Le tableau que dresse le Haut-Commissariat au Plan (HCP) pour le premier trimestre 2025 est sans appel : la situation financière des ménages marocains est critique.

Selon l’enquête de conjoncture, 42,0 % des foyers déclarent être contraints de s’endetter ou de puiser dans leur épargne pour couvrir leurs dépenses courantes. À l’inverse, seuls 2,2 % parviennent encore à épargner une partie de leur revenu, tandis que 55,8 % affirment que leurs revenus couvrent "tout juste" leurs charges.

Le solde d’opinion relatif à la situation financière actuelle s’enfonce à –39,8 points, une légère dégradation par rapport au trimestre précédent (–38,9 points) et quasi-identique au même trimestre de 2024 (–40,6 points). Ces chiffres soulignent l’épuisement progressif de la marge de manœuvre financière des foyers marocains.

Lorsqu’on leur demande comment a évolué leur situation financière au cours des 12 derniers mois, 53,3 % des ménages affirment qu’elle s’est dégradée, contre seulement 4,0 % qui déclarent une amélioration. Le solde d’opinion sur cette évolution passée est donc de –49,3 points, en recul par rapport au trimestre précédent (–47,7 points) et à T1 2024 (–52,7 points).

Autrement dit, les Marocains ont le sentiment que leur pouvoir d’achat a reculé de manière constante, sans perspective réelle d’amélioration. Et cela influence profondément leur rapport à la consommation, à l’épargne et aux risques financiers.

La projection à court terme est tout aussi sombre. Lorsqu’ils anticipent leur capacité à épargner dans les 12 mois à venir, 88,8 % des ménages pensent qu’ils n’y parviendront pas, contre 11,2 % qui y croient encore. Le solde d’opinion est de –77,6 points, stable comparé au T4 2024 (–77,8 points), mais encore trop bas pour envisager un quelconque rebond.

Cette faiblesse chronique de l’épargne des ménages affaiblit le tissu économique, notamment en limitant les investissements familiaux (logement, études, projets personnels) et en accentuant la dépendance au crédit.

Le ressenti de dégradation financière n’est plus l’apanage des catégories les plus modestes. Même les foyers considérés naguère comme "classes moyennes" déclarent vivre à découvert ou avec des ressources tendues. Cela crée une pression psychologique croissante, où les arbitrages deviennent plus douloureux : sacrifier les loisirs, réduire les dépenses de santé, limiter les transports, différer les projets familiaux.

Dans ce climat, la résilience familiale atteint ses limites, et les mécanismes traditionnels de solidarité (entre proches, dans les quartiers, via le crédit informel) s’essoufflent.


Les indicateurs du HCP sur la situation financière des ménages mettent en lumière une tension structurelle dans l’économie domestique marocaine. Sans mécanismes de soutien à l’épargne, ni amortisseurs de pouvoir d’achat, la population se dirige lentement vers une trappe à pauvreté : on ne consomme plus, on s’endette et on sacrifie le futur pour survivre au présent.

Pour sortir de cette impasse, des réformes fiscales, des transferts sociaux mieux ciblés, et une politique active de soutien au revenu des ménages s’imposent. Faute de quoi, le sentiment de déclassement deviendra durablement enraciné.