L’inflation alimentaire, la hausse du coût du logement, la cherté du matériel électronique, le prix des fournitures scolaires… tout pousse les ménages à revoir leur rapport aux dépenses. Mais plutôt que de renoncer, les Marocains innovent. Le nouveau réflexe : acheter en pensant à la revente On n’achète plus un téléphone uniquement pour l’utiliser. On l’achète en pensant déjà à combien il pourra être revendu dans six mois, un an.

Ce raisonnement, autrefois marginal, est devenu normal. Les jeunes calculent la “durée de vie rentable” d’un ordinateur, les parents pensent au marché de l’occasion avant d’acheter la poussette, les étudiants choisissent leurs meubles en fonction de leur “scorabilité”.

Un cercle vertueux émerge : acheter → utiliser → revendre → réinvestir. La seconde vie devient un réflexe stratégique Ce qui est frappant, ce n’est pas seulement l’envie d’économiser, mais l’apparition d’une logique circulaire : Un tapis vendu permet de financer des plantes d’intérieur. Un ancien iPhone revend payé la moitié du nouveau.

Une paire de sneakers revendue finance un abonnement sportif. Pour beaucoup, ce n’est plus de la débrouille. C’est une gestion intelligente du budget.

Jamais le marché de la seconde main n’a été aussi dynamique au Maroc. La digitalisation lui a donné un terrain de jeu illimité. Marketplace, groupes FB, plateformes locales : une économie parallèle Tous les jours, des milliers de transactions se font via : Facebook Marketplace WhatsApp groups privés de quartier Vinted marocains émergents sites spécialisés “Annonces express” de TikTok boutiques physiques de seconde main remises au goût du jour.

On y trouve de tout : tables basses scandinaves, climatiseurs, tapis berbères, équipements gaming, sacs de marques, livres, poussettes, vélos, smartphones, meubles vintage, électroménager… La seconde main devient une norme, pas une alternative. Les boutiques de “seconde qualité” renaissent Dans plusieurs villes, les friperies et brocantes se modernisent.

Les propriétaires font leur vitrine comme de véritables concept stores, les pièces sont triées, désinfectées, photographiées. Certaines boutiques publient même leur “drop” du jour sur Instagram à 11h précises, et les clients attendent. Ce qui était considéré comme “beldi, vieux, pas fiable” devient : responsable, intelligent, malin, stylé.

La réparation revient en force, presque comme une revanche culturelle. Réparer redevient cool Les ateliers de téléphones ne désemplissent plus. Les réparateurs d’électroménager refont surface. Les cordonniers reçoivent à nouveau les clients. La couture traditionnelle se digitalise grâce aux couturières qui prennent des commandes sur WhatsApp.

Ce renouveau n’est pas seulement financier. Il est identitaire. Pendant longtemps, réparer était un signe de manque. Aujourd’hui, c’est un signe de responsabilité et de respect des objets. Les tutos YouTube marocains explosent :

-Changer une batterie soi-même.
-Recoller une semelle de chaussures.
-Réparer une chaise cassée.
-Refaire un vernis de table.

Les YouTubeurs marocains spécialisés dans la réparation cumulent des centaines de milliers de vues. Le Maroc redécouvre une forme d’autonomie : savoir réparer, c’est savoir économiser.

Ce phénomène dépasse la simple économie. Il redéfinit la valeur. On n’achète plus pour posséder, on achète pour optimiser.

Un objet n’est plus jugé selon son prix, mais selon : sa durabilité sa valeur de revente son coût d’entretien son impact écologique sa polyvalence sa capacité à être adapté, transformé, recyclé.

Les Marocains deviennent des consommateurs experts, attentifs, stratégiques. Les objets deviennent des actifs On commence à parler d’objets “liquidables”, d’achats “réversibles”. Un achat n’est plus un coût, mais un placement temporaire.

Un meuble bien choisi, une marque de qualité, un appareil robuste… Tout peut devenir un actif, même un sac à main, une cafetière ou un micro-ondes. L’économie du secondement crée une nouvelle intelligence financière, transversale, qui touche toutes les classes sociales.

L’économie du secondement n’est pas une mode. C’est un tournant culturel majeur. Dans un monde où le pouvoir d’achat est fragile et l’écologie devient urgente, les Marocains inventent une nouvelle manière de consommer : plus flexible plus circulaire plus réfléchie plus créative plus responsable.

On revend, on transmet, on recycle, on répare, on optimise. C’est peut-être là le début d’un Maroc où l’objet cesse d’être jetable.

Où chaque achat devient un choix stratégique. Où la valeur se mesure en vies… et non en prix. Le Maroc n’est pas seulement en train d’adopter l’économie du secondement. Il est en train de la réinventer, à sa manière : intelligente, intuitive, résiliente, profondément humaine.