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Allah est compatissant, MBS veut le devenir aussi


Rédigé par le Vendredi 7 Mai 2021

« Je veux ma religion à moi ! », fulmine l’enfant gâté d’Arabie, vexé que ses copains ne veulent plus jouer avec lui depuis qu’il a fait découper en rondelles un scribe ‘mal’ inspiré. Mohamed Ben Salman, prince héritier d’Arabie saoudite, regarde autour de lui et voit son monde s’écrouler.



Le prince héritier d'Arabie saoudite lors de son entretien télévisé avec la chaîne 'Alarabya'
Le prince héritier d'Arabie saoudite lors de son entretien télévisé avec la chaîne 'Alarabya'
Succulents moments à déguster les propos du prince héritier d’Arabie saoudite en train de disserter sur le Droit canonique musulman, lors d’un entretien récent accordé à la chaîne ‘Al Arabya’.

Mohamed Ben Salman, MBS pour les intimes, est allé jusqu’à sortir Mohamed Ben Abdelwahab de sa tombe pour lui faire dire l’exact contraire de sa pensée.

C’est que les temps sont durs. Le déficit budgétaire de l’Arabie saoudite a atteint le chiffre record de 17 milliards de dollars, en 2020.

Et depuis que des agents saoudiens se sont amusés à scier le journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat de leur pays à Istanbul, en Turquie, les investisseurs étrangers ne se bousculent pas au portillon pour inscrire à la « Vision 2030 » de MBS de modernisation de l’économie, que la chute des prix du pétrole ne permet plus de financer.

Obsolescence du Pacte de Quincy

MBS est peut-être impulsif et sanguinaire, mais il n'est pas idiot. Il est parfaitement conscient que le Pacte de Quincy entre le roi Abdelaziz Ibn Saoud, fondateur de la dynastie, et le président américain Franklin Roosevelt, établi en 1945 et renouvelé en 2005 pour soixante autres années, basé sur l’accès des Etats-Unis au pétrole saoudien bon marché contre la protection de cette dernière de la dynastie des Al Saoud, a beaucoup perdu de son importance stratégique.

D’abord, se sont maintenant les Etats-Unis qui trônent au rang de premier producteur mondial de pétrole. L’Arabie saoudite n’est plus que troisième, derrière la Russie.

D’autre part, le coût en baisse des énergies renouvelables fait que la fin de l’ère de la domination des hydrocarbures, dans un monde obnubilé par le réchauffement climatique, semble de plus en plus proche.

Comme le programme de diversification de l’économie saoudienne n’est, jusqu’à présent, qu’un demi-succès, l’ouverture sur le monde est devenue une réelle nécessité.

Contexte régional menaçant

Le contexte régional n’est pas non plus des plus favorables à l’Arabie saoudite. Sa guerre au Yémen lui a coûté jusqu’à présent quelques 100 milliards de dollars, pour des résultats plus que décevants.

Maintenant que Donald Trump est parti, MBS sait compter de moins en moins d’amis à Washington. Il sait que les Démocrates veulent sa peau et l’attendent au tournant des droits humains.

Si l’Arabie saoudite ne peut plus jouer le rôle de pompe à essence des Etats-Unis qui a été longtemps le sien, au moins MBS escompte-il remplir un certain rôle géopolitique au Moyen Orient, en contrepartie d’un soutien de l’administration Biden à ses ambitions royales.

Or, comme depuis la nuit des temps en Orient compliqué, les ennemis d’aujourd’hui peuvent devenir les amis de demain. L’inverse, bien sûr, est tout aussi vrai.

Ainsi, la nouvelle donne dans cette région stratégiquement située entre l’Asie, l’Europe et l’Afrique, continuellement au bord de l’explosion, ce sont les ambitions néo-ottomanes d’Erdogan qui font passer la menace iranienne pour une futilité.


Redistribution des cartes au Moyen Orient

Le prince MBS avec le président turc Erdogan : 'Je t'aime... moi non plus !'
Le prince MBS avec le président turc Erdogan : 'Je t'aime... moi non plus !'
Au moins, l’Iran, c’est ce bon vieux voisin ennemi, aux visées hégémoniques clairement identifiées, qui ne peuvent concrètement dépasser l’arc des populations chiites de la région.

Alors que la Turquie est un sérieux concurrent pour le leadership de monde sunnite, duquel se prévaut l’Arabie saoudite auprès des pays occidentaux. Cette dernière vient d’ailleurs d’ordonner la fermeture de huit écoles turques sur son territoire.

Conséquence en est que le prince héritier d’Arabie saoudite s’est montré moins hostile envers l’Iran, dans son entretien télévisé. Il dit même vouloir des « relations bonnes et spéciales » avec son (ancien ?) ennemi juré.

L’administration Biden paraît vraiment vouloir sauver l’accord nucléaire avec l’Iran, alors autant pour l’Arabie saoudite de bien se (re)positionner sur l’échiquier régional dès à présent.

Selon l’agence de presse britannique Reuters, une délégation saoudienne menée par le chef du renseignement, Khaled Ben Ali Al Humaidan, aurait rencontré de hauts responsables iraniens, au courant du mois d'avril en Irak, pour tenter de régler leurs différents.

Le quotidien britannique ‘The Guardian’, a par la suite, fait également état d’une récente visite en Syrie, du même Khaled Al Humaidan, ou il aurait rencontré les plus hautes autorités de ce pays.

La fiabilité des amitiés en question

Les mésententes sont encore très profondes entre les deux parties, au sujet du la guerre au Yémen et de la crise financière au Liban, mais le simple fait que Saoudiens et Iraniens discutent, même secrètement, constitue un véritable bouleversement dans la perception des enjeux au Moyen Orient.

Les doutes sur la fiabilité des alliés et amis de l’Arabie saoudite est pour beaucoup dans ce revirement géopolitique.

Les Etats-Unis exigent politiquement beaucoup, mais se montrent de moins en moins efficients pour assurer la sécurité du royaume saoudien.

Les Emirats-Arabes Unis sont des alliés, mais aussi des concurrents de l’Arabie saoudite, que ce soit en matière de leadership régional que d’attraction des investissements étrangers.

Quand à Israël, les jours de Benjamin Netanyahu, avec qui les Saoudiens s’entendaient très bien, semblent comptés à la tête du gouvernement.

La gauche sioniste, pour sa part, fera tout pour ostraciser MBS afin de plaire aux Démocrates qui tiennent les rennes du pouvoir à Washington.

La Russie, nouvel acteur en arrière plan

Seule la Russie use, en coulisse, de ses relations non-hostiles et influences non-négligeables auprès des uns et des autres, pour essayer de réduire les tensions au Moyen Orient et se présenter en nouveau ‘parrain’, après le retrait des légions étasuniennes de la région et leur redéploiement au Pacifique.

Les Saoudiens savent que les Russes peuvent les affronter au bras de fer, non sans succès, sur le marché pétrolier.

Ryad vient d’annoncer la réduction de sa production de pétrole d’un million de barils, alors que la Russie va augmenter la sienne de 75.000.

Le ministre russe de l’énergie, Alexandre Kovac, a qualifié la décision saoudienne de « cadeau du nouvel an »…

Les Iraniens, de leur côté, savent tout autant que leurs relations avec la Russie et la Chine sont vitales, au moment ou leur pays fait l’objet de sanctions économiques occidentales très contraignantes.

Par ailleurs, Saoudiens et Russes nourrissent une profonde méfiance envers la Turquie, qu’ils ont tous les deux combattus dans le passé. L’ennemi de mon ennemi…


Le boulet wahhabite

"Allô Vladimir, j'écoule moins de barils sur le marché et tu m'arranges l'affaire avec les Perses, ok ?"
"Allô Vladimir, j'écoule moins de barils sur le marché et tu m'arranges l'affaire avec les Perses, ok ?"
Sauf que ce potentiel nouvel ‘ami’, encore plus que les Occidentaux, nourrit une haine profonde envers les courants radicaux de l’Islam sunnite, qu’il a difficilement vaincu en Tchétchénie.

Quand Moscou voit des jihadistes débarquer dernièrement de Syrie en Ukraine, grâce aux bons services du Sultan Erdogan, la Russie a encore plus de raison de se sentir à nouveau menacée dans ses Tatars musulmans de Crimée.

Haro, donc, sur l’idéologie religieuse obscurantiste wahhabite, qui constitue pourtant l’un des fondements politique de la théocratie saoudienne.

Le pacte de Darya entre Mohamed Ben Abdelwahab et Mohamed Ben Saoud date de 1744, et a permis la création du premier émirat saoudien.

L’Etat saoudien ‘moderne’, fondé en 1932 par Abdelaziz Ben Saoud, s’appuie sur la même alliance politico-religieuse.

Histoire d’une hérésie

La tâche n’est pas particulièrement compliquée sur le plan théologique, puisque Mohamed Ben Abdelwahab, fondateur de l’idéologie obscurantiste qui porte son nom, n’a jamais été reconnu par les ‘fouqaha’ comme faisant partie de leur corporation.

Contrairement à son frère, Suleyman, théologien diplômé, qui a d’ailleurs toujours rejeté l’interprétation hérétique que donnait Mohamed des textes sacrés.

La lecture littérale du Coran, telle que prônée par le Wahhabisme, en déni de toute contextualité ou interprétation, est anthropomorphiste concernant les attributs du divin, une grave hérésie qui avait déjà valu à Ibn Taymiyya (théologien du 13ème siècle faisant référence chez les Salafistes) de se faire emprisonner.

Le meilleur jugement prononcé à ce sujet a été émis par Abdelwahab, le père, Cadi de son état, qui a préféré écarter son fils aîné, Mohamed, de sa succession dans sa fonction, pour la confier au cadet, Suleyman.

Bien des travers à corriger

Sauf que le problème ne se pose pas, pour l’Arabie saoudite, au seul niveau de l’idéologie religieuse.

La composante socioéconomique de la crise que traverse le royaume (ex ?) wahhabite est autrement plus grave.

Aggravée par la pandémie du Covid et le tarissement temporaire des revenus du Hajj, la situation économique de l’Arabie saoudite est plutôt inquiétante.

Le taux de chômage est monté en flèche, pour atteindre 14,9% de la population active. Les inégalités sociales, dont le royaume saoudien n’était déjà pas dénudé, se sont encore plus aggravées.

Du temps de la splendeur du pétrodollar et de la lutte idéologique contre le panarabisme et le socialisme à la sauce arabe, l’Arabie saoudite a commis l’erreur d’accueillir sur son territoire des Frères musulmans fuyant la répression de Jamal Abd Nasser en Egypte.

Cette intrusion de l’Islam politique en Arabie saoudite, sous sa forme de confrérisme sectaire, a contribué à orienter encore plus son système éducatif vers la production à la chaîne des diplômés en études islamiques ultra-radicalisés, qu’aucun employeur sain d’esprit n’a de raison de recruter.

Dissimuler les fissures

Aussi, s’il s’agit uniquement d’écarter les élites religieuses saoudiennes radicales et leur idéologie obscurantiste de la scène publique, pour laisser place à une autre élite, plus libérale quand aux mœurs, mais sans une réelle remise en cause du système éducatif et du modèle socioéconomique du royaume, tout ceci ne serait que stérile exercice de communication, dans le but de soigner l’image de marque du prince héritier, à qui il tarde de monter sur le trône et marquer le royaume de son empreinte.

« Nous grandissons avec des croyances qui deviennent notre résistance au changement », aurait dit un sage anonyme.  





Ahmed Naji
Journaliste par passion, donner du relief à l'information est mon chemin de croix. En savoir plus sur cet auteur
Vendredi 7 Mai 2021

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