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La corruption au Maroc vue par l’OCDE




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Par Abdeslam Seddiki

Le rapport de l’OCDE sur l’économie marocaine publié tout récemment présente un intérêt certain eu égard aux questions soulevées et aux propositions formulées pour résoudre un certain nombre de dysfonctionnements et de faiblesses. Articulée autour de trois grands chapitres : principaux éclairages sur l’action publique ; améliorer l’investissement, les résultats des entreprises et la productivité ; créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité, l’étude   s’inscrit dans la réalisation programme pays 2 dont le Maroc est l’un des rares bénéficiaires.

Ce Programme-pays pour le Maroc 2 est conçu pour soutenir la mise en œuvre du Nouveau modèle de développement du Maroc. Il s'articule autour de quatre piliers : i) améliorer la gouvernance publique et lutter contre la corruption ; ii) rendre le Maroc plus attrayant pour les investisseurs et améliorer la compétitivité ; iii) favoriser une société plus inclusive en soutenant l'éducation et l'émancipation économique des femmes ; iv) libérer le potentiel des régions du Maroc. Il comprend 15 projets répartis dans 6 directions de l'OCDE.
Sans aborder dans le détail le contenu du rapport susmentionné, limitons-nous à soulever avec l’OCDE la question de la gouvernance publique et plus précisément de la corruption à laquelle les rédacteurs de l’étude ont consacré de longs développements et pour cause ! 

Ainsi, malgré les efforts, du reste timides, déployés par le Maroc en vue de lutter contre la corruption, le niveau de corruption perçue est relativement élevé au Maroc par rapport aux normes de l’OCDE et par rapport à d’autres pays de la région. En 2023, le Maroc s’est classé au 97ème rang parmi les pays figurant dans cet indice. De même, le score moyen du Maroc au regard de l’indicateur de maîtrise de la corruption du « Projet Varieties of Democracy » est faible par rapport aux normes de l’OCDE. Toujours selon cet indicateur, la perception du recours aux contreparties est élevée : 83 % des personnes interrogées ayant déclaré qu’il s’agit d’une pratique répandue au Maroc et 61 % d’entre elles la qualifiant d’extrêmement répandue. 
Les résultats de la dernière étude menée en 2023 par l’Instance Nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre le Corruption, révèlent que 67 % des personnes interrogées pensent que la corruption est un phénomène répandu ou très répandu. La difficulté d’accès à l’information concernant les affaires juridiques liées à la corruption souligne la nécessité d’une plus grande transparence.

La corruption est présente dans l’ensemble du paysage économique. La petite corruption est endémique, selon les entreprises qui, dans le cadre d’une enquête représentative, (réalisée par la Banque Mondiale) ont répondu affirmativement à hauteur de 35 % lorsqu’il leur a été demandé si les contreparties étaient nécessaires pour obtenir des résultats. Les pays de la région MENA affichent en général un niveau de corruption relativement élevé, mais certaines enquêtes indiquent que le Maroc se caractérise par une forte prévalence des contreparties dans de nombreux aspects de l’activité économique couverts par l’enquête. Il ressort de ces enquêtes que des contreparties sont souvent nécessaires pour obtenir une autorisation d’exploitation, une licence d’importation ou un permis de construire. Dans l’ensemble, les résultats révèlent que près de 13 % des transactions entre l’administration et les entreprises impliquent des contreparties. 50% des entreprises estiment devoir offrir des « cadeaux » pour obtenir un permis de construire ; près de 30% d’entre elles estiment devoir offrir des cadeaux lors de réunions avec des agents du fisc…

Par ailleurs, le domaine des marchés publics est une source fertile pour la corruption. Au Maroc, plus de la moitié (58%) des entreprises estiment qu’elles doivent prévoir des cadeaux pour s’assurer d’obtenir les marchés publics. Depuis août 2023, une réforme impose d’effectuer la passation des marchés publics en ligne. La dématérialisation du processus d’appel d’offres et une transparence accrue permettront de réduire la corruption. 

Toutes les mesures préconisées par le Maroc à commencer par l’adoption d’une stratégie de lutte contre la corruption, la mise en place de l’Instance Nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre le Corruption,  la création de  La Commission nationale Anti-Corruption que préside le Chef du gouvernement, la transformation numérique des procédures administratives, l’obligation des hauts fonctionnaires de procéder à  une  déclaration de leur patrimoine sont relativement utiles, mais leur effet demeure très limité.  
À ce jour, le Maroc ne dispose pas encore d’un système efficace de détection et de gestion des conflits d’intérêts auxquels les fonctionnaires peuvent être confrontés. Aucune loi ne couvre l’enrichissement illicite et les signes extérieurs de la richesse. En 2020, les autorités ont annoncé des projets de loi et des propositions concernant la mise à jour des normes relatives aux conflits d’intérêts et leur alignement sur les normes internationales, mais il n’y a eu à ce jour aucune mise en œuvre concrète, relève l’OCDE en rappelant que le Maroc n’est pas encore signataire de la Convention anticorruption de l’OCDE.

En outre, l’OCDE relève qu’il n’existe aucune législation régissant les activités de lobbying, ce qui aiderait pourtant à renforcer la transparence des processus décisionnels publics et à empêcher certains groupes d’intérêt d’exercer une influence injustifiée, ni aucune norme en matière de gestion des risques liés à la pratique dite de pantouflage, à savoir les allers et retours entre emploi dans le secteur public et emploi dans le secteur privé. Afin de tenir l’engagement pris par le pays en tant que signataire de la Convention des Nations unies contre la corruption, à savoir adopter des lois nationales pertinentes, les autorités publiques ont présenté en février 2019 un projet de loi sur la protection des lanceurs d’alerte. Ce qui constitue un pas important.

Il faut cependant préciser, ce que n’ont pas fait les rédacteurs de l’étude, que ces « transactions » entre le corrupteur et le corrompu appellent des précisions : en général, celui qui recourt aux pots de vin et aux « cadeaux », c’est quelqu’un qui viole la loi et la réglementation. Pour le corrompu potentiel, cette violation de la réglementation   est une aubaine, car elle lui permet de placer la barre haut et d’être en position de force dans la transaction.  Dans d’autres cas, l’administration met en place à dessein   une réglementation tellement tatillonne et compliquée pour favoriser le marché de la corruption. 

Le phénomène de la corruption est une véritable toile d’araignée.  Quand elle est profondément enracinée dans les structures sociales, économiques et politiques, les mesures juridiques et disciplinaires qui sont absolument nécessaires, ne sont pas à elles seules suffisantes pour endiguer ce fléau. Tous les moyens doivent être actionnés dans ce sens à commencer par l’éducation des citoyens au respect de valeurs éthiques, à l’intégrité, à la valorisation de l’effort. Tant que la majorité des citoyens pensent que l’argent est le moyen qui mène vers le « paradis sur terre », la corruption ne fera que s’amplifier.

Les valeurs de mérite et d’honnêteté se sont dévalorisées au profit de l’intrigue et de la triche. D’où le rôle de l’éducation de la jeunesse et la révision du contenu des manuels scolaires pour inculquer ces valeurs d’éthique et de probité.

Cette approche culturelle doit aller de pair avec le renforcement de la démocratie. Ce qui exige des élections honnêtes donnant lieu à des instituions réellement représentatives, une limitation des mandats électoraux et d’accès aux responsabilités publiques, une justice indépendante et transparente, un accès libre à l’information, une transparence budgétaire, une législation sur le conflit d’intérêts, un renforcement du rôle de la société civile, des médias   et une protection accrue des lanceurs d’alerte. Enfin, une collaboration internationale est nécessaire dans la mesure où la corruption s’organise au niveau transnational à travers des réseaux mafieux et autres. 

Notre pays a tout à gagner en menant ce combat salutaire. C’est un combat civilisationnel qui va libérer les initiatives et remettre les pendules à l’heure.   En réduisant de moitié l’écart observé par rapport à la moyenne mondiale en matière d’indicateurs de corruption, le PIB par habitant augmenterait à long terme de 8,5%. Si on y ajoute les effets induits par d’autres réformes comme l’augmentation du taux d’activité des femmes, pour le porter au moins au niveau de la Tunisie, soit 25%, (7,9 % en plus du PIB par habitant) et le renforcement du capital humain (11,7% du PIB par habitant), on dégage un surplus de richesse de près de 30% par habitant. 

L’enjeu en vaut bien la chandelle !

 



Vendredi 27 Septembre 2024


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