1. Une architecture stratégique en pleine recomposition
1.1. Le Maroc, un acteur central de la Méditerranée occidentale
Depuis une quinzaine d’années, le Maroc a mis en place une stratégie d’influence multidimensionnelle visant à renforcer sa souveraineté, diversifier ses alliances et consolider son rôle régional.
Cela s’est traduit par :
- une montée en puissance diplomatique en Afrique de l’Ouest,
- un repositionnement affirmé dans les partenariats euro-méditerranéens,
- des infrastructures logistiques et industrielles capables de rivaliser avec celles du nord du détroit,
- un engagement sécuritaire indispensable pour l’Europe, notamment en matière de lutte antiterroriste et de contrôle des flux migratoires.
Pour une grande partie du paysage politique espagnol, cette nouvelle réalité est admise et intégrée. Pour le PP, elle demeure difficile à accepter.
1.2. La stabilisation internationale du dossier du Sahara
Le dossier du Sahara constitue l’un des points de rupture les plus visibles. La reconnaissance américaine en 2020, suivie par une série de soutiens explicites ou implicites de pays européens et africains, a donné une nouvelle légitimité au plan d’autonomie marocain.
Même Madrid, historiquement prudente, a évolué en 2022 vers une position plus réaliste, reconnaissant la pertinence de la solution proposée par Rabat.
Cette évolution, conforme aux tendances géopolitiques globales, est pourtant critiquée par le PP, qui y voit un abandon de l’ancienne posture espagnole.
Ce refus d’intégrer la nouvelle donne diplomatique témoigne d’un décalage entre la vision du PP et la réalité stratégique du moment.
2. La réaction du PP : un mélange de réflexes historiques et de calculs politiques internes
2.1. Le Maroc comme instrument de mobilisation politique
Le PP n’aborde pas le Maroc uniquement sous l’angle diplomatique. Il s’agit également d’un objet politique interne. Pour une partie de son électorat, les relations avec Rabat activent des sensibilités identitaires fortes.
Dès lors, tenir un discours dur envers le Maroc permet au PP :
- De rassurer une base conservatrice attachée à une vision traditionnelle des rapports ibéro-maghrébins,
- de se positionner face à la concurrence sur le terrain du nationalisme,
- de mobiliser symboliquement autour de notions de souveraineté.
Dans ce contexte, la politique étrangère devient un levier électoral, davantage qu’un outil de définition stratégique.
2.2. Les inerties post-coloniales : un prisme qui survit aux réalités géopolitiques
Sebta, Melilia, les anciennes possessions espagnoles au Sahara !
Ces sujets restent associés, dans l’imaginaire politique de la droite espagnole, à une période où Madrid jouissait d’une influence régionale plus affirmée.
Certains responsables du PP s’inscrivent, consciemment ou non, dans ce que plusieurs chercheurs décrivent comme un processus de « nostalgie post-impériale » : l’idée que l’Espagne conserve des droits implicites ou une forme de primauté naturelle dans son voisinage sud.
Ce prisme historique rend plus difficile l’acceptation d’un Maroc qui n’est plus un acteur subordonné mais un partenaire stratégique autonome, doté de ses propres capacités d’influence.
3. Une diplomatie parallèle qui affaiblit la cohérence espagnole
3.1. Les manœuvres parlementaires : symboliques mais contre-productives
Les résolutions destinées à contester la position du gouvernement sur le Sahara, les débats visant à pointer du doigt Rabat ou les questions à répétition sur les enclaves produisent un effet inverse de celui recherché.
Elles n’orientent pas la politique étrangère, qu’elles ne contrôlent pas. En revanche, elles créent un bruit diplomatique susceptible d’affaiblir la lisibilité de Madrid à l’international.
3.2. Les attaques économiques : une lecture faussée de la compétitivité marocaine
Le PP critique régulièrement la montée en gamme des activités marocaines dans les secteurs de l’agriculture, l’industrie ou la logistique.
Or ces critiques révèlent une difficulté à accepter que le Maroc n’est plus un simple partenaire périphérique mais un concurrent et parfois un allié de même niveau dans certaines chaînes de valeur.
En contestant systématiquement les progrès marocains, le PP entretient une narration selon laquelle tout développement au sud du détroit serait une menace pour l’Espagne, alors que les interdépendances économiques montrent l’inverse.
3.3. L’instrumentalisation de dossiers humanitaires : un risque pour la confiance mutuelle
À plusieurs reprises, le PP a mis en avant des cas humanitaires ou individuels pour alimenter une polémique diplomatique avec Rabat.
Si ces pratiques permettent une médiatisation rapide, elles risquent néanmoins d’affaiblir la confiance indispensable à la coopération bilatérale, notamment dans les domaines sensibles : sécurité, migration, renseignement, lutte contre les réseaux criminels.
Vers une relation asymétriquement dépendante : pourquoi la stratégie du PP menace d’isoler l’Espagne
4. Un paysage diplomatique européen en mutation : Madrid ne peut plus se permettre l’ambiguïté
4.1. L’Europe reconfigure ses priorités au Sud :
Alors que l’Union européenne redéfinit ses partenariats stratégiques au sud de la Méditerranée, le Maroc s’impose comme un interlocuteur incontournable sur plusieurs dossiers essentiels :
-la transition énergétique,
-la sécurité régionale,
-la gestion migratoire,
-les chaînes d’approvisionnement industrielles,
-la stabilité de l’Afrique de l’Ouest.
Les pays européens ayant adopté une position claire et constructive vis-à-vis de Rabat, Allemagne, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni ont amélioré leur accès à un marché en croissance et à un partenaire géopolitique fiable.
L’Espagne, en revanche, oscille entre deux dynamiques : la ligne institutionnelle du gouvernement, alignée sur le réalisme européen, et la ligne agitée du PP, qui souffle le chaud et le froid.
4.2. Une instabilité politique espagnole observée avec inquiétude à Bruxelles
Pour plusieurs partenaires européens, les prises de position virulentes du PP contre Rabat sont perçues non pas comme un débat normal entre majorité et opposition, mais comme un risque d’imprévisibilité diplomatique.
Ce flou peut affaiblir la stature internationale de Madrid et amoindrir sa capacité à peser sur les dossiers euro-méditerranéens.
5. Un contresens stratégique : la dépendance espagnole aux équilibres marocains
5.1. Une coopération sécuritaire devenue indispensable
Les faits sont têtus : sans la coopération marocaine, l’Espagne ne pourrait pas gérer efficacement :
- la lutte contre les cellules djihadistes,
- la surveillance maritime,
- la gestion des flux migratoires irréguliers,
- la prévention des réseaux criminels transnationaux,
- la sécurité des îles Canaries.
Ainsi, adopter une logique d’affrontement permanent ne relève pas d’une posture diplomatique, mais d’un aveuglement stratégique.
5.2. Une interdépendance économique que le PP sous-estime
Le PP évoque souvent les « menaces » que représenterait la montée en puissance économique du Maroc. Or la réalité est toute autre : les économies des deux pays sont aujourd’hui profondément imbriquées.
Quelques exemples :
- plus de 20 000 entreprises espagnoles exportent vers le Maroc,
- le Maroc est devenu l’un des premiers marchés hors UE pour l’Espagne,
- les ports espagnols comme Algésiras dépendent du dynamisme logistique marocain,
- de nombreuses chaînes industrielles automobiles et aéronautiques sont binationales.
Plutôt que d’accepter cette nouvelle configuration, le PP persiste dans une vision où toute progression marocaine est automatiquement un recul pour l’Espagne; un schéma qui ne correspond plus à la réalité de 2025.
5.3. Sebta et Melilia : la ligne rouge instrumentalisée
Les enclaves de Sebta et Melilia sont régulièrement mobilisées par le PP comme outils de pression politique interne.
Or cette surexploitation risque de transformer deux dossiers sensibles en points de friction diplomatique permanents, au lieu de les inscrire dans un cadre mature de gestion bilatérale.
Rabat, de son côté, adopte une position constante : considérer ces enclaves comme un dossier historique à résoudre pacifiquement, tout en privilégiant les équilibres régionaux.
Le PP, en dramatisant systématiquement la question, contribue à créer une tension artificielle qui ne sert ni les intérêts espagnols, ni ceux des habitants de ces territoires.
6. Le retournement historique : du centre vers la périphérie
6.1. Le Maroc n’est plus un objet de politique espagnole, mais un acteur autonome
Le PP entretient parfois l’idée que l’Espagne pourrait définir unilatéralement la relation bilatérale, comme au siècle dernier. Mais le rapport de forces s’est transformé.
Le Maroc dispose aujourd’hui de leviers que Madrid ne peut ignorer :
- une diplomatie africaine solide,
- un réseau d’alliances internationales diversifié (Washington, Londres, Pékin, pays du Golfe),
- une capacité énergétique en expansion,
- une influence croissante dans plusieurs organismes internationaux,
- une économie plus résiliente que certains préjugés ne le laisseraient penser.
- Ignorer cette réalité, c’est se condamner à produire une diplomatie anachronique.
6.2. Une Espagne tiraillée entre deux visions du monde
D’un côté, une Espagne institutionnelle, consciente que la stabilité de la Méditerranée occidentale dépend d’une relation solide et constructive avec Rabat.
De l’autre, un PP captif d’un imaginaire politique où l’Espagne conserverait naturellement un rôle dominant dans son voisinage sud.
Ce contraste affaiblit la projection internationale du pays. Il donne l’impression d’une puissance européenne encore hésitante face au nouvel ordre régional, alors même que Madrid aurait tout à gagner à s’inscrire dans une logique de respect mutuel et de coopération stratégique.
Le différend entre le Maroc et le PP ne relève ni d’une divergence diplomatique rationnelle, ni d’un débat technique sur les relations bilatérales.
- celle d’un Maroc qui assume son rôle régional et consolide sa souveraineté,
- et celle d’un PP prisonnier d’un prisme historique dépassé.
La relation maroco-espagnole ne peut progresser que si les principaux acteurs politiques de Madrid acceptent une évidence : le temps où l’Espagne définissait seule les équilibres du détroit est révolu.
Par Mohammed Benahmed












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