Dans le Maroc numérique d’aujourd’hui, un fait majeur bouleverse silencieusement les fondations du paysage linguistique national. Il ne s’agit pas d’un décret ministériel ou d’une réforme scolaire, mais d’un constat de terrain, massif, empirique, mesurable : la Darija écrite s’impose sur les réseaux sociaux, dans les discussions en ligne, dans les posts, les commentaires, les vidéos courtes. Une récente analyse de millions de données (big data) montre que 90 % des jeunes de 18 à 34 ans écrivent en darija, contre seulement 10 % en arabe classique, tandis que le français semble s’évaporer du radar numérique quotidien.
Ce basculement n’est pas qu’un simple effet de mode générationnel. C’est un phénomène culturel profond, un changement de paradigme qui mérite une réflexion sereine, loin des crispations identitaires ou religieuses.
Ce basculement n’est pas qu’un simple effet de mode générationnel. C’est un phénomène culturel profond, un changement de paradigme qui mérite une réflexion sereine, loin des crispations identitaires ou religieuses.
De l’oral à l’écrit : la revanche de la Darija
Longtemps cantonnée à l’oralité, à l’intime, à la rue, à la chanson populaire ou au sketch télé, la Darija n’a jamais été perçue comme une langue « sérieuse ». L’arabe classique, sacralisé par sa relation au Coran et à l’héritage littéraire, dominait les institutions, les médias traditionnels, l’école et l’administration.
Mais les usages sociaux, eux, ont suivi d’autres routes. L’écrit numérique a cassé le mur symbolique entre l’arabe dialectal et la textualisation. Aujourd’hui, écrire en darija n’est plus un acte marginal : c’est l’usage majoritaire, voire normatif, dans les sphères numériques où se forgent les opinions, les tendances, et les émotions partagées.
Mais les usages sociaux, eux, ont suivi d’autres routes. L’écrit numérique a cassé le mur symbolique entre l’arabe dialectal et la textualisation. Aujourd’hui, écrire en darija n’est plus un acte marginal : c’est l’usage majoritaire, voire normatif, dans les sphères numériques où se forgent les opinions, les tendances, et les émotions partagées.
Ce que disent les data : la fin d’un tabou ?
L’analytique des usages en ligne révèle une réalité que peu de politiques éducatives ou culturelles avaient anticipée : la darija est devenue la langue de l’échange écrit quotidien pour une immense majorité de jeunes Marocains. Plus qu’une langue, c’est un outil identitaire souple, créatif, inclusif, connecté à la vie réelle.
À l’inverse, l’arabe classique est perçu comme distant, normatif, figé, voire, dans certains cas, étranger au ressenti du quotidien. Quant au français, sa marginalisation dans les interactions numériques le relègue peu à peu à un rôle élitiste ou professionnel, très loin de son influence historique.
À l’inverse, l’arabe classique est perçu comme distant, normatif, figé, voire, dans certains cas, étranger au ressenti du quotidien. Quant au français, sa marginalisation dans les interactions numériques le relègue peu à peu à un rôle élitiste ou professionnel, très loin de son influence historique.
Quelles conséquences pour la publicité, l’éducation, les médias ?
Ce basculement annonce une transformation beaucoup plus large. La publicité, dont le langage épouse toujours celui des consommateurs, commence déjà à intégrer des slogans, des jingles ou des vidéos en darija. L’école reste figée dans des dogmes, mais jusqu’à quand ?
Le monde de l’édition, les médias traditionnels, les discours politiques devront tôt ou tard accepter que la darija ne soit plus une simple langue de la rue, mais une langue de narration, d’opinion, et peut-être demain de création littéraire ou journalistique.
Le monde de l’édition, les médias traditionnels, les discours politiques devront tôt ou tard accepter que la darija ne soit plus une simple langue de la rue, mais une langue de narration, d’opinion, et peut-être demain de création littéraire ou journalistique.
Une réflexion urgente, sans tabou ni idéologie
Il ne s’agit pas ici d’opposer l’arabe classique à la darija, ni d’alimenter une guerre de statuts. L’arabe restera toujours la langue du sacré, du lien avec le monde arabe, et du patrimoine. Mais il serait irresponsable d’ignorer le rôle grandissant de la darija comme langue vivante de communication sociale et culturelle.
Le moment est venu d’ouvrir un vrai débat sur le bilinguisme intraculturel arabe/darija, sans fétichisation identitaire ni complexe colonial. C’est l’usage, les pratiques sociales, les préférences du peuple — et surtout de sa jeunesse — qui doivent orienter la réflexion sur les langues d’aujourd’hui et de demain.
Le moment est venu d’ouvrir un vrai débat sur le bilinguisme intraculturel arabe/darija, sans fétichisation identitaire ni complexe colonial. C’est l’usage, les pratiques sociales, les préférences du peuple — et surtout de sa jeunesse — qui doivent orienter la réflexion sur les langues d’aujourd’hui et de demain.
Et maintenant ?
Faut-il codifier une darija écrite standardisée ? La reconnaître dans l’enseignement primaire comme langue d’apprentissage ? Créer un corpus de règles et un dictionnaire collaboratif ? Ouvrir des concours littéraires ou journalistiques en darija ?
Ces questions ne sont plus théoriques. Elles s’imposent. Et si le Maroc osait, une fois de plus, inventer une solution hybride, respectueuse des héritages et ouverte aux pratiques réelles ?
Ces questions ne sont plus théoriques. Elles s’imposent. Et si le Maroc osait, une fois de plus, inventer une solution hybride, respectueuse des héritages et ouverte aux pratiques réelles ?
Une analyse froide, sans pathos
Ce que cette étude révèle n’est ni une provocation ni une prise de position. C’est une lecture froide des faits :
Les Marocains lisent de moins en moins, que ce soit en arabe classique ou en français.
Ils ont d’abord migré du papier vers les portails d’actualité. Puis, ces mêmes portails ont été progressivement délaissés au profit des réseaux sociaux, devenus le nouvel espace de lecture, d’expression et d’influence.
Ce glissement massif vers l’instantané, le visuel, l’émotionnel et le commentaire court n’est pas un jugement : c’est un constat.
On peut le regretter, le déplorer ou faire semblant de l’ignorer, mais le paysage informationnel marocain a déjà changé.
Si l’on peut encore parler d’opinion publique, elle est désormais façonnée par le contenu des posts, des stories, des influenceurs, des youtubeurs et des formats courts à fort impact émotionnel.
Les élections législatives de 2026 par exemple s’annoncent ainsi comme les premières vraies élections de ce nouveau monde, un monde où le storytelling numérique, les algorithmes et la darija écrite pèsent parfois plus lourd que les manifestes politiques.
À ceux qui ne veulent pas voir ce basculement, l’histoire leur rappellera que le silence algorithmique est souvent plus bruyant qu’un discours à la tribune.
Les Marocains lisent de moins en moins, que ce soit en arabe classique ou en français.
Ils ont d’abord migré du papier vers les portails d’actualité. Puis, ces mêmes portails ont été progressivement délaissés au profit des réseaux sociaux, devenus le nouvel espace de lecture, d’expression et d’influence.
Ce glissement massif vers l’instantané, le visuel, l’émotionnel et le commentaire court n’est pas un jugement : c’est un constat.
On peut le regretter, le déplorer ou faire semblant de l’ignorer, mais le paysage informationnel marocain a déjà changé.
Si l’on peut encore parler d’opinion publique, elle est désormais façonnée par le contenu des posts, des stories, des influenceurs, des youtubeurs et des formats courts à fort impact émotionnel.
Les élections législatives de 2026 par exemple s’annoncent ainsi comme les premières vraies élections de ce nouveau monde, un monde où le storytelling numérique, les algorithmes et la darija écrite pèsent parfois plus lourd que les manifestes politiques.
À ceux qui ne veulent pas voir ce basculement, l’histoire leur rappellera que le silence algorithmique est souvent plus bruyant qu’un discours à la tribune.
La foi n’a aucune raison de se méfier de la raison, pas plus que l’arabe classique n’a à craindre la darija.
Les deux peuvent coexister, dialoguer, s’enrichir mutuellement, comme le font depuis des siècles la liturgie et la vie quotidienne, le sacré et le profane. Opposer la langue du Coran à celle du peuple revient à nourrir une fausse guerre culturelle là où il n’y a qu’un phénomène de complémentarité naturelle. La darija n’aspire pas à remplacer l’arabe classique dans les mosquées, au parlement, dans la justice ou les grandes œuvres littéraires : elle s’installe dans les espaces de vie, de partage, de narration spontanée. Et cela ne menace en rien l’unité linguistique du pays, bien au contraire.
D’autant que l’éventuel danger d’un effacement par la francophonie s’éloigne de jour en jour, au vu des usages numériques réels de la jeunesse. Là où certains redoutaient une fracture entre langues étrangères et langue nationale, la réalité montre un recentrage progressif sur des codes expressifs propres, enracinés dans l’expérience marocaine.
La véritable bataille culturelle ne se joue donc pas entre arabe et darija, mais entre refus de voir les usages évoluer et capacité à construire un avenir linguistique souple, cohérent et libre.
D’autant que l’éventuel danger d’un effacement par la francophonie s’éloigne de jour en jour, au vu des usages numériques réels de la jeunesse. Là où certains redoutaient une fracture entre langues étrangères et langue nationale, la réalité montre un recentrage progressif sur des codes expressifs propres, enracinés dans l’expérience marocaine.
La véritable bataille culturelle ne se joue donc pas entre arabe et darija, mais entre refus de voir les usages évoluer et capacité à construire un avenir linguistique souple, cohérent et libre.
Pour ceux qui sont contre et méritent d'etre entendu : L’ombre d’un faux progrès et d'un faux débat car standardiser l’informel linguistique, c'est fracturer l’essentiel et le début des divisions
On nous parle aujourd’hui de l’avènement de la darija écrite comme d’un progrès démocratique, d’un ancrage culturel populaire… Mais de quelle darija parle-t-on exactement ? Car au Maroc, il n’existe pas une darija, mais des dizaines : celle de Casablanca n’est pas celle d’Oujda, ni celle de Fès, ni celle du Souss ou du Rif. Chaque région a ses mots, ses rythmes, ses prononciations. Alors que prétend-on standardiser ? Et surtout avec quelle légitimité ?
Si l’on se résout à structurer la darija à travers les règles de grammaire de l’arabe classique, alors autant rester fidèles à cette langue séculaire, au lieu de la diluer. Certains invoquent l’exemple du latin devenu langue morte, mais cette comparaison est périlleuse : faut-il confiner l’arabe à la seule sphère religieuse ? Va-t-on demain, comme certains chrétiens l’ont fait avec la Bible, traduire le Coran en darija pour que « le peuple comprenne » ? Une telle initiative ouvrirait une boîte de Pandore d’interprétations approximatives, subjectives, et potentiellement destructrices pour l’unité du sens sacré. Pour ma part, je n’y vois que risques, confusions et divisions à venir.
D’autant que oui, il y a eu un entrisme francophone, historique et assumé, dans certaines élites économiques, éducatives, culturelles. Mais ce fait — réel — ne saurait justifier une entreprise de substitution de l’arabe par un sabir de réseaux sociaux. Bien au contraire, il rend d’autant plus légitime une défense vigoureuse de la langue arabe, dans sa profondeur, sa beauté, son héritage et son universalité. Ceux qui croient défendre le peuple en poussant la darija sur le trône ne font peut-être que creuser davantage les fractures linguistiques, sociales et spirituelles du pays.
Si l’on se résout à structurer la darija à travers les règles de grammaire de l’arabe classique, alors autant rester fidèles à cette langue séculaire, au lieu de la diluer. Certains invoquent l’exemple du latin devenu langue morte, mais cette comparaison est périlleuse : faut-il confiner l’arabe à la seule sphère religieuse ? Va-t-on demain, comme certains chrétiens l’ont fait avec la Bible, traduire le Coran en darija pour que « le peuple comprenne » ? Une telle initiative ouvrirait une boîte de Pandore d’interprétations approximatives, subjectives, et potentiellement destructrices pour l’unité du sens sacré. Pour ma part, je n’y vois que risques, confusions et divisions à venir.
D’autant que oui, il y a eu un entrisme francophone, historique et assumé, dans certaines élites économiques, éducatives, culturelles. Mais ce fait — réel — ne saurait justifier une entreprise de substitution de l’arabe par un sabir de réseaux sociaux. Bien au contraire, il rend d’autant plus légitime une défense vigoureuse de la langue arabe, dans sa profondeur, sa beauté, son héritage et son universalité. Ceux qui croient défendre le peuple en poussant la darija sur le trône ne font peut-être que creuser davantage les fractures linguistiques, sociales et spirituelles du pays.












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