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​Ici et maintenant gît l’USFP ou du moins, ce qu’il en reste aux yeux de ses propres militants


Rédigé par le Lundi 20 Octobre 2025

À Bouznika, le 12ᵉ congrès national a rendu son verdict en un geste cérémoniel : reconduction du même visage, prolongation des mandats, et une mise sous cloche de la question du renouvellement. Driss Lachgar a été réélu Premier secrétaire pour un quatrième mandat consécutif un fait acté et commenté par la presse dans la journée.



Il y a quelque chose de funèbre dans la répétition. Le deuil n’est pas seulement celui d’un parti qui perd son souffle, c’est le deuil d’une idée : le parti comme creuset d’affrontements d’idées, d’alternatives internes, de transmission des responsabilités. La décision de prolonger la figure dirigeante, et d’ajuster les textes pour que la prolongation devienne possible, ressemble moins à un acte d’organisation qu’à une radiographie du vieillissement politique.

Les symptômes sont clairs : applaudissements, motion d’adhésion, et un congrès qui, pour une large part, pare à l’urgence d’une unité factice plutôt qu’à la tâche fragile mais vivante du renouvellement. 

Ce que je pleure ici n’est pas un nom. Je pleure une pratique politique. L’USFP fut, un temps lointain mais pas si lointain, une machine à fabriquer des débats, à former des cadres, à donner une parole structurée à des combats sociaux. Aujourd’hui, les tribunes se sont vidées de voix dissonantes et les espaces de controverse ont été transformés en fond sonore pour un monologue de parti. On applaudit. On vote par acclamation. On scelle la confiance comme on scelle un sarcophage.

La rupture n’a pas été violente ; elle est plutôt subreptice, routinière. Le procédé est connu : on extirpe le conflit public de la chambre, on réduit les marges de manœuvre des instances intermédiaires, on magnifie la figure salvatrice. Les jeunes qui demandaient de l’air, la relève qui souhaitait serrer les rangs autrement, la société qui attendait du parti qu’il sorte de l’ornière tout cela a été recouvert par une liturgie de continuité. Et le signe le plus cruel : le rite du renouvellement est devenu l’outil du maintien. 

Le deuil politique exige qu’on nomme les morts par leur nom. Ici, les morts sont : la culture du pluralisme interne, les structures vivantes du parti (les sections, les syndicats, les associations satellites), l’articulation entre mémoire militante et futur contourné. On nous dit que le parti est sauvé par la « stabilité » ; mais la stabilité qui tue la capacité d’autocritique n’est pas une victoire, c’est un enterrement anticipé. Le vocabulaire du salut  « dynamisme », « ouverture », « continuité »  devient l’enveloppe rhétorique d’un immobilisme qui se recycle. 

Il y a aussi une trahison symbolique : l’USFP, qui a porté jadis des récits de modernisation, de justice sociale et d’émancipation, se présente désormais comme un appareil de sauvegarde des positions. Le parti des grandes espérances se transforme en conservatoire d’intérêts.

Les « militants », quand ils ne sont pas invités à scander, sont conviés à une obéissance rituelle ; les critiques se voient administrer le remède patriarcal du « s’ils étaient bons, ils seraient restés ». Ce sophisme est l’autopsie d’un parti qui ne sait plus rendre compte de ses résultats autrement que par des cérémonies de loyauté. 

Pourtant, le deuil n’est pas la résignation. Pleurer, ici, c’est ouvrir un espace, modeste, mais nécessaire, pour la parole critique. Si l’USFP meurt comme machine à renvoyer l’espoir vers des horizons collectifs, il ne faut pas enterrer en même temps l’idée d’une gauche organisée au Maroc.

Ce que nous devons exhumer, c’est une pratique politique vivante : la capacité à débattre en public, à renouveler les cadres, à inventer des frontières souples entre génération, expertise et bases populaires. Le parti doit redevenir un laboratoire où l’on prend le risque de se tromper pour mieux se corriger. Cela suppose d’accepter l’instabilité comme moteur de renouvellement, et non comme menace existentielle. 

Il existe, paradoxalement, une vieille sagesse qui reste applicable : un organe qui ne se renouvelle pas finit par devenir un cadavre encombrant. La politique, contrairement à l’architecture, ne s’enterre pas pour durer. Elle est organique et elle respire par ses contradictions. Or, aujourd’hui, la respiration s’est faite mécanique : inspirer le consentement, expirer la décision. À l’extérieur, la société change ; à l’intérieur, on reconduit. 

La question n’est plus seulement interne au parti. Elle concerne le paysage politique marocain.
Quelles voix resteront pour porter la critique sociale indépendante si ceux qui l’ont portée se replient sur des formes de gestion patrimoniale de la chose publique ?
Qui gardera la mémoire des luttes si les porteurs de mémoire sont marginalisés au profit d’un leadership sans renouvellement ?

Le risque est qu’en faillissant sur ces fronts, l’USFP donne le spectacle d’un conservatisme étiqueté « gauche », ouvrant la porte à d’autres recompositions politiques où le verbe « solidarité » ne signifiera plus rien. 

Le deuil pourrait aussi être une chance. Une fois le voile levé, certains militants sauront regarder la scène avec lucidité : reconstruire nécessite d’accepter l’humiliation provisoire — reconnaître les erreurs, rouvrir les débats, rendre les instances intermédiaires actives. Cela demande de l’audace : accepter que le pouvoir ne se conserve pas, mais se conquiert et se reconquiert par la légitimité du débat et l’efficacité des propositions.

Je n’écris pas pour condamner avec véhémence ; j’écris pour inviter à la conscience. L’USFP n’est pas une momie. Il y a des cœurs qui battent encore dans ses sections, des femmes et des hommes qui continuent de croire en une gauche capable de traduire la justice sociale en politiques publiques. Le deuil est d’abord une étape pour permettre à ces voix de se regrouper, de se réorganiser, et finalement de proposer une alternative crédible à l’immobilisme.

Mais pour cela, il faudra plus que des motions d’adhésion : il faudra des actes : changements statutaires réels, renouvellement des équipes dirigeantes, autonomie des instances locales, pédagogie politique pour reconnecter le parti aux urgences du pays.

Ici et maintenant, donc, on enterre une pratique. Mais le tombeau n’est pas scellé définitivement : la politique est une scène ouverte. Ceux qui aiment véritablement l’USFP n’ont pas intérêt à l’idéaliser en statue; ils ont intérêt à le remettre en mouvement. La survie réelle d’un parti de gauche passe par la difficulté congénitale du pluralisme, par le courage du débat, et par l’humilité de former demain plutôt que de sauvegarder hier.

Que ce deuil soit donc salutaire : qu’il serve de piqûre de rappel. Les funérailles de l’USFP tel qu’on le voit à Bouznika devraient réveiller les militants, les sympathisants et les citoyens. Car au bout du compte, la question n’est pas seulement de savoir qui tient le fauteuil ; la question est de savoir si, quelque part, une voix de gauche continue de parler pour les laissés-pour-compte, pour la justice sociale et pour l’émancipation collective. Si oui, cette voix renaîtra peut-être dans la douleur, mais avec plus d’honnêteté.





Lundi 20 Octobre 2025

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