L’État, les institutions, la classe politique, l’école, la famille même, n’arrivent plus à produire du sens collectif. Il ne reste que des individus dispersés, certains éclairés et connectés, d’autres abandonnés et analphabètes de la citoyenneté. Dans cette fracture, la violence surgit comme un langage. Ce n’est pas une idéologie : c’est un instinct. Quand la société devient muette, les corps parlent par la casse, le feu, le vol…
Il ne faut pas s’y tromper : ces scènes ne sont pas seulement des débordements de voyous. Elles sont le miroir noir de notre incapacité à entendre les signaux faibles. Cela fait des années que les économistes, les sociologues, les enseignants alertent sur la précarisation des jeunes, sur l’angoisse des familles, sur la pauvreté invisible des classes moyennes. Mais tant que le calme apparent tenait, on a préféré célébrer la “stabilité”. Ce mot magique, brandi comme une fin en soi, a anesthésié le débat public. Or, la stabilité sans justice n’est qu’une immobilité explosive.
Le voleur d’huile n’est pas un ennemi : il est le produit d’un déséquilibre systémique. Il porte sur ses épaules la charge symbolique d’un pays où l’ascenseur social est en panne, où la réussite semble réservée à ceux qui trichent, où la pauvreté se vit dans la honte et la solitude. En volant, il franchit la limite de la légalité, mais il met aussi à nu la limite morale de la société tout entière.