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Déclin des partis... et de la politique?


Le NMD traduit bien une nouvelle ambition d'avenir. Mais les partis peuvent-ils être les maîtres d'œuvre de réalisation et de mobilisation? Ils s'apparentent en effet à des institutions «statutaires», tournées vers les élections, peu productrices d'idées, gérant souvent une addition d'ambitions individuelles et de plans de carrière.



Par Mustapha Sehimi

declin_des_partis____et_de_la_politique.mp3 A lire ou à écouter en podcast :  (9.21 Mo)

«Nouveau Modèle de Développement», grands chantiers structuraux, un «Etat social», des réformes, oui sans doute: c'est ce qui est à l'ordre du jour et durablement. Mais dans tous ces champs-là, un grand absent: la politique, dans ses multiples dimensions –le système partisan, les formes d'implication des citoyens, les offres et les capacités des formations... En d'autres termes, l'on dira que «tout est politique», assurément: la loi de finances et les programmes spécifiques d'ordre social annoncés par le gouvernement ( tels «Awrach» ou «Forsa»). Sans parler d'autres programmes. Dans la boîte à outils des facteurs de production à promouvoir et à consolider (capital, travail, ressources naturelles, technologie) comment ignorer la politique? 

 

Le NMD n'échappe pas à cette critique. Sa lecture attentive témoigne en effet du peu de place qui est accordée à ce paramètre-là. Il y a bien des incidentes, ici ou là, sur «une citoyenneté réenchantée, des valeurs partagées, les libertés et le civisme»; ou encore sur les «principes de l'Etat de droit» et «la bonne gouvernance». Mais pas un mot sur la nécessité en même temps d'une mise à niveau structurelle des partis.

 

Inclination naturelle des auteurs à ne prendre en charge que la dimension économique? Volonté toute de prudence, voire même de frilosité, à ne pas s'ingérer dans un domaine sensible et complexe –ce qui aurait nourri des polémiques auprès des acteurs dont le NMD ne voulait pas. En tout cas, aujourd'hui et demain– et a fortiori à l'horizon 2035 retenu par le NMD– l'on ne peut contourner cette problématique de principe: comment raviver la mobilisation citoyenne et politique? Et dans cette même ligne, quels doivent être la place et le rôle des partis? 

 

En se tournant vers l'actualité, le spectacle offert par les préparatifs du 11e congrès de l'USFP, prévu les 28-29-30 janvier, traduit bien l'état du système partisan. Le premier secrétaire sortant a fait modifier les dispositions de l'article 49 des statuts pour solliciter… Un troisième mandat. Or, seules les assises des congressistes ont cette prérogative –on ne change pas des règles de jeu au milieu d'une partie. La situation de cette formation socialiste mérite que l'on s'y attarde davantage: elle est significative, semble-t-il, d'une crise identitaire et existentielle que l'on retrouve, suivant des modalités variables, du côté d'autres formations. 

 

En élargissant la question, l'état des lieux des autres partis est-il plus satisfaisant? Une première réponse peut être donnée avec les positionnements des uns et des autres. Qui est avec qui? Contre qui? Et pour quoi? Dans le nouveau cabinet, l'équation n'est pas d'une grande cohérence: tant s'en faut. Voilà en effet un gouvernement dirigé par le RNI et qui est allié à un parti comme le PAM et à un troisième, la formation istiqlalienne. Une majorité associant donc deux partis dits «administratifs» et un autre héritier historique du mouvement national. Deux autres partis comme l'USFP et le PPS– autres composantes de cette dernière mouvance– n'en font pas partie. D'un autre côté, des partis comme le MP et l'UC, éligibles pratiquement au même registre «administratif» que le parti de la colombe n'y figurent pas non plus. Preuve que les clivages traditionnels des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix du précédent siècle sont désormais peu opératoires.

 

Dans les deux précédents cabinets PJD, ce même schéma avait été passablement chahuté. Abdelilah Benkirane, alors chef de l'exécutif (2012 -2017) avait formé une majorité avec le PI, le PPS, le RNI et le MP –pas l’USFP membre de la koutla historique ni avec l'UC et le PAM. Son successeur, Saâd-Eddine El Othmani, avait retenu, lui, des alliés comme le RNI, le MP et l'USFP, puis un temps le PPS mais sans le PAM. Cette majorité à géométrie variable est le fruit d'un processus d'une bonne vingtaine d'années qui s'est déployé à deux niveaux. Le premier a trait au cabinet d'alternance de Me Abderrahmane El Youssoufi, responsable de l'USFP (mars 1998 - octobre 2002). Il avait en effet pu monter –avec le soutien décisif du roi Hassan II– une majorité regroupant les partis issus du mouvement national (USFP, PI, PPS, FFD, PSD), ainsi que deux formations de partis de l'administration comme le RNI et le MP. C'était là la fin d'une séquence d'altérité de quatre décennies– depuis le renvoi du cabinet UNFP d'Abdallah Ibrahim en mai 1960 –et l'inauguration d'une autre marquée du sceau du compromis.

 

De plus, à un autre niveau, s'opérait également une convergence entre les uns et les autres pour et autour d'un «tronc commun» d'options et de réformes partagées. Que des infléchissements aient eu lieu, dans tel ou tel sens, tout au long des quatre cabinets qui ont suivi jusqu'à celui de Aziz Akhannouch d'octobre 2021, n'est guère contestable. Le fait est qu'il y a eu, globalement, des accords de gouvernement même avec diverses variantes majoritaires.

 

L'USFP défendait auparavant un projet d’alternative –avant le cabinet El Youssoufi; aujourd'hui tel n'est plus le cas, se bornant à ne plus être progressivement qu'une composante supplétive d'une majorité. Même la référence à un projet socialiste n'est plus qu'une rhétorique de style alors que le projet social– démocrate devient la référence commune. Un programme «attrape-tout», où se retrouvent d'autres partis.

 

L'égalitarisme idéologique de la formation istiqlalienne de Allal El Fassi des années soixante s'est lui aussi adapté en priorisant les principes de justice sociale et de solidarité nationale. Le RNI non plus n'est pas dans l'inconfort, lui qui s'est situé dès le départ au centre. Le MP est également dans le même périmètre, sauf à préciser qu'il a perdu quelque peu son identité puisque sa double revendication historique –l'amazigh et le monde rural– est prise en charge avec les décisions royales dans ces deux domaines. L'UC, créée en 1983, autour du crédo libéral couplé à celui de la régionalisation par son fondateur Me Maâti Bouabid, pâtit de l'évolution et des réformes entreprises dans ces deux domaines. Il n'y a peut-être que le PPS qui a été le moins fragilisé par tous ces changements: il s’est tenu à un projet progressiste de coloration social-démocrate mais pas invertébrée, aseptisée, mais plutôt davantage réformatrice –d'où son passage dans l'opposition en octobre 2018. 

 

Le corollaire va être la faible attractivité de l'offre partisane. Les ferveurs mobilisatrices se sont atténuées par suite de la pratique gouvernementale des deux dernières décennies. L'on n'a plus affaire à une sorte de bipolarité opposant les uns aux autres, notamment socialisme, libéralisme. C'est qu’en effet l'insertion de plus en plus accentuée dans la mondialisation a poussé à l'instauration d'un marché libre et compétitif devant conduire à un ordre économique plus efficient et rational; il se traduit aussi sur le recentrage des divers rôles de l'Etat par le biais de la privatisation des entreprises et des coupes opérées dans les politiques de protection sociale.

 

Force est de dire que le champ du néolibéralisme est revu et corrigé au Maroc et que peu de voix l'assument haut et fort. C'est qu'il accroît les inégalités sociales et la précarité, qu'il réduit la souveraineté nationale, qu'il n'est pas toujours un levier du développement économique et qu'il minore le statut de l'homme assimilé à une marchandise. 

 

Toute une réflexion nationale est arrivée aujourd'hui à reposer en des termes nouveaux le projet de société. La vision royale a beaucoup aidé dans cette perspective avec les priorités données à l'homme comme finalité du développement. A son bien-être. Et au progrès social. Voici quatre ans déjà, le Souverain avait ainsi appelé à un réexamen du modèle de développement marqué par bien des insuffisances. Le NMD, adopté depuis, traduit bien une nouvelle ambition d'avenir. Mais les partis peuvent-ils être les maîtres d'œuvre de réalisation et de mobilisation? Ils s'apparentent en effet à des institutions «statutaires», tournées vers les élections, peu productrices d'idées, gérant souvent une addition d'ambitions individuelles et de plans de carrière sans parler de phénomènes de clientélisme, voire de népotisme… De quoi à tourner le dos à prise en charge des besoins, des attentes et des aspirations des citoyens. Le PJD n'a pas échappé non plus à cette situation: il a géré comme les autres et avec eux; son référentiel religieux a été édulcoré par les contraintes gouvernementales et la résistance de la société. Il a accusé, lui aussi, un déclassement.

 

Pourtant, jamais la politisation des citoyens n'a été aussi forte –les réseaux sociaux l'attestent. Mais c'est l'offre partisane qui reste pratiquement en panne. Il reste aux partis à se distinguer et à raviver autrement les formes d'action et d'encadrement. 

Par Mustapha Sehimi sur https://le360.ma




Lundi 17 Janvier 2022


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