Par Mohammed Yassir Mouline
La séquence s’est prolongée dans l’expression spontanée de la joie après les buts de l’équipe nationale, puis dans le salut respectueux adressé au président de l’Union des Comores, assis à ses côtés… Loin de l’exubérance, cette alternance entre émotion partagée et retenue diplomatique donne à voir un registre hybride… Un corps Princier capable d’adhésion affective sans renoncer à la maîtrise du rôle institutionnel…
Lorsque SAR le Prince héritier se libère des contraintes du protocole et agit comme n’importe quel citoyen spectateur, se levant spontanément après un but inscrit en faveur de l’élite nationale, brandissant le poing dans les airs, nous ne sommes pas face à une simple réaction sportive passagère, mais devant un moment hautement symbolique, dense de sens… Une scène à laquelle les Marocains n’étaient pas habitués avec les princes, où le protocole imposait toujours une distance symbolique entre « le Prince » et « l’événement », entre le corps royal et l’émotion populaire…
Le Prince héritier aurait pu rester assis, se contenter d’applaudissements mesurés, calmes, dépourvus de toute manifestation corporelle visible, comme l’exige la logique classique de la représentation monarchique… Car la fonction, en tant que fonction, n’impose pas l’émotion… elle tend même, le plus souvent, à la réprimer… Or, ce qui s’est produit fut exactement l’inverse… l’humain en lui a pris le dessus sur l’image, l’instant a dominé le rituel, et le sentiment sincère a prévalu sur les règles d’une représentation froide…
Ici, la fonction n’empêche pas le Prince héritier d’apparaître comme un être humain ordinaire… au contraire, la scène a révélé que le « naturel » peut faire partie de la prestance, et non en être l’antithèse… L’autorité symbolique ne se construit pas toujours sur la distance… parfois, elle se fonde sur la proximité et sur la capacité à partager l’émotion collective sans intermédiaire… Le poing levé n’était pas une démonstration de force, mais une expression d’adhésion… adhésion à la joie collective, au battement du stade, à un moment national qui unit plutôt qu’il ne divise…
Dans ce sens, la scène ouvre un nouvel horizon pour comprendre la relation entre la nouvelle génération de l’institution monarchique et la société... Nous assistons à un passage discret du « Prince spectateur » au « Prince participant », d’un protocole rigide à une intelligence symbolique capable de lire l’instant et d’y répondre sans affectation… C’est un message implicite selon lequel la légitimité ne se préserve pas uniquement par la solennité, mais aussi par la capacité à partager les émotions des citoyens, dans la joie comme dans d’autres moments…
Car il ne s’agit pas ici de football… Pas davantage d’une opération de communication savamment scénarisée... Ce qui s’est donné à voir relève d’un déplacement plus profond… une reconfiguration silencieuse du rapport entre la monarchie, le corps social et l’espace public... Longtemps, la représentation monarchique marocaine, comme celle de nombreuses monarchies, s’est construite sur la distance, la retenue et la ritualisation du corps royal... Le protocole n’était pas seulement un ensemble de règles formelles, mais une véritable technologie du pouvoir, maintenant une séparation symbolique entre l’autorité et l’émotion populaire...
La scène observée introduit une tension nouvelle dans cette architecture… Il ne s’agit pas d’abolir la distance, mais de la rendre modulable… Le Prince héritier n’a pas quitté son rôle… il l’a investi autrement… En laissant apparaître une émotion partagée, il a introduit dans la grammaire monarchique un registre longtemps marginalisé… celui de la participation affective directe… Le pouvoir ne se banalise pas pour autant… il se rend lisible…
Dans ce cadre, la figure du « Prince participant » ne relève ni du populisme ni de la banalisation… Elle procède d’une reformulation de la majesté... La dignité du pouvoir ne se dissout pas dans la proximité… elle peut s’y renforcer lorsqu’elle demeure maîtrisée... Le geste n’efface pas la hiérarchie… il la rend socialement acceptable… L’émotion n’affaiblit pas la fonction… elle en humanise l’exercice…
La cérémonie ne relevait pas de la simple vitrine sportive… Elle fonctionnait comme un dispositif de diplomatie culturelle soigneusement agencé… Le zellige, la cartographie nationale, les références africaines et les choix scénographiques participaient d’un récit cohérent… celui d’un État qui affirme son identité sans la transformer en instrument de confrontation… Le zellige, en particulier, opérait comme une métaphore politique… celle d’une unité construite à partir de la pluralité, d’une cohésion née de l’assemblage plutôt que de l’effacement des différences…
La présence explicite de la carte complète du Maroc s’inscrivait dans la même logique… Non brandie comme un slogan, mais intégrée comme une évidence visuelle, elle déplaçait la question de la souveraineté territoriale du registre conflictuel vers celui de la normalité culturelle… Ce qui est montré sans insistance devient difficile à contester sans paraître artificiel…
Au-delà du cadre national, le message adressé à l’Afrique était central… Le Maroc ne s’y présentait pas comme un acteur en quête de reconnaissance, mais comme une composante organique de l’espace africain… Les références culturelles africaines n’étaient pas décoratives, mais constitutives d’une identité historiquement enracinée dans le continent... Cette posture tranche avec les logiques contemporaines de concurrence d’influence, privilégiant l’inscription culturelle à la démonstration de puissance.
Mis en regard, le geste spontané du Prince Héritier « sous la pluie, sans mise à distance visible » et la scénographie maîtrisée de l’ouverture de la CAN relèvent d’un même paradigme… celui d’un pouvoir qui articule proximité émotionnelle et souveraineté symbolique… D’un côté, un corps Princier qui accepte l’exposition et l’émotion partagée… de l’autre, un État qui affirme sa position par le calme des symboles plutôt que par la crispation des discours…
Il ne s’agit ni d’une rupture ni d’une exception… Mais d’une évolution graduelle, prudente, mesurée... Le Maroc semble expérimenter une modernité politique silencieuse, où la légitimité se construit dans l’équilibre entre continuité institutionnelle et adaptation aux attentes sociales contemporaines… Une modernité où le pouvoir ne cherche pas à s’imposer par la hauteur, mais à durer par la compréhension…
Dans cette perspective, la scène du poing levé, sous la pluie, n’est ni anodine ni spectaculaire… Elle est révélatrice... Elle dit quelque chose d’un État qui cherche à conjuguer autorité et empathie, verticalité et résonance collective… Être Prince Héritier sans cesser d’être humain… être État sans renoncer à la culture… être souverain sans élever la voix… C’est peut-être là, aujourd’hui, l’une des formes les plus efficaces du pouvoir.












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