Scène 2. Débat régional, plateau télé. On me demande l’emploi. Je refuse de promettre « 50 000 postes » en un mandat. J’explique les cycles, les contraintes, l’inertie des administrations, le temps long des infrastructures. Le lendemain, les titres résument : « Le candidat qui ne croit pas à l’emploi. » Un demi-point en moins dans le baromètre. Le réel, c’est pratique pour gouverner ; pour gagner, c’est moins certain.
Scène 3. Porte-à-porte. Je dis à une dame que la subvention au carburant est une béquille chère qui profite plus aux gros réservoirs qu’aux petits revenus, et qu’un ciblage serait plus juste même si, au début, ça pique. Elle me remercie, dit que j’ai peut-être raison, mais « pas maintenant ». Depuis, « maintenant » se repose toujours quelque part entre la veille du scrutin et le premier tour des regrets.
On me dira que c’est une question de talent : un candidat habile peut dire la vérité et la faire aimer.
Or la campagne est un stand de foire : on crie, on gesticule, on distribue des promesses comme des ballons gonflés à l’hélium. Le drame n’est pas que les électeurs refuseraient la vérité ; c’est que l’économie de l’attention la rembourse mal.
Ensuite, la « vérité » en politique est rarement un bloc de marbre.
« La vérité politique », c’est souvent le nom qu’on donne à l’équilibre qu’on préfère entre contraintes et priorités. Et dans une campagne, la tentation est grande de choisir la vérité qui fait battre des mains, pas celle qui fait froncer des sourcils.
Pourtant, je ne crois pas à la fatalité du mensonge utile.
Le problème, c’est que cette musique demande des instruments que la campagne n’offre pas spontanément : du temps, des formats lents, des comparateurs, des simulateurs, des contradictions assumées. Elle exige aussi un public prêt à entendre qu’un oui important implique un non quelque part.
J’ai perdu des élections en disant la vérité. J’en ai gagné en la disant autrement.
La vérité n’a pas besoin d’être brutale ; elle doit être solide, et humaine. Les gens ne haïssent pas la vérité ; ils détestent qu’on leur balance des comptes sans leur offrir une place à la table.
Reste l’épine : la vérité « ailleurs ». Le vieil adage des séries télé me hante : « La vérité est ailleurs. » Peut-être n’est-elle pas dans les programmes, mais dans l’architecture du jeu. Une campagne qui rémunère l’outrance, une médiatisation qui survalorise la petite phrase, des réseaux qui amplifient les pics émotionnels, un financement qui incite aux promesses rentables en clics—le marché politique produit ce qu’il rétribue. Tant que l’écosystème ne paiera pas la complexité à son prix, la sincérité restera un produit de niche.
Alors, que faire quand on tient à la vérité sans vouloir collectionner les défaites ? Trois pistes apprises à l’ancienne.
Ensuite, co-produire la vérité. Inviter des contradicteurs de bonne foi, visibles et respectés, à venir « tester » les promesses en direct. Pas des pugilats, des crash-tests. Quand la contradiction est intégrée au rituel, elle devient un service rendu au public plutôt qu’une humiliation subie en prime-time.
Enfin, promettre des mécanismes plus que des miracles. Annoncer des clauses de revoyure, des métriques, des seuils d’arrêt, des budgets pluriannuels avec phases. On préfère un escalier à un tremplin : ça monte moins vite, mais ça retombe moins mal. La vérité aime les garde-fous.
Je garde le goût des défaites lucides.
Au fond, la vérité politique n’est ni un absolu ni une imposture : c’est un chantier. Elle se construit ensemble, se rectifie, s’évalue. Oui, en saison électorale, elle perd souvent au premier tour. Mais, dans la longue durée des nations, elle gagne toujours au second—celui du réel. La question n’est pas de savoir si on ose la dire ; c’est d’organiser la vie publique pour qu’elle mérite d’être entendue.












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