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Le vrai prix du lait au Maroc : décryptage d’un produit emblématique de la surmarge


le Mercredi 9 Juillet 2025

Enquête sur une chaîne de valeur où le consommateur paie bien plus que le producteur ne gagne



 Le lait, symbole d’un marché déséquilibré

Produit de base de l’alimentation quotidienne, le lait tient une place particulière dans le panier du consommateur marocain. Mais depuis plusieurs années, son prix à la consommation ne cesse d’augmenter, sans que cette hausse ne se traduise nécessairement par un meilleur revenu pour les producteurs ou une amélioration de la qualité.

À travers son Avis A/1/25 publié en février 2025, le Conseil de la Concurrence a choisi d’en faire un cas d’école pour illustrer les dérives dans les circuits de distribution. Résultat : entre le prix de sortie usine et le prix affiché au rayon frais, le lait pasteurisé comme le lait UHT subissent des marges dont la justification économique reste floue, voire absente.

 Une chaîne de valeur complexe, mais pas transparente

La filière laitière marocaine repose sur un tissu de petits producteurs, de coopératives, de collecteurs, d’unités industrielles, de grossistes et de distributeurs. Chaque maillon ajoute une couche de coûts… et de marges.

Selon le Conseil, le lait pasteurisé demi-écrémé en brique, vendu en moyenne à 4,50 DH le demi-litre en grande surface, est acheté par le distributeur autour de 3,00 DH. Or, le coût de sortie d’usine de ce même produit oscille entre 2,20 et 2,50 DH. L’écart total entre le producteur laitier et l’étalage dépasse donc 2 DH par demi-litre, soit plus de 40 % du prix final.

Pour le lait UHT, la situation est comparable : les prix de vente au détail dépassent régulièrement 10 DH le litre pour des produits dont le tarif de cession se situe autour de 6,50 à 7 DH. Et ce, même en l’absence de variation significative du prix du lait cru ou des intrants industriels.

Pasteurisé vs UHT : même dynamique inflationniste

L’un des constats les plus préoccupants du Conseil est que la logique inflationniste affecte aussi bien les produits frais que les produits longue conservation.

Le lait pasteurisé, qui nécessite une chaîne du froid plus rigoureuse et un écoulement rapide, devrait logiquement être plus coûteux en distribution. Pourtant, les marges observées sur ce segment restent proches de celles appliquées au lait UHT, qui bénéficie d’une durée de conservation de plusieurs mois et d’une logistique moins coûteuse.

Cette homogénéisation des prix de vente masque des différences de coûts réels, et témoigne d’un fonctionnement "mimétique" de la tarification dans les GMS, où les enseignes s’alignent sur les marques leaders sans considération pour la structure des coûts.

Marges arrière et frontales : la double peine pour le fournisseur

L’analyse de la répartition de la valeur montre que le producteur laitier reste le grand perdant de cette équation. La valeur ajoutée est principalement captée par l’industrie de transformation et la grande distribution.

Mais ce n’est pas tout : les distributeurs imposent aux industriels des marges arrière, autrement dit des remises ou commissions cachées, en échange d’un bon référencement en rayon. Ces marges ne sont pas intégrées dans les prix affichés, mais elles alourdissent les coûts des industriels… qui les répercutent sur les prix proposés aux distributeurs. Et ainsi de suite jusqu’au consommateur.

Le Conseil de la Concurrence alerte sur l’opacité de ces pratiques. Dans certains cas étudiés, les marges arrière représentent jusqu’à 25 % du tarif facturé par l’industriel, en plus de la marge frontale classique. Un système de double marge qui fausse la concurrence et étouffe les plus petits acteurs.

Circuits traditionnels vs modernes : mêmes hausses, logiques différentes

On pourrait croire que les circuits traditionnels (épiciers de quartier, souks) échappent à cette logique inflationniste. Pourtant, le rapport montre que les prix pratiqués y sont globalement comparables, voire légèrement plus élevés dans certaines zones rurales.

Comment expliquer cela ? D’une part, ces détaillants achètent à des intermédiaires ou grossistes, qui eux-mêmes intègrent des marges souvent peu régulées. D’autre part, en l’absence de concurrence directe et de surveillance, les petits commerçants s’alignent souvent sur les prix des marques leader, quel que soit leur prix d’achat.

Dans les deux circuits, c’est donc la désorganisation, l'absence de régulation et la mimétisme tarifaire qui alimentent une hausse systématique des prix.

 Une hausse des marges, même en période de baisse des coûts

Autre révélation du Conseil :
même lorsque le prix du lait cru ou des matériaux d’emballage baisse, les prix à la consommation ne suivent pas. En 2022 et 2023, alors que certains intrants ont vu leur coût reculer, les prix en rayon ont continué de grimper.

Cela signifie que les hausses de marge ne sont pas uniquement justifiées par des pressions sur les coûts, mais relèvent aussi d’une stratégie de maximisation du rendement par les distributeurs.

Cette inertie à la baisse illustre le déséquilibre du pouvoir de marché au sein de la chaîne de valeur : les distributeurs imposent leur prix, et le consommateur n’a pas de levier réel pour arbitrer.

Conséquences : chute de la consommation et défi de souveraineté

Dans un pays où le lait représente un apport nutritionnel essentiel, notamment pour les enfants, l’augmentation des prix a des conséquences sociales fortes. Le Conseil rappelle que les dépenses alimentaires représentent 38 % du budget moyen des ménages marocains, une part bien supérieure à celle des pays européens.

La baisse de consommation de produits laitiers est déjà constatée dans certains milieux populaires. À long terme, cette dynamique risque d’aggraver la précarité nutritionnelle, tout en fragilisant la filière agricole locale, déjà soumise au stress hydrique et à la concurrence étrangère.

Quelles solutions pour un lait à prix juste ?

Le Conseil de la Concurrence propose plusieurs mesures pour casser ce cercle inflationniste :

Encadrement des marges arrière : plafonner ces commissions et obliger leur transparence contractuelle.
Création d’un observatoire national du prix du lait : pour suivre les évolutions et alerter en cas d’abus.
Réduction des intermédiaires : soutien aux circuits courts, centrales d’achat coopératives, digitalisation logistique.
Modernisation du commerce traditionnel : outils de gestion, accès au financement, formation.
Dialogue entre distributeurs et industriels : pour restaurer un équilibre contractuel équitable.

 Pour que chaque goutte compte

Le lait est un révélateur : à travers ce produit simple, essentiel, se cristallisent les dérives d’un système de distribution où les intérêts du consommateur sont trop souvent relégués derrière les logiques de rentabilité.

Restaurer un prix juste du lait, c’est poser les bases d’une politique alimentaire équitable, transparente et durable. C’est aussi redonner confiance à des millions de Marocains qui, chaque matin, versent un peu plus que ce qu’ils devraient dans leur bol de petit déjeuner.





Mercredi 9 Juillet 2025

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