Ce mardi 8 juillet, sans tambour ni trompette, les douanes marocaines reliant le royaume aux deux enclaves occupées de Sebta et Melilla ont été brusquement mises à l’arrêt. Aucun communiqué, aucune justification officielle, juste une décision unilatérale, lourde de symboles. De l’autre côté du Détroit, la presse espagnole s’est vite emparée de l’affaire, évoquant un nouvel épisode de crispation entre Rabat et Madrid. Derrière ce silence administratif, une question : s’agit-il d’un simple ajustement logistique pour l’opération Marhaba 2025, ou d’un geste diplomatique à peine voilé ?

Difficile de croire aux coïncidences. Alors que l’Espagne vient tout juste d’accueillir à Madrid Abdellah El Arabi, représentant du front séparatiste du Polisario, lors du congrès du Parti populaire (PP), Rabat choisit ce moment précis pour couper le robinet douanier. Un geste discret, mais d’une précision chirurgicale. Officiellement, aucun lien n’est établi. Mais sur le terrain, les douanes sont bel et bien fermées.

Ce n’est pas la première fois que le Maroc réagit par des mesures de ce type à ce qu’il considère comme des manquements ou des provocations. L’histoire récente en témoigne : en 2021, l’accueil clandestin de Brahim Ghali en Espagne avait déjà conduit à une crise diplomatique majeure. Et aujourd’hui encore, la mémoire de cet épisode reste vive dans les arcanes du ministère marocain des Affaires étrangères.

Certains observateurs tempèrent l’ampleur de la décision. Ils y voient une manœuvre purement logistique, inscrite dans le cadre de l’opération « Marhaba 2025 », qui mobilise, chaque été, des dizaines de milliers d’agents, policiers, douaniers, médecins et volontaires pour assurer le retour sécurisé des Marocains résidant à l’étranger.

Un argument avancé également par les autorités espagnoles, qui ont rappelé que les accords bilatéraux prévoient bien la possibilité de suspendre temporairement le trafic des marchandises en cas d’afflux massif. D’après une source du ministère espagnol des Affaires étrangères, citée par Europa Press, « les deux douanes travaillent conjointement pour adapter les flux aux contraintes saisonnières ».

Ce que cette fermeture souligne, encore une fois, c’est à quel point le dossier du Sahara constitue la grille de lecture centrale de la diplomatie marocaine. Toute reconnaissance, même indirecte, du front Polisario est vécue à Rabat comme un affront à sa souveraineté. C’est une ligne rouge non négociable, que les partis européens – y compris ceux de l’opposition comme le PP espagnol auraient tout intérêt à intégrer dans leur logiciel politique.

La main tendue de l’Espagne en mars 2022, avec le soutien clair à l’initiative marocaine d’autonomie pour le Sahara, avait permis un réchauffement notable des relations bilatérales. Mais cette récente apparition d’un cadre sahraoui lors d’un événement public remet de l’huile sur le feu. À Rabat, on parle volontiers de duplicité, voire de « double langage », selon une source diplomatique off the record. L’ombre portée du Sahara plane toujours sur les échanges, même les plus techniques.

Les deux enclaves restent un sujet sensible, chargé d’histoire, de mémoire et de tension. Leur statut, hérité de la période coloniale, demeure une anomalie historique dans une ère post-décolonisation. Pour de nombreux Marocains, leur simple existence constitue une blessure territoriale, jamais refermée.

Dans ce contexte, la fermeture des douanes n’est pas qu’un simple acte administratif. C’est aussi un signal, un rappel muet que le Maroc maîtrise les leviers de pression douce, sans recourir aux déclarations outrancières ni aux démonstrations de force.

Plus qu’une rupture, cette fermeture pourrait être interprétée comme un avertissement en sourdine. Une manière de rappeler que le Maroc n’oublie rien, et surtout pas les jeux d’ambiguïté. Une pause, certes, mais une pause choisie, contrôlée, et stratégiquement orchestrée.

Il ne s’agit pas d’une escalade ouverte, mais d’un rappel à l’ordre. En diplomatie, les silences pèsent parfois plus que les mots. Et cette fois, c’est un silence qui résonne des deux côtés de la frontière.

Ce nouvel épisode montre, une fois encore, que les relations entre Rabat et Madrid restent fragiles, soumises à des équilibres subtils et parfois instables. La coopération semble solide sur le papier, mais le moindre faux pas peut relancer les crispations. Le dossier du Sahara, loin d’être marginal, reste le noyau dur de la position marocaine.

À travers la fermeture des douanes, le Royaume n’envoie pas seulement un message à l’Espagne. Il réaffirme une ligne de fond : toute reconnaissance, même symbolique, des thèses séparatistes est inacceptable. Et face à cette réalité, aucune opération logistique ne saurait faire écran.