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« C’est bien, mais… » : L’art (inconscient) de saboter un compliment


Dans notre quotidien, combien de fois avons-nous entendu — ou prononcé — ces petites phrases qui commencent comme des caresses… et se terminent comme des gifles verbales ? Des compliments sabotés, qui promettent l’enthousiasme mais livrent la frustration. Des « c’est super, mais… », « j’ai adoré, sauf que… », « bravo, mais tu aurais dû… » qui minent peu à peu nos relations et notre confiance. Derrière cette formule apparemment anodine se cache un vrai phénomène psychologique et relationnel : le compliment-boomerang.

Dans cet entretien, nous avons voulu explorer les coulisses de ce réflexe aussi courant qu’inconscient avec Sophia El Khensae Bentamy, consultante et coach en psychologie positive, fine observatrice des rouages émotionnels de la communication interpersonnelle. Pourquoi est-il si difficile pour certains de valider l’autre pleinement ? Que révèle ce “mais” insidieux sur nos rapports au pouvoir, à l’ego, à l’expression de la reconnaissance ? Et surtout : comment apprendre à complimenter… sans corriger ?

Une conversation éclairante, truffée d’exemples concrets, d’analyses fines et de pistes pratiques, pour mieux comprendre et — pourquoi pas — mieux aimer, mieux encourager, mieux vivre ensemble. Sans conditions. Sans réserves. Juste un vrai “bravo”.



Entretien avec Sophia El Khensae Bentamy Consultante en psychologie positive, coach et enseignante en communication relationnelle

1. Madame, pourquoi le simple mot “mais” dans un compliment peut-il avoir un effet aussi destructeur dans une communication pourtant bien intentionnée ?


Le mot “mais” agit comme un interrupteur émotionnel : il annule ce qui le précède. Lorsque quelqu’un nous dit « c’est bien, mais… », il introduit une rupture dans le flux de la reconnaissance. Ce mot introduit le doute, la comparaison, la mise à distance. Dans l’esprit de celui qui reçoit, le compliment est aussitôt perçu comme un prélude à une dévalorisation. Et ce n’est pas une question de susceptibilité : c’est une question de psychologie relationnelle. Nous avons besoin d’être validés dans nos actions, dans nos efforts, parfois même dans notre imperfection. Or, ce “mais” trahit souvent une forme de supériorité cachée, un besoin de corriger ou de se positionner au-dessus, comme si l’autre n’était jamais tout à fait “suffisant”. Et cela, dans une société qui prône la performance et l’amélioration constante, finit par devenir toxique. Le compliment-boomerang, comme je l’appelle, touche partout : dans le couple, au travail, entre amis, et même dans nos échanges avec nous-mêmes. Il mine la confiance, décourage l’initiative, et surtout, il nous fait croire que l’amour, l’estime ou la reconnaissance sont conditionnels. Ce n’est pas le “mais” qui est le problème en soi, c’est son usage mal calibré, son intrusion là où une validation pure aurait suffi.
 

2. Peut-on dire que derrière ces compliments ambivalents se cache une forme de rapport de pouvoir ou de contrôle dans la relation ?


Absolument. C’est souvent inconscient, mais le mécanisme est bel et bien là. Dans ces compliments sabotés, il y a une tentative, parfois subtile, de reprendre la main, de ne pas “perdre la face” en félicitant pleinement l’autre. Quand on dit : « Tu as bien fait, mais… », on introduit une hiérarchie implicite. On suggère que le locuteur aurait fait mieux, ou qu’il détient un savoir supérieur. C’est une façon de recentrer l’attention sur soi, de se positionner comme référent. C’est particulièrement flagrant dans les environnements professionnels ou familiaux hiérarchisés. Et c’est cela qui rend ces remarques si douloureuses : elles ne sont pas seulement des critiques, elles sont des rappels à l’ordre, à la norme, à l’autorité symbolique de l’autre. Ce type de communication freine l’expression personnelle, réduit l’espace de création, et empêche l’émergence de formes alternatives de réussite. Valider pleinement quelqu’un, c’est lui accorder une place d’égal, c’est aussi accepter qu’il existe des chemins autres que le sien. Et cela, beaucoup ont du mal à l’accepter.


3. D’après vous, pourquoi est-ce si difficile pour certaines personnes de simplement dire “bravo” sans correction ni ajout ?


C’est une question de culture émotionnelle. Nombreux sont ceux qui ont grandi dans des environnements où le compliment pur était suspect, presque naïf. Ils ont appris que critiquer, c’était prouver qu’on était intelligent, pertinent, utile. Ils associent la reconnaissance à un danger : celui d’être manipulé, de baisser la garde, ou même de valider ce qu’ils estiment insuffisant. Pour ces personnes, dire “bravo” sans nuance, c’est comme abandonner un pouvoir, se mettre en position de faiblesse. Ils ne se rendent pas compte qu’ils projettent souvent leurs propres insécurités, leurs attentes non réalisées. En corrigeant l’autre, ils corrigent symboliquement ce qu’ils n’ont pas pu faire pour eux-mêmes. Et puis il y a une forme d’habitude, de mimétisme : on reproduit ce qu’on a reçu. D’où l’importance de rééduquer notre manière de communiquer. Car valider pleinement, ce n’est pas renoncer à l’exigence, c’est juste choisir le bon moment, la bonne forme et le bon objectif : nourrir plutôt que saboter.


4. Vous parlez du “compliment-boomerang” comme d’un vrai phénomène relationnel. Pouvez-vous nous en dire plus sur ses conséquences psychologiques ?


Le compliment-boomerang, c’est ce moment où l’on se sent reconnu… puis immédiatement corrigé. C’est une montée suivie d’une chute, un soulèvement du cœur puis un resserrement de l’estomac. Psychologiquement, cela provoque de la confusion : suis-je félicité ou critiqué ? Et cette incertitude génère du stress, de la démotivation, voire du repli. À force de recevoir ce type de retours, certaines personnes n’osent plus entreprendre, de peur d’être toujours reprises. C’est ce que j’appelle le “frein-back” au lieu du “feed-back”. Loin de nourrir la progression, il inhibe. Il entame aussi l’estime de soi : on se sent insuffisant, jamais à la hauteur. Ce qui est grave, c’est que ces remarques se déguisent en bonnes intentions. On croit recevoir de l’aide, mais on reçoit en réalité un rappel douloureux de notre supposée incompétence. Cela crée aussi un climat relationnel tendu : la méfiance s’installe, l’authenticité recule, et la communication devient stratégique au lieu d’être sincère.


5. Vous évoquez des contextes variés : famille, couple, travail… Ce type de communication est-il vraiment universel ou davantage ancré dans certaines cultures ?


Il est à la fois universel et culturellement teinté. Universel, parce que l’être humain a un besoin fondamental de reconnaissance, et que les maladresses verbales traversent les frontières. Mais la manière dont on donne — ou ne donne pas — des compliments, varie selon les contextes culturels. Dans certaines cultures, on valorise l’humilité au point de rendre le compliment presque tabou. Dans d’autres, on attend que toute réussite soit immédiatement mise en perspective, contextualisée, voire relativisée. Au Maroc, par exemple, comme dans bien d’autres sociétés méditerranéennes ou arabo-musulmanes, le compliment peut être perçu comme un risque de “tfaoul” (jalousie, mauvais œil), et donc être évité ou saboté par précaution. Cela se traduit par des éloges tronqués, des sourires retenus, des “mais” omniprésents. Pourtant, nous avons tous besoin de validation claire, surtout dans des environnements marqués par la pression sociale ou professionnelle. Reconnaître cette réalité, c’est ouvrir la voie à une communication plus apaisée et plus équitable, quel que soit le cadre culturel.


6. Comment répondre, concrètement, à ces remarques ambivalentes sans tomber dans le conflit ni dans l’auto-censure ?


C’est une vraie gymnastique émotionnelle. La clé, c’est de ne pas se laisser piéger par la forme déguisée du message. Première option : l’humour. Une réplique légère du type « Ah ! Merci, je note pour ma prochaine vie ! » permet de désamorcer la critique tout en signalant le malaise. Deuxième option : la reformulation assertive, comme « Merci pour ton retour. Là, c’était ma vision, mais je retiens ton point de vue ». C’est une manière élégante de se positionner sans s’effacer. Troisième possibilité : le silence. Mais pas n’importe lequel : un silence assumé, calme, un sourire en coin qui dit « j’ai entendu, mais je choisis ce que j’en fais ». Enfin, pour les relations de confiance, il peut être pertinent de verbaliser : « Tu sais, ton ‘mais’ m’a fait douter. Est-ce que tu voulais vraiment me féliciter ? ». Cela ouvre la porte à un vrai dialogue. Ce qui compte, c’est de ne pas entrer dans la spirale de justification ou de compétition. L’idée est de reprendre son espace, sans violence, avec clarté.


7. À l’inverse, comment apprendre à féliciter sans corriger ? Peut-on réapprendre à complimenter avec sincérité et justesse ?


Absolument, et c’est même un exercice de développement personnel puissant. Il faut d’abord prendre conscience de nos automatismes : ai-je tendance à ajouter un “mais” systématique ? Est-ce que je me sens obligé·e d’ajouter une touche personnelle à chaque retour, même non sollicité ? Une fois cette prise de conscience faite, vient le choix délibéré de valider pleinement. Dire « bravo », « c’est super », « j’ai adoré », sans rien d’autre. Et observer : est-ce que ça me coûte ? Pourquoi ? La gêne vient souvent d’un rapport compliqué à la reconnaissance, soit qu’on ne l’ait pas reçue, soit qu’on en ait peur. Réapprendre à complimenter, c’est s’autoriser à voir le positif sans suspicion. C’est accepter que la réussite de l’autre ne nous vole rien. Mieux encore, c’est choisir d’encourager ce qui émerge, même si ce n’est pas parfait à nos yeux. La justesse, ici, c’est le bon dosage entre enthousiasme et authenticité. Et c’est une vraie preuve de maturité émotionnelle.


8. Finalement, ce “C’est bien, mais…” reflète-t-il aussi une peur de la vulnérabilité, chez celui qui parle ?


Oui, très clairement. Valider pleinement l’autre, c’est faire un pas vers lui, sans armure. C’est reconnaître sa valeur, son initiative, son effort — et parfois, cela revient à admettre qu’il a fait quelque chose qu’on n’a pas su ou pas osé faire. Il y a donc une forme de vulnérabilité dans le compliment sincère. Celui qui le donne se dépouille, même brièvement, de son besoin de contrôler ou de juger. À l’inverse, le “c’est bien, mais…” est une manière de reprendre le dessus, de garder une distance, de ne pas se laisser toucher. C’est aussi une stratégie de protection : si je complimente trop, je prends le risque d’être redevable, d’être vulnérable à mon tour. Cette peur d’être “en dette” émotionnelle empêche parfois la reconnaissance simple et humaine. Pourtant, c’est en osant dire “c’est bien” tout court que l’on crée des liens vrais, que l’on restaure la confiance, et que l’on devient acteur·rice d’une communication plus saine. Et cela, tout le monde peut l’apprendre — à commencer par soi-même.


Mercredi 11 Juin 2025



Rédigé par La rédaction le Mercredi 11 Juin 2025


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