Le concept, version marocaine
Pourtant, si vous observez attentivement la société marocaine, vous pourriez croire que nous avons trouvé un vaccin. Ici, le ciment social colle encore. Les relations humaines tiennent plus longtemps que la batterie d’un iPhone. Les identités restent moins volatiles que les stories Instagram. Et l’idée qu’un emploi doive être « flexible » n’a pas encore effacé le fantasme du CDI à vie.
La famille, ce vaccin intergénérationnel
Dans un contexte occidental, perdre son travail signifie souvent une chute brutale : crédit impayé, colocation forcée, parfois même rue. Ici, c’est un retour chez les parents, un couscous le vendredi, et la possibilité de repartir à zéro sans perdre complètement la face.
Le clan n’est pas seulement un filet de sécurité ; il est aussi un régulateur social. On y retrouve des valeurs communes, des conseils plus ou moins avisés, et un sens du collectif qui, ailleurs, a disparu dans l’océan individualiste.
Tradition et religion : les repères résistants
Ramadan, Achoura, l’Aïd… ces moments ne sont pas seulement des fêtes, mais des jalons qui rythment l’année. Ils rappellent, à intervalles réguliers, que le temps collectif existe. Et que la communauté, avec ses codes et ses obligations, est plus qu’un vague groupe Facebook.
Ces repères ne sont pas immuables. La mondialisation s’invite à la table du ftour, mais ils offrent encore une ossature culturelle qui résiste à l’érosion liquide.
L’économie informelle, paradoxale stabilité
Quand le marché du travail officiel peine à absorber les jeunes diplômés, la débrouille prend le relais. Petits commerces, services improvisés, réseaux de voisinage : tout cela forme une sorte de « tissu amortisseur » qui, même s’il échappe aux statistiques, protège contre les crises.
Dans un monde liquide où la flexibilité se traduit souvent par précarité, l’informel marocain offre une flexibilité… qui nourrit encore.
Les fissures dans la digue
Les jeunes urbains, hyperconnectés, vivent dans des bulles numériques où les codes sociaux sont ceux de la Silicon Valley plutôt que de la médina. Ils cumulent les contrats courts, travaillent à distance pour plusieurs clients étrangers, et envisagent un déménagement comme on change de fond d’écran.
Les relations amoureuses, autrefois solidement encadrées, glissent elles aussi vers des logiques plus « fluides » : rencontres via applis, engagement différé, promesses conditionnelles. Même l’amitié subit l’épreuve des distances imposées par les migrations professionnelles et les mobilités étudiantes.
Entre stabilité et liberté
Car la liquidité n’est pas qu’un défaut : elle permet de se réinventer, de rompre avec les carcans, d’oser des trajectoires improbables. Mais elle dissout aussi les solidarités et fragilise les existences.
Si le pays parvient à préserver sa chaleur communautaire, ses repères culturels et son sens du collectif, tout en intégrant la flexibilité et l’innovation du monde liquide, il pourrait alors inventer une version hybride, une « modernité semi-solide », capable d’éviter les excès propres à chacun des deux modèles.
Portrait d’un Maroc entre deux mondes
Il travaille sans patron, mais ne se sent pas isolé ; il gagne en dirhams et en dollars ; il peut envisager de partir à Montréal, mais hésite à quitter ses attaches.
Yassine n’est ni complètement liquide, ni totalement solide : il flotte dans un entre-deux. Comme beaucoup de jeunes Marocains, il expérimente un équilibre fragile, où l’on garde les racines tout en testant les ailes.
Il paraît que la modernité liquide, c’est comme une piscine : plus on bouge, plus on flotte. Le Maroc, pour l’instant, a encore un pied bien planté sur le bord, et l’autre qui teste la température de l’eau. Reste à savoir si on finira par plonger… ou par inventer notre propre façon de nager, avec un gilet traditionnel et des palmes numériques.












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