Le commerce de proximité, un monde en mutation
Ils s’appellent l-‘attaar, l-ḥanūṭī, ou tout simplement le monsieur du coin. Chaque rue, chaque quartier au Maroc a son épicier, sa marchande de légumes, son vendeur de pain, de charbon, ou de mouchoirs. Ce petit commerce traditionnel, parfois vu comme archaïque, est en réalité l’ossature invisible de l’économie populaire.
Pourtant, derrière cette image familière, le Conseil de la Concurrence alerte, dans son Avis A/1/25, sur une marginalisation progressive mais réelle de ces acteurs. Coincés entre modernisation accélérée, pression foncière, et absence de soutien public, les petits commerçants marocains sont aujourd’hui menacés de disparition.
Pourtant, derrière cette image familière, le Conseil de la Concurrence alerte, dans son Avis A/1/25, sur une marginalisation progressive mais réelle de ces acteurs. Coincés entre modernisation accélérée, pression foncière, et absence de soutien public, les petits commerçants marocains sont aujourd’hui menacés de disparition.
Un poids économique majeur, souvent ignoré
Le commerce traditionnel représente encore plus de 70 % du volume de distribution alimentaire au Maroc. Il mobilise près de 1 million d’actifs – commerçants, livreurs, manutentionnaires, artisans. Ce tissu dense constitue une force économique informelle, mais vitale.
Il est particulièrement dominant dans :
Il est particulièrement dominant dans :
Les quartiers populaires urbains, où la proximité compense l’absence de grandes surfaces ;
Les zones rurales et périphériques, mal desservies par la logistique moderne ;
Les secteurs à forte fréquence d’achat (pain, lait, œufs, épices, tabac, recharge téléphonique).
Et pourtant, malgré son poids, le commerce traditionnel ne fait l’objet d’aucune stratégie publique d’ensemble depuis la fin du plan Rawaj en 2012.
Les signes d’un effritement progressif
Plusieurs indicateurs montrent une érosion silencieuse du commerce de proximité :
Diminution du nombre de nouveaux points de vente enregistrés chaque année ;Faible taux de transmission intergénérationnelle (les enfants refusent de reprendre l’activité familiale) ;
Hausse des fermetures dans les médinas et quartiers anciens, chassés par la spéculation foncière ou la baisse de fréquentation ;
Diminution du nombre de nouveaux points de vente enregistrés chaque année ;Faible taux de transmission intergénérationnelle (les enfants refusent de reprendre l’activité familiale) ;
Hausse des fermetures dans les médinas et quartiers anciens, chassés par la spéculation foncière ou la baisse de fréquentation ;
Incapacité à suivre le rythme de la digitalisation (paiement mobile, gestion des stocks, e-commerce).
Le rapport du Conseil cite même des cas de quartiers entiers où l’arrivée d’un supermarché provoque en moins de deux ans la fermeture de 20 à 30 % des commerces du voisinage immédiat.
Un rôle social au-delà de la fonction économique
Loin d’être un simple maillon de la chaîne d’approvisionnement, le petit commerce assure aussi une fonction sociale cruciale :
Crédit informel accordé aux clients fidèles ;
Confiance construite au fil des ans entre commerçant et voisinage ;
Distribution de produits à l’unité pour les ménages précaires ;
Transmission de savoir-faire artisanaux dans certaines zones (herboristerie, pâtisserie, épices…).
La disparition de ces commerces entraînerait une perte de lien social, de proximité humaine et d’ancrage territorial. Ce que les grandes surfaces ne peuvent ni remplacer, ni simuler.
Urbanisme et logistique : les angles morts des politiques publiques
L’aménagement des villes marocaines ces vingt dernières années a très peu pris en compte le rôle du commerce de proximité. Les politiques d’embellissement, de rénovation urbaine ou de construction de centres commerciaux ont souvent relégué les petits commerces aux marges.
Le Conseil relève que :
Le Conseil relève que :
Les zones franches commerciales ne sont jamais pensées pour accueillir des petits commerçants ;
Le foncier urbain est inaccessible, même en location, pour la majorité des détaillants indépendants ;
Les marchés de gros sont saturés, vétustes, ou mal connectés aux circuits locaux.
Le résultat est un repli informel, une dépendance aux grossistes chers, et une impossibilité pour le commerçant traditionnel de structurer son activité.
Des tentatives de modernisation... sans effets d’échelle
Plusieurs initiatives ont tenté d’accompagner le secteur informel vers une intégration douce :
Mais ces initiatives manquent de coordination, de financement à long terme, et surtout de relais territoriaux. Le Conseil appelle à une véritable stratégie post-Rawaj, adaptée à la réalité du terrain, et non calquée sur les modèles occidentaux.
La stratégie Rawaj (2008-2012), restée sans suite ;
Des programmes ponctuels de microcrédit ou de formation (ANAPEC, INDH) ;
Des projets pilotes de digitalisation du ḥanūt via des applications de gestion ou de commande.
Marges faibles, incertitude forte
Contrairement aux idées reçues, le commerce traditionnel ne pratique pas toujours des marges exorbitantes. Les marges brutes tournent souvent autour de 10 à 15 %, notamment dans les denrées de première nécessité.
Mais le manque d’organisation logistique et la dépendance aux intermédiaires renchérissent le prix d’achat. Par exemple, un épicier de quartier à Fès achète une boîte de concentré de tomate à 3,30 DH au lieu de 2,90 DH pour une enseigne de GMS à Meknès, simplement faute d’accès au grossiste principal.
À cela s’ajoutent les vols à l’étal, la fiscalité difficile à comprendre, les charges fixes croissantes, et l’absence d’assurance ou de retraite. Un modèle précaire, sans filet de sécurité.
Mais le manque d’organisation logistique et la dépendance aux intermédiaires renchérissent le prix d’achat. Par exemple, un épicier de quartier à Fès achète une boîte de concentré de tomate à 3,30 DH au lieu de 2,90 DH pour une enseigne de GMS à Meknès, simplement faute d’accès au grossiste principal.
À cela s’ajoutent les vols à l’étal, la fiscalité difficile à comprendre, les charges fixes croissantes, et l’absence d’assurance ou de retraite. Un modèle précaire, sans filet de sécurité.
Recommandations pour sauver ce tissu vital
Le Conseil de la Concurrence appelle à un plan d’action en cinq volets :
Urbanisme inclusif : réserver des locaux commerciaux accessibles dans chaque projet de logement ou de ZAC.
Modernisation ciblée : soutenir la digitalisation (gestion de stock, QR code, paiement mobile) via des coopératives locales.
Plateformes logistiques régionales : pour mutualiser l’approvisionnement des commerces indépendants.
Accès au financement adapté : microcrédit avec différé de remboursement, assurance solidaire.
Statut juridique clair : créer un cadre adapté aux commerçants indépendants non structurés.
Un pilier économique à préserver d’urgence
Le commerce traditionnel marocain n’est pas un reliquat du passé : c’est une infrastructure sociale vivante, profondément ancrée dans la vie des quartiers et des villages. Il répond à des besoins que la grande distribution ne comble pas, et il incarne une économie de la confiance, du lien et de la proximité.
Mais il est en train de s’éroder, lentement, sous le poids de l’oubli institutionnel et de la pression du marché. Sans intervention coordonnée et ambitieuse, il pourrait s’effondrer. Ce serait un appauvrissement collectif.
Préserver le commerce traditionnel, c’est aussi défendre une certaine idée de l’économie marocaine : plurielle, solidaire, enracinée.
Mais il est en train de s’éroder, lentement, sous le poids de l’oubli institutionnel et de la pression du marché. Sans intervention coordonnée et ambitieuse, il pourrait s’effondrer. Ce serait un appauvrissement collectif.
Préserver le commerce traditionnel, c’est aussi défendre une certaine idée de l’économie marocaine : plurielle, solidaire, enracinée.












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