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Par Saad Faouzi, CTO de Digitum Business. Expert en transformation digitale, innovation technologique et leadership stratégique.
Alors que l’inflation semble se stabiliser autour de 3,2 % en glissement annuel après les pics de 2022-2023, les ménages, eux, ne ressentent aucun répit. Plus de 80 % estiment que ce n’est pas le moment d’acquérir un bien durable (automobile, logement, électroménager).
Ce refus de consommer est révélateur d’un double mécanisme : d’une part, une baisse du pouvoir d’achat réel, plombé par la hausse des prix alimentaires (notamment les produits de base comme le sucre, les légumes ou les huiles, en hausse de 15 à 35 % sur deux ans), et d’autre part, une anticipation négative de l’avenir, qui pousse à l’épargne de précaution – voire au repli.
Ce repli est plus prononcé chez les jeunes urbains et les classes moyennes émergentes, ces mêmes segments que le Maroc ambitionne de faire monter en puissance dans son projet de transformation économique.
Un chômage qui fige l’espoir : la jeunesse, variable d’ajustement d’un modèle en panne
Le numérique, la transition verte, l’industrie 4.0 : autant de secteurs prometteurs, mais encore sous-financés, fragmentés, ou inaccessibles à une grande partie des jeunes sans capital social ou économique. Pire encore, la désillusion gagne les esprits : selon le HCP, plus de 7 jeunes sur 10 estiment qu’ils auront moins d’opportunités que leurs parents. C’est là un véritable défi civilisationnel, car aucune transformation ne peut réussir sans l’adhésion des générations montantes.
Une économie résiliente… mais trop lente dans sa redistribution
Mais ces performances ne se traduisent pas encore en mieux-vivre quotidiennement. Le multiplicateur social de la croissance reste faible, plombé par la lenteur administrative, les inégalités territoriales et l’insuffisante digitalisation des services publics.
Quelles pistes pour restaurer la confiance ?
Cela passe par deux horizons d’action : l’urgence de la fluidité et la nécessité d’un nouveau paradigme. À court terme : un choc de fluidité, de ciblage et de visibilité sociale :
1. Digitaliser l’accès aux aides sociales : l’État-providence à l’ère mobile-first Le Maroc dispose d’un socle solide avec la généralisation de la protection sociale, mais il est encore freiné par une fragmentation institutionnelle et une opacité d’accès aux droits. Il est impératif de mettre en place une plateforme nationale unique, interopérable, mobile-first, intégrant l’AMO, les aides sociales ciblées, les pensions minimales, et les subventions. Ce guichet digital universel, associé à l’identité numérique, permettrait un ciblage précis, une réduction de la fraude, et surtout une dignité d’accès.
Le Brésil a ainsi transformé sa politique sociale à travers le programme "Bolsa Família", piloté numériquement via une carte sociale et un système de gestion intégré. Résultat : plus de 50 millions de bénéficiaires servis avec efficience, tout en renforçant la transparence et l’équité.
2. Alléger la fiscalité locale sur les TPE/PME : libérer l’initiative au lieu de la freiner Dans un contexte de faible liquidité, la pression fiscale sur les petites entreprises devient un frein au démarrage. Il est urgent de repenser la fiscalité locale, en la rendant proportionnée, lisible, et appuyée sur des incitations territoriales à la relocalisation productive.
La réforme fiscale doit intégrer des mécanismes de différenciation régionale, en lien avec les capacités contributives locales. Nous ne pouvons pas taxer une entreprise à Zagora ou Taza de la même façon qu’une entreprise casablancaise. Le Rwanda, par exemple, a introduit un régime fiscal simplifié pour les micro-entreprises, avec un paiement mobile des taxes et des réductions pour les entreprises rurales. Cela a élargi l’assiette fiscale tout en soutenant la dynamique entrepreneuriale.
3. Créer un "wallet social" pour les produits essentiels : une réponse ciblée, directe, traçable
Face à l’érosion du pouvoir d’achat, l’État peut expérimenter des "bons d’achat digitaux", sous forme de crédits électroniques dédiés aux produits de première nécessité (huile, pain, médicaments, énergie). Distribués via un portefeuille numérique sécurisé, ces bons évitent les subventions généralisées inefficaces et bénéficient directement aux plus vulnérables. L’Inde, avec son système Aadhaar + UPI, a permis le transfert direct de subventions à plus de 800 millions d’individus sans intermédiaires, réduisant les détournements et améliorant la satisfaction citoyenne.
À moyen terme : changer de paradigme pour relancer l’ascenseur social
2. Créer une Banque de la Jeunesse : un levier d’égalité des chances entrepreneurial Nombre de jeunes porteurs de projets ne franchissent jamais le seuil du financement, faute de garanties, de réseaux, ou de lisibilité administrative. Il est temps de créer une Banque digitale de la Jeunesse, à gouvernance mixte public-privé, dotée d’un fonds d’investissement à impact et d’un réseau d’incubateurs territoriaux. Cette structure offrirait un accompagnement intégré : financement, formation, mentorat, formalisation administrative et suivi post-lancement. La procédure d’ouverture d’un compte bancaire professionnel au Maroc est un véritable combat de militarisme. Le Mexique, à travers son programme “Jóvenes Construyendo el Futuro", a déjà accompagné plus d’un million de jeunes avec un double objectif : insertion économique et stabilité sociale.
3. Réformer le pilotage de l’action publique : vers un État orienté vers le bien-être Il ne suffit plus de mesurer le PIB. Le pilotage stratégique des politiques économiques doit reposer sur des indicateurs de bien-être multidimensionnels : mobilité sociale, accès aux soins, qualité de vie urbaine, justice spatiale, qualité institutionnelle. L’OCDE encourage aujourd’hui ses membres à intégrer ces indicateurs dans l’élaboration budgétaire. Le Maroc gagnerait à se doter d’un Observatoire national du bien-être, rattaché au Parlement, pour évaluer en continu l’impact social des politiques publiques. Aujourd’hui, nous parlons de 45% des marocains souffrent des maladies mentales et psychologiques. Quelle économie nous construisons avec un mental fragile ?
Faire du citoyen marocain un acteur de la transformation
Une fracture à réparer, une nation à réveiller
Le Maroc de 2025 n’a pas besoin d’un choc électoral ou fiscal. Il a besoin d’un choc de confiance. La crise actuelle peut être l’opportunité d’un aggiornamento national, où la résilience sociale devient la nouvelle frontière de la croissance. Le défi n’est pas uniquement économique. Il est culturel, institutionnel et générationnel. Et il exige, plus que jamais, une alliance entre l’innovation, la justice sociale et le courage politique.












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