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Gros chantier de réforme universitaire : entre ambitions et zones d’ombre


Rédigé par La rédaction le Lundi 1 Septembre 2025

Le Maroc prépare une réforme majeure de l’enseignement supérieur. Gouvernance, financement, recherche, universités privées : analyse critique d’un projet entre espoir et inquiétudes.



une réforme attendue depuis 25 ans

Le Maroc s’apprête à tourner une page législative vieille de plus d’un quart de siècle. La loi 01-00 sur l’enseignement supérieur, adoptée au début des années 2000, a longtemps servi de cadre à un secteur en pleine expansion. Mais avec l’explosion du nombre d’étudiants, l’arrivée de nouveaux établissements privés et étrangers, la montée en puissance des défis numériques et la pression pour améliorer la recherche scientifique, ce texte apparaît aujourd’hui largement dépassé.

Le ministre Azzedine El Midaoui propose donc un projet de loi de réforme majeur, présenté en Conseil de gouvernement après l’été 2025. L’ambition affichée est claire : moderniser la gouvernance, diversifier les sources de financement et mieux arrimer l’université marocaine aux standards internationaux.

Mais derrière le discours officiel, la réforme soulève de nombreuses questions : s’agit-il d’un véritable saut qualitatif ou d’un simple replâtrage institutionnel ? Les avantages proclamés sont indéniables, mais les zones d’ombre demeurent.

Les atouts d’une réforme structurante

 

1. Une gouvernance clarifiée

Le texte vise d’abord à fixer clairement les orientations de l’État dans l’enseignement supérieur. Pendant trop longtemps, la loi 01-00 a laissé une marge d’interprétation qui a favorisé la coexistence d’universités publiques, privées et semi-publiques sans réelle coordination. La réforme entend instaurer une « unicité du service public », principe fort qui pourrait éviter la fragmentation institutionnelle et imposer des standards communs de qualité et de gouvernance.

2. Diversification des établissements et flexibilité des parcours

L’un des volets les plus prometteurs concerne la création de nouvelles catégories d’établissements : universités dédiées à la digitalisation, écoles à but non lucratif d’utilité publique, structures hybrides intégrant formation en présentiel, à distance et en alternance. Cette diversification répond aux besoins d’un marché du travail en mutation et pourrait rapprocher l’université des réalités économiques.

3. Autonomie renforcée et ouverture internationale

La réforme prévoit de consolider l’autonomie des universités. Moins de tutelle bureaucratique, plus de liberté dans la gestion académique et financière. Dans les meilleures pratiques mondiales, c’est cette autonomie qui permet l’innovation pédagogique, l’agilité administrative et l’attractivité pour les partenariats internationaux. De plus, l’ouverture aux établissements étrangers, par l’octroi d’autorisations et d’accréditations, pourrait stimuler la concurrence et hisser le niveau général.

4. Recherche et partenariat avec le privé

La loi introduit aussi un changement de paradigme : sortir la recherche de son isolement académique et l’orienter vers l’innovation et l’économie. Le partenariat public-privé est présenté comme levier central pour financer et valoriser la recherche. Dans un pays où les budgets publics sont contraints, cette piste peut permettre un financement additionnel tout en rapprochant l’université des entreprises.

5. Numérisation et système d’information national

Enfin, l’article 82 du projet promet un système d’information intégré pour gérer les établissements, suivre leurs performances et piloter le secteur grâce à la data. À l’heure où l’enseignement supérieur produit des centaines de milliers de diplômés par an, disposer d’une base nationale unifiée est une avancée considérable.


Les failles et inquiétudes

 

1. L’autonomie menacée par la dépendance financière

Donner plus d’autonomie aux universités est une idée séduisante. Mais dans un contexte où les ressources propres restent faibles, cette autonomie risque d’être purement théorique. Sans financement structurellement solide, les établissements dépendront encore du ministère et des arbitrages budgétaires annuels. Pire, l’incitation à générer des revenus propres peut pousser certaines universités à privilégier les filières rentables au détriment de disciplines fondamentales mais non lucratives (lettres, sciences sociales).

2. Le spectre de la privatisation rampante

L’ouverture massive aux établissements privés et étrangers soulève une inquiétude récurrente : la marchandisation de l’enseignement supérieur. Si la loi ne fixe pas de garde-fous clairs, le risque est de voir émerger un système à deux vitesses : des universités élitistes bien dotées, souvent privées, et un secteur public sous-financé, accueillant la majorité des étudiants. Cela pourrait accentuer les inégalités sociales plutôt que les réduire.

3. La recherche scientifique, toujours l’angle mort ?

Le texte parle de partenariats, d’innovation et d’évaluation. Mais le nerf de la guerre reste le financement. Or, le Maroc consacre moins de 1 % de son PIB à la recherche et développement, loin derrière des pays comparables. Sans un engagement budgétaire ferme, les partenariats privés ne suffiront pas à combler le retard. De plus, confier une partie de la recherche au secteur privé peut orienter les thématiques vers des priorités économiques immédiates, au détriment de la recherche fondamentale.

4. Une bureaucratie toujours pesante

Même avec l’introduction d’un système d’information national, la réforme reste marquée par une forte empreinte réglementaire. Multiplication de catégories d’établissements, procédures d’autorisation et d’accréditation, dispositifs d’évaluation… autant de mécanismes qui peuvent se transformer en couches supplémentaires de bureaucratie, ralentissant l’agilité que la loi prétend instaurer.

5. Ressources humaines : le maillon faible

Le projet insiste sur la valorisation des ressources humaines universitaires. Mais rien n’est dit sur les conditions de travail des enseignants-chercheurs, souvent confrontés à des charges administratives lourdes, à un manque de moyens pour la recherche et à une reconnaissance insuffisante. Sans amélioration substantielle du statut, des salaires et des perspectives de carrière, le risque est grand de voir cette réforme échouer faute de porteurs convaincus.


Les risques politiques et sociaux

 

L’université comme champ de tensions sociales

Le Maroc compte aujourd’hui plus d’1,2 million d’étudiants. Toute réforme touchant à l’accès, aux frais d’inscription ou à la gestion des filières peut rapidement devenir un sujet explosif. La réforme El Midaoui, en introduisant de nouvelles catégories d’établissements et en valorisant l’autonomie, risque d’être perçue comme une ouverture vers plus de sélection et de différenciation. Le spectre de mouvements étudiants contestataires n’est pas à écarter.

Une loi ambitieuse mais aux contours flous

Le texte présenté reste un cadre général. Beaucoup dépendra des décrets d’application et de la volonté politique réelle. La loi 01-00, en son temps, avait déjà promis autonomie et excellence. Vingt-cinq ans plus tard, le constat est mitigé. L’histoire pourrait se répéter si cette nouvelle loi se contente d’un affichage réformiste sans moyens concrets.


Points d’équilibre et recommandations

 

  1. Financement clair et durable : consacrer au moins 1,5 à 2 % du PIB à la recherche, et doter les universités publiques d’un financement stable.

  2. Équité sociale : instaurer des mécanismes de bourses et d’exonérations pour éviter une fracture entre étudiants riches et pauvres.

  3. Valorisation des enseignants-chercheurs : amélioration statutaire et salariale, réduction de la charge administrative, soutien accru aux laboratoires.

  4. Gouvernance partagée : associer les étudiants, les enseignants et le secteur privé aux décisions stratégiques, plutôt que d’imposer un modèle top-down.

  5. Evaluation indépendante : créer une agence autonome d’évaluation et d’assurance qualité, crédible et transparente.


​Une réforme entre espoir et vigilance

La réforme de l’enseignement supérieur présentée en août 2025 est indéniablement ambitieuse. Elle tente de moderniser un secteur en crise chronique, de l’aligner sur les standards internationaux et de lui offrir des marges d’autonomie et d’innovation. Mais sans un engagement budgétaire massif, sans garde-fous contre la privatisation sauvage et sans valorisation réelle du capital humain, le risque est grand de reproduire les désillusions de la loi 01-00.

L’université marocaine a besoin d’un souffle nouveau. La réforme El Midaoui peut en être l’amorce, à condition qu’elle dépasse le stade des intentions et qu’elle s’ancre dans une vision nationale claire : une université inclusive, innovante et moteur de développement.

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Lundi 1 Septembre 2025

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