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Entretien : Amale Kenbib avocate pénaliste au barreau de Paris


Rédigé par le Jeudi 26 Juin 2025

Le 17 juin dernier, la Maison du Maroc à Paris a accueilli la présentation de l’ouvrage Femmes en lumière réalisé par Meknassi Bouabid (Éditions CIIRI), un recueil photographique salué pour sa mise en valeur de l’apport exceptionnel des femmes de la diaspora marocaine en France. À l’occasion de cette rencontre, la Fondation de la Maison du Maroc a réuni un panel de quatre personnalités féminines emblématiques : Izza Genini, Hajar Abdelmoumeni, Bouchra Bayed et Amale Kenbib.



Amale Kenbib, avocate au Barreau de Paris, a accepté de répondre aux questions de la rédaction de L’ODJ Média dans le cadre d’un entretien exclusif.

Amale Kenbib
Amale Kenbib
1. Les portraits de femmes présentes dans l'ouvrage "Femmes en lumière"  montrent le formidable parcours réalisé par les femmes de l'immigration depuis la première génération. Comment expliquer ces success stories des femmes avocates, Journalistes, experts comptables, artistes...?

Amale Kenbib: A mon sens, ces parcours s’expliquent, tout d’abord, par des qualités professionnelles et une volonté tenace de participer à la vie économique et sociale tant du Maroc que de la France.
Ces trajectoires me semblent aussi être le fruit d’un héritage peut-être invisible pour certains, mais très puissant.
Celui des parents qui ont œuvré pour offrir toutes les chances à leurs filles de prendre une entière place dans la société.
C’est aussi celui d’un pays d’origine qui n’a cessé de renforcer la place des femmes dans la société marocaine. 
J’ai en mémoire la présentation en public par Feue Sa Majesté Mohammed V de sa fille, Son Altesse Royale la Princesse Lalla Aicha, le 11 avril 1947, dans un moment politique fondateur, lors du discours de Tanger. Elle deviendra la première femme ambassadeur du monde arabe.
La Femme a alors eu sa place dans l’histoire, dans l’avenir à une époque où cela était peu courant. Ces symboles comptent. Plus récemment, Sa Majesté Mohammed VI a permis une réforme de la Moudouwana qui constitue un bouleversement majeur pour ce qui concerne la place de la femme au Maroc.
Il a également rappelé dans un discours fort, le rôle essentiel de la diaspora marocaine en ce compris des femmes, en appelant à mieux mobiliser ses compétences, à reconnaître sa contribution au rayonnement du Royaume. 
Ces femmes issues de l’immigration, astronome, élues, avocates, journalistes, artistes, médecins ou entrepreneuses etc, œuvrent en ce sens.
Elles n’ont pas seulement « réussi » pour leur propre compte : elles ont ouvert des voies dans des représentations figées.

2. Vous avez défendu des dossiers sensibles mêlant art, dopage, corruption ou erreur judiciaire. Qu’est-ce qui, selon vous, distingue une “bonne défense” dans un contexte médiatique et émotionnellement chargé ?

Amale Kenbib : Une Défense efficace impose de connaître parfaitement ses dossiers. Elle ne peut se contenter d’effets de manche. 
Par ailleurs, un avocat doit être loyal et irréprochable dans son exercice. Contrairement à ce que pensent certains, nous ne sommes ni les complices ni les amis de nos clients. Nous les défendons car c’est notre rôle d’auxiliaires de justice dans une société démocratique.
Une défense ne doit pas avoir peur de déplaire. Un avocat n’exerce pas pour séduire quiconque. Il doit être au combat et résister non seulement à la machine judiciaire mais également aux tribunaux médiatiques, au sensationnalisme, au « buzz » et à la bien-pensance.

Il faut maintenir un cap : le Droit et l’humain.

L’accusation démontre-t- elle la culpabilité du prévenu/ accusé, de manière juste, avec des armes équitables et juridiques ?
Les magistrats du siège respectent-ils dans l’intérêt du justiciable leurs obligations déontologiques d’indépendance, impartialité, intégrité, légalité, attention à autrui, discrétion et réserve ?
Quelle est la personnalité du mis en cause, son parcours et ce qui l’amène à être jugé ?

Seuls ces points comptent. Tout le reste est indifférent.

3. Dans l’ouvrage, vous apparaissez comme une voix forte contre les stéréotypes. Quel regard portez-vous sur la représentation des femmes issues de l’immigration dans le monde judiciaire français ?

Amale Kenbib : La représentation des femmes issues de l’immigration demeure faible dans le monde judiciaire français.

Dans la magistrature, elle est tout à fait marginale. Très peu de femmes issues de l’immigration sont magistrates. A ma connaissance, aucune n’occupe de hautes fonctions telles des Présidences de juridiction, de Procureur de la république ou de Procureur Général.
Au sein de l’avocature, elles sont déjà un peu plus nombreuses. Mais, elles avancent, souvent en silence. En effet, il existe tout de même un entre-soi chez les avocats qui leur laisse peu de places. 
Trouver une première collaboration a été difficile ; plus en tous cas que pour les autres confrères de ma promotion. Mais j’y suis parvenue.
Etre avocat ne suffit pas à effacer les soupçons de « non-conformité ». Quand une femme issue de l’immigration réussit dans le monde judiciaire, on la regarde souvent comme une exception, parfois avec une forme de suspicion, de condescendance ou d’exotisme. Elle aurait bénéficié d’un « ascenseur social » alors qu’en réalité ce-dernier, s’il a existé ; est en panne depuis fort longtemps. Il faut déconstruire cela.

4. Vous êtes avocate référente pour Médecins du Monde, présidez une association de dialogue avec la magistrature… Est-ce que l’engagement associatif est, pour vous, une prolongation naturelle de votre robe ?

Amale Kenbib : Selon moi, l’engagement associatif est indissociable de notre métier en ce sens que nous prêtons serment « « (..), comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité. »
L’humanité peut se traduire notamment par un engagement dans des activités pro-bono et/ou dans la défense de causes d’intérêt général. 
Il est de mon devoir d’assister et de représenter des personnes démunies avec le même engagement que pour n’importe quel autre client. Notre serment de l’avocat n’est pas une simple déclaration d’intention, il doit se traduire dans les faits.
Pour ce qui concerne le dialogue magistrats/ avocats qui est un élément essentiel pour le fonctionnement de la Justice, il est compliqué ; de plus en plus compliqué. L’objectif de mon association est d’offrir un espace d’échange apaisé et constructif. Nous n’y sommes pas encore. La route semble longue plus encore aujourd’hui qu’hier.

5. L’un des messages forts de Femmes en lumière est la nécessité d’oser, de ne pas s’autocensurer. Avez-vous, vous-même, dû lutter contre des injonctions ou des doutes pour tracer votre voie ?

Amale Kenbib : Le syndrome de l’imposteur reste un handicap très féminin. En droit pénal, le regard des confrères, clients et parfois magistrats a longtemps maintenu cet état d’esprit. Les clichés véhiculent l’idée que la matière serait réservée à ceux qu’on appelle ténors ou qui se proclament comme tels. C’est faux. Ce n’est pas la grosse voix ou l’agitation des manches de robe d’avocat qui font l’efficacité.

Pour ce qui me concerne, j’ai eu la chance d’avoir des parents et des grands parents qui m’ont toujours rassurée sur mes capacités à exercer le métier que j’ai choisi et encouragé à le faire.

Je pense souvent à mon grand-père qui était fasciné par les femmes de pouvoir. Il écoutait religieusement à la radio les discours de personnalités féminines et parmi elles, Gisèle Halimi, la plus grande figure de l’avocature féminine française. Celle-ci soutenait que "La cause des femmes est universelle. Et la justice, c’est la capacité à dire non, y compris à ce qui est établi. "i

Il n’avait peut-être pas lu ses livres, mais il avait compris une chose essentielle : une femme peut parler fort, défendre, s’engager, convaincre, et marquer son époque. Il a toujours encouragé ses filles à voyager, à être courageuses et à travailler pour être totalement indépendantes.

J’ai décidé de suivre ce chemin, ouvert par un homme dont les convictions étaient pour son époque peu communes et prolongé par des parents soucieux du bonheur de leurs enfants.
Bien entendu, le parcours est semé d’embuches et de doutes. Le doute est insomniaque mais la certitude est paresseuse. Je préfère l’insomnie.
En revanche, il ne faut jamais céder à une quelconque injonction. Personne n’a la légitimité de remettre en cause le parcours des femmes que nous sommes. Personne. Il ne faut pas se laisser définir par le regard des autres.

Ruth Bader Ginsburg, juge à la Cour suprême des États-Unis déclare ainsi que « Women belong in all places where decisions are being made. » à savoir que « Les femmes ont leur place partout où les décisions se prennent. » Il faut garder cette idée à l’esprit.

6. L’ouvrage insiste sur l’importance du vote et de la participation civique. Pensez-vous que les professions juridiques, trop souvent perçues comme élitistes, peuvent jouer un rôle moteur dans cette reconquête citoyenne ?

Amale Kenbib : Il est incontestable que droit et participation citoyenne sont fondamentaux dans la société.
Le droit garantit la Justice. Il est, en principe, un outil d’émancipation. 
Le vote citoyen permet notamment de choisir les parlementaires qui sont le législateur. Celui qui décide des lois.

Nous le constatons aujourd’hui, de nombreuses lois scélérates sont votées. Elles se plient à des objectifs de personnes animées de tactiques purement politiciennes et populistes. Cette tendance réactionnaire voire raciste ne peut être combattue que par l’engagement citoyen. 

Il est fondamental de redonner du sens au « Liberté, Egalité, Fraternité » qui ne sert désormais souvent que de frontons sur des institutions publiques.

Les professions juridiques peuvent et doivent aider à ce lien en sortant du formalisme, en vulgarisant, en allant vers les jeunes et en leur expliquant que leur place dans la Cité ne peut être abandonnée à d’autres. 

La démocratie se préserve via avec une conscience politique et cette-dernière doit se renforcer rapidement aujourd’hui. 

7. Si vous aviez un message à adresser à une jeune fille franco-marocaine qui rêve de justice mais doute d’y avoir sa place, que lui diriez-vous aujourd’hui ?

Amale Kenbib : Selon Leila Seth, première femme juge en chef d’un État indien (Himachal Pradesh), « It is not enough to open the doors to women. We must ensure they have the confidence to walk through.»
« Il ne suffit pas d’ouvrir les portes aux femmes. Il faut s’assurer qu’elles aient le courage et la confiance d’y entrer. »

Il n’existe aucune raison de ne pas avoir sa place dans le monde judiciaire, et certainement pas de raison ethnique, sociale ou religieuse. 

A celle qui souhaite épouser cette profession, je lui dirais de ne pas douter de sa légitimité. Les seules choses qui comptent sont le travail et l’investissement personnels fournis.

Il est aussi nécessaire de participer à des actions sociales pour échanger avec des avocats plus expérimentés et/ou avoir une connaissance plus fine de ce que sont les interactions dans le monde professionnel. Il faut se construire un réseau, une chaîne de solidarité, de confiance, de transmission ; dans l'idéal, de trouver un mentor. 

Le plus important est de garder à l’esprit que la Justice a besoin de regards neufs, de se renouveler, de sortir de certains a priori qui peuvent exister.

La Justice se rend ici au nom du Peuple français. Issue ou non de l’immigration et quoi qu’en disent les fâcheux, nous en faisons partie.

Who is Who : Amale Kenbib

Amale Kenbib est avocate pénaliste au barreau de Paris. 

Depuis près de vingt ans, elle défend des causes sensibles et des clients souvent stigmatisés. Dans ses dossiers, on croise des noms et des contextes aussi variés que des vols d’oeuvres de Picasso, des dossiers de blanchiment impliquant l’ancien ministre du pétrole africain, de dopage dans le monde du cyclisme, de scandale de corruption dans le cadre marchés énergétiques ou encore l’épopée du trésor romain du 3è siècle découvert en corse dans le golfe de Lava.

Mais ce sont parfois les anonymes qui marquent le plus : comme ce jeune homme de 18 ans injustement condamné pour assassinat et détenu pendant quatre ans, qu’elle est parvenu à faire acquitter en appel.

Dotée d’un humour cinglant et d’une loyauté sans faille envers ses clients, refuse de se laisser enfermer dans un récit réducteur.

Fière de ses racines marocaines, elle incarne une profession trop rarement associée aux femmes issues de la diversité. 

Son engagement, lui, ne fait aucun doute.





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