’on m’a dressé à croire que rester informé, c’était forcément subir ce cirque en boucle. Peut-être que la vraie intelligence aujourd’hui, c’est de décrocher. De débrancher cette perfusion d’angoisse. D’aller chercher l’info ailleurs, autrement. Dans les journaux indépendants, les enquêtes longues, les analyses de fond. Ou même — folie suprême — dans le silence et la lecture.

Car à force de nous prendre pour des imbéciles, ces chaînes risquent un jour de découvrir que le public les regarde… de moins en moins. Qu’il en a marre d’être insulté avec le sourire. Et qu’il n’est pas prêt à vendre son esprit critique contre une dose de spectacle mal monté.