Podcast sur le rapport annuel 2024 de l'OMTPME (41.24 Mo)
Le débat dépeint l'économie marocaine comme un modèle de résilience, capable d'absorber les chocs successifs des dernières années. Si cette vision n'est pas fausse, elle reste incomplète. Derrière les grands agrégats macroéconomiques se cache une réalité plus complexe, parfois contre-intuitive, que seules les données brutes peuvent véritablement éclairer.
C'est précisément ce que permet le rapport annuel 2024 de l'Observatoire Marocain de la TPME (OMTPME). En plongeant au cœur des données administratives, ce rapport offre une radiographie détaillée et rare du tissu productif national. Il met en lumière des transformations silencieuses et des tensions structurelles qui redéfinissent l'économie du Royaume.
Ce podcast distille les cinq enseignements les plus marquants et surprenants de ce rapport essentiel. De la forme des nouvelles entreprises aux inégalités salariales, en passant par la survie des PME, voici ce que les chiffres nous disent vraiment.
1. L'avènement de l'entrepreneur solitaire : une révolution silencieuse
Une transformation silencieuse mais massive est en cours dans la manière dont les entreprises marocaines sont créées. La traditionnelle Société à Responsabilité Limitée (SARL), longtemps forme juridique quasi hégémonique, cède du terrain à une vitesse surprenante. Les données du rapport sont sans appel : la part de la SARL est passée de 70,2% du total des entreprises en 2017 à seulement 54,1% en 2023.
Cette chute spectaculaire s'est faite au profit de la SARL à associé unique (SARL-AU), qui a littéralement explosé sur la même période, passant de 22,1% à 40,5%. Ce basculement n'est pas anodin. Il s'inscrit dans une tendance mondiale post-pandémie, où l'aspiration à l'autonomie, la flexibilité du travail et l'émergence de l'économie des freelances poussent de plus en plus de porteurs de projets à se lancer seuls. Le Maroc entrepreneurial de demain sera, semble-t-il, bien plus solitaire.
2. Créer son entreprise est une chose, la faire survivre en est une autre
Le dynamisme entrepreneurial marocain est bien réel, avec près de 66 000 entreprises créées en moyenne chaque année pour la période 2022-2023. Cependant, cette vitalité masque une réalité beaucoup plus sombre : la mortalité des entreprises a atteint des niveaux records.
Le rapport révèle que le nombre de dissolutions a bondi, passant d'une moyenne de 7 400 par an avant la crise à plus de 10 000 en 2022-2023, avec un pic historique de 10 905 dissolutions en 2023. La statistique la plus alarmante, bien que présentée de manière isolée dans le rapport, concerne la vulnérabilité des jeunes pousses. Le document mentionne que pour les entreprises de moins de 5 ans, le taux de dissolution serait passé de 2% en moyenne avant la crise à 17,2% dans la période post-covid. Ce chiffre illustre de manière dramatique le fossé entre l'ambition de créer et la difficulté de pérenniser son activité, transformant l'écosystème en une porte tambour pour de nombreux entrepreneurs.
3. Une reprise à deux vitesses : les géants accélèrent, les PME s'essoufflent
Si l'économie a affiché une résilience globale, la reprise n'a profité à tous de la même manière. Les données du rapport de l'OMTPME montrent une fracture croissante entre les grandes entreprises (GE) et le vaste tissu des Très Petites, Petites et Moyennes Entreprises (TPME).
Cette divergence est visible sur deux fronts. Premièrement, le chiffre d'affaires : la part des grandes entreprises dans le chiffre d'affaires total est passée de 63,1% en 2017 à 65,9% en 2023, tandis que celle des TPME a reculé de 36,9% à 34,1%. Deuxièmement, l'emploi : alors que le rythme de croissance annuel moyen de l'emploi dans les TPME est tombé de 8,7% avant la crise à 6% après, celui des GE s'est envolé, passant d'une croissance annuelle moyenne de 6,8% à 15,1% sur les mêmes périodes.
C'est le grand paradoxe du tissu productif marocain : alors que les micro-entreprises constituent à elles seules 86,7% du paysage entrepreneurial, elles perdent du terrain face à une poignée de géants qui captent une part croissante de la richesse et de la création d'emplois, posant un défi majeur de concentration économique.
4. Le paradoxe de l'emploi formel : un salaire qui ne dépasse pas le SMIG pour la majorité
C'est sans doute l'une des conclusions les plus frappantes du rapport, qui vient nuancer l'idée qu'un emploi formel est une garantie systématique de sortie de la précarité. En 2023, 54,8% des salariés déclarés à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) ont perçu un salaire n'excédant pas le SMIG. Le chiffre est encore plus parlant lorsque l'on élargit la tranche : 74,3%, soit près de trois salariés sur quatre, ont touché un salaire inférieur à 4 000 DH.
Le rapport met également en lumière une inégalité de genre face à cette situation. Les femmes sont plus touchées, avec 58,9% d'entre elles gagnant moins que le SMIG, contre 52,8% pour les hommes. Le rapport lui-même pointe une cause majeure de cette précarité salariale : le poids du travail à temps partiel ou sous-rémunéré au sein même du secteur formel, qui empêche mécaniquement de nombreux salariés d'atteindre le seuil du SMIG mensuel. L'emploi déclaré n'est donc pas toujours un rempart contre la fragilité économique.
5. L'entrepreneuriat féminin : plus de créations, mais un plafond de verre persistant
La situation de l'entrepreneuriat féminin est en demi-teinte. D'un côté, le dynamisme est là : le nombre d'entreprises dirigées par des femmes a connu une belle augmentation de 9,5% en 2023. Mais de l'autre, un plafond de verre semble solidement installé. En effet, la part des femmes dirigeantes dans le total des entreprises stagne obstinément autour de 15% depuis 2020.
Cette stagnation structurelle est une préoccupation majeure, un point que le président de l'Observatoire souligne avec force dans son introduction : les données de cette nouvelle édition du rapport de l'Observatoire montrent que la problématique du genre dans le tissu productif reste posée avec acuité. L'emploi féminin demeure limité, avec une part ne dépassant pas le tiers des salariés des EPMA en 2023 et seules 15% de ces entreprises sont dirigées par des femmes.
Une lueur d'espoir se dessine toutefois. Les entreprises les plus jeunes sont plus souvent dirigées par des femmes (18% pour celles de moins de 2 ans), ce qui pourrait indiquer une tendance de fond positive. Reste à savoir si cette nouvelle vague d'entrepreneures parviendra à briser les barrières que leurs aînées ont rencontrées.
Ainsi, ce rapport de l'OMTPME dresse le portrait d'un Maroc à deux vitesses. Un Maroc entrepreneurial, agile et dynamique, qui innove dans ses formes et ses ambitions. Mais aussi un Maroc où la survie des jeunes entreprises est un combat, où les inégalités de revenus et de taille se creusent, et où l'emploi formel n'est pas toujours synonyme de prospérité.
Ces constats, fondés sur des données exhaustives, sont essentiels pour dépasser les récits simplificateurs. Face à eux, la question essentielle pour l'avenir du Maroc est de savoir comment transformer cette formidable énergie entrepreneuriale en une croissance durable et partagée par tous.
C'est précisément ce que permet le rapport annuel 2024 de l'Observatoire Marocain de la TPME (OMTPME). En plongeant au cœur des données administratives, ce rapport offre une radiographie détaillée et rare du tissu productif national. Il met en lumière des transformations silencieuses et des tensions structurelles qui redéfinissent l'économie du Royaume.
Ce podcast distille les cinq enseignements les plus marquants et surprenants de ce rapport essentiel. De la forme des nouvelles entreprises aux inégalités salariales, en passant par la survie des PME, voici ce que les chiffres nous disent vraiment.
1. L'avènement de l'entrepreneur solitaire : une révolution silencieuse
Une transformation silencieuse mais massive est en cours dans la manière dont les entreprises marocaines sont créées. La traditionnelle Société à Responsabilité Limitée (SARL), longtemps forme juridique quasi hégémonique, cède du terrain à une vitesse surprenante. Les données du rapport sont sans appel : la part de la SARL est passée de 70,2% du total des entreprises en 2017 à seulement 54,1% en 2023.
Cette chute spectaculaire s'est faite au profit de la SARL à associé unique (SARL-AU), qui a littéralement explosé sur la même période, passant de 22,1% à 40,5%. Ce basculement n'est pas anodin. Il s'inscrit dans une tendance mondiale post-pandémie, où l'aspiration à l'autonomie, la flexibilité du travail et l'émergence de l'économie des freelances poussent de plus en plus de porteurs de projets à se lancer seuls. Le Maroc entrepreneurial de demain sera, semble-t-il, bien plus solitaire.
2. Créer son entreprise est une chose, la faire survivre en est une autre
Le dynamisme entrepreneurial marocain est bien réel, avec près de 66 000 entreprises créées en moyenne chaque année pour la période 2022-2023. Cependant, cette vitalité masque une réalité beaucoup plus sombre : la mortalité des entreprises a atteint des niveaux records.
Le rapport révèle que le nombre de dissolutions a bondi, passant d'une moyenne de 7 400 par an avant la crise à plus de 10 000 en 2022-2023, avec un pic historique de 10 905 dissolutions en 2023. La statistique la plus alarmante, bien que présentée de manière isolée dans le rapport, concerne la vulnérabilité des jeunes pousses. Le document mentionne que pour les entreprises de moins de 5 ans, le taux de dissolution serait passé de 2% en moyenne avant la crise à 17,2% dans la période post-covid. Ce chiffre illustre de manière dramatique le fossé entre l'ambition de créer et la difficulté de pérenniser son activité, transformant l'écosystème en une porte tambour pour de nombreux entrepreneurs.
3. Une reprise à deux vitesses : les géants accélèrent, les PME s'essoufflent
Si l'économie a affiché une résilience globale, la reprise n'a profité à tous de la même manière. Les données du rapport de l'OMTPME montrent une fracture croissante entre les grandes entreprises (GE) et le vaste tissu des Très Petites, Petites et Moyennes Entreprises (TPME).
Cette divergence est visible sur deux fronts. Premièrement, le chiffre d'affaires : la part des grandes entreprises dans le chiffre d'affaires total est passée de 63,1% en 2017 à 65,9% en 2023, tandis que celle des TPME a reculé de 36,9% à 34,1%. Deuxièmement, l'emploi : alors que le rythme de croissance annuel moyen de l'emploi dans les TPME est tombé de 8,7% avant la crise à 6% après, celui des GE s'est envolé, passant d'une croissance annuelle moyenne de 6,8% à 15,1% sur les mêmes périodes.
C'est le grand paradoxe du tissu productif marocain : alors que les micro-entreprises constituent à elles seules 86,7% du paysage entrepreneurial, elles perdent du terrain face à une poignée de géants qui captent une part croissante de la richesse et de la création d'emplois, posant un défi majeur de concentration économique.
4. Le paradoxe de l'emploi formel : un salaire qui ne dépasse pas le SMIG pour la majorité
C'est sans doute l'une des conclusions les plus frappantes du rapport, qui vient nuancer l'idée qu'un emploi formel est une garantie systématique de sortie de la précarité. En 2023, 54,8% des salariés déclarés à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) ont perçu un salaire n'excédant pas le SMIG. Le chiffre est encore plus parlant lorsque l'on élargit la tranche : 74,3%, soit près de trois salariés sur quatre, ont touché un salaire inférieur à 4 000 DH.
Le rapport met également en lumière une inégalité de genre face à cette situation. Les femmes sont plus touchées, avec 58,9% d'entre elles gagnant moins que le SMIG, contre 52,8% pour les hommes. Le rapport lui-même pointe une cause majeure de cette précarité salariale : le poids du travail à temps partiel ou sous-rémunéré au sein même du secteur formel, qui empêche mécaniquement de nombreux salariés d'atteindre le seuil du SMIG mensuel. L'emploi déclaré n'est donc pas toujours un rempart contre la fragilité économique.
5. L'entrepreneuriat féminin : plus de créations, mais un plafond de verre persistant
La situation de l'entrepreneuriat féminin est en demi-teinte. D'un côté, le dynamisme est là : le nombre d'entreprises dirigées par des femmes a connu une belle augmentation de 9,5% en 2023. Mais de l'autre, un plafond de verre semble solidement installé. En effet, la part des femmes dirigeantes dans le total des entreprises stagne obstinément autour de 15% depuis 2020.
Cette stagnation structurelle est une préoccupation majeure, un point que le président de l'Observatoire souligne avec force dans son introduction : les données de cette nouvelle édition du rapport de l'Observatoire montrent que la problématique du genre dans le tissu productif reste posée avec acuité. L'emploi féminin demeure limité, avec une part ne dépassant pas le tiers des salariés des EPMA en 2023 et seules 15% de ces entreprises sont dirigées par des femmes.
Une lueur d'espoir se dessine toutefois. Les entreprises les plus jeunes sont plus souvent dirigées par des femmes (18% pour celles de moins de 2 ans), ce qui pourrait indiquer une tendance de fond positive. Reste à savoir si cette nouvelle vague d'entrepreneures parviendra à briser les barrières que leurs aînées ont rencontrées.
Ainsi, ce rapport de l'OMTPME dresse le portrait d'un Maroc à deux vitesses. Un Maroc entrepreneurial, agile et dynamique, qui innove dans ses formes et ses ambitions. Mais aussi un Maroc où la survie des jeunes entreprises est un combat, où les inégalités de revenus et de taille se creusent, et où l'emploi formel n'est pas toujours synonyme de prospérité.
Ces constats, fondés sur des données exhaustives, sont essentiels pour dépasser les récits simplificateurs. Face à eux, la question essentielle pour l'avenir du Maroc est de savoir comment transformer cette formidable énergie entrepreneuriale en une croissance durable et partagée par tous.












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