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Drâa-Tafilalet : Terre des injustices


Par Rachid Boufous

Drâa-Tafilalet. Un nom qui chante comme une incantation. Une terre qui a façonné l’histoire du Maroc, nourri les caravanes transsahariennes, porté les rêves d’empires et d’oasis. Une terre où le soleil embrase chaque pierre, où les palmeraies se dressent comme des mirages, où les ksour millénaires murmurent encore des légendes. Une terre, berceau de la dynastie Alaouite actuelle, mais aussi, celles des Saadeens, des Almohades et des Almoravides. Mille ans d’histoire marocaine sont nés dans des contrées…



Mais derrière la poésie du désert, une réalité implacable se dresse : Drâa-Tafilalet est aujourd’hui l’une des régions les plus pauvres du Royaume, malgré des richesses inestimables.

En 2014, 19,4 % de ses habitants vivaient dans la pauvreté multidimensionnelle. En 2022, ce taux est tombé à 11,2 %. Une amélioration certaine, mais presque le double de la moyenne nationale. La pauvreté monétaire, elle, a reculé de 14,6 % à 4,9 %, la plus forte baisse régionale enregistrée. Des progrès qui montrent qu’un chemin est possible, mais aussi que la fracture demeure béante.
 
La pauvreté ici n’est pas abstraite. Elle se mesure en kilomètres avalés pour atteindre un dispensaire, en classes abandonnées faute de maîtres, en villages qui se vident faute d’eau. Elle se lit dans le chiffre brut : un taux d’analphabétisme de 34,5 % pour la population de plus de 10 ans, avec des écarts considérables entre hommes et femmes. Elle se voit dans la statistique glaçante : à Zagora, un seul lit d’hôpital pour 5 392 habitants ; à Tinghir, un pour 3 628.

La moyenne nationale, elle, est d’un lit pour 1 100 habitants. Ici, tomber malade est parfois une condamnation.

La santé est une fracture à ciel ouvert.

La région compte 1 174 lits hospitaliers pour plus de 1,6 million d’habitants. À Ouarzazate, on recense 763 habitants par lit ; à Errachidia, 828. Mais à Midelt, le ratio grimpe à 2.641, à Tinghir à 3.628, et à Zagora il explose. Les spécialités médicales sont rares : cardiologie, oncologie, gynécologie restent un luxe. Les évacuations vers Marrakech ou Fès sont fréquentes, longues et périlleuses. Les habitants le savent : un infarctus, une hémorragie, une chimiothérapie, une complication obstétricale peut devenir une fatalité.
 
L’école, miroir des espoirs brisés, ne fait pas mieux. Le préscolaire ne couvre que 1,4 % des enfants. Dans les villages reculés, les classes multi-niveaux sont la norme, avec un seul maître pour enseigner à des élèves de six âges différents. Les filles, souvent brillantes, quittent trop tôt le chemin de l’école. Dans certaines vallées, une sur deux abandonne avant le collège. Faute d’internats, faute de transport scolaire, faute d’un État assez proche. Derrière ces abandons, ce sont des générations entières de talents étouffés.

Et pourtant, les richesses abondent.

À Imiter, on extrait de l’argent. À Bou-Azzer, du cobalt, métal stratégique pour les batteries électriques, alimente les transitions énergétiques mondiales. À Midelt, les mines de Mibladen et d’Ahouli rappellent le plomb et le zinc qui firent jadis la fortune de la région. Noor Ouarzazate, fleuron solaire, projette l’image d’un Maroc innovant et durable. Mais cette abondance ne ruisselle pas. Les villages autour de ces sites vivent sans eau potable régulière, sans routes praticables, sans hôpitaux dignes de ce nom. La richesse part au loin, laissant derrière elle une poussière de promesses non tenues.

L’eau, plus que tout, symbolise cette tragédie.

Les oasis, jadis prospères, se meurent. Les khettaras, ces galeries souterraines qui alimentaient les palmeraies depuis des siècles, s’effondrent. Les nappes s’assèchent. Les forages anarchiques vident les sous-sols. Le changement climatique ajoute sa morsure. Les palmeraies disparaissent, les dattes deviennent rares, les familles s’exilent. L’exode rural saigne la région : des villages entiers se vident, des savoir-faire s’éteignent, des mémoires se perdent.
 
Ce paradoxe est insoutenable. Drâa-Tafilalet est riche de soleil, d’eau souterraine, de minerais, d’histoire. Et pourtant, elle reste pauvre, marginalisée, oubliée. Elle incarne, plus que toute autre, le Maroc à deux vitesses : celui des métropoles qui avancent, et celui des marges qui attendent.
Les solutions sont connues. Elles exigent une volonté ferme :
 
- Construire des hôpitaux modernes à Zagora, Goulmima et Tinghir, moderniser celui de Midelt.
- Déployer des unités mobiles médicalisées.
- Développer la télémédecine.
- Généraliser le préscolaire.
- Créer des internats pour les filles.
- Lancer un grand plan d’alphabétisation adulte.
-Créer un Fonds régional alimenté par les revenus miniers et solaires, avec une gouvernance transparente.
- Installer des unités de transformation pour garder la valeur sur place.
- Réhabiliter les khettaras, encadrer les forages.
- Développer des micro-stations solaires de dessalement.
- Replanter massivement les palmeraies.
- Achever les grands axes routiers, créer une régie régionale de bus.
- Connecter la région au numérique.

Mais au-delà des mesures, il faut une vision.

Drâa-Tafilalet ne peut plus être une marge. Elle doit devenir un laboratoire national de réconciliation territoriale.
Si la justice sociale doit commencer quelque part, c’est ici.
Si l’égalité des chances doit prendre racine, c’est ici.
Si le Maroc veut montrer au monde qu’il peut transformer ses périphéries en centres, c’est ici.
Car ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement une région. C’est l’unité d’un pays, la dignité de ses citoyens, la cohésion d’une nation.
 
Le jour où une mère de Zagora pourra accoucher en sécurité, où une fille de Tinghir pourra poursuivre ses études jusqu’à l’université, où un jeune de Midelt pourra travailler dans une usine qui transforme les minerais de sa terre, ce jour-là, Drâa-Tafilalet ne sera plus le symbole d’un désert d’injustice.
Il deviendra alors, la preuve éclatante qu’un pays a su entendre le cri de ses marges et les transformer en horizons.
 
Ce jour-là, les larmes ne seront plus de douleur mais de fierté et qu’enfin, cessent les injustices qui peinent cette terre bénie…
 



Mercredi 24 Septembre 2025


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