L’héritage inachevé du plan Rawaj
Mais seize ans plus tard, le constat demeure amer. Resté largement au stade des intentions, le programme a été interrompu sans qu’un véritable bilan public ne soit dressé. Pis encore : les problématiques que Rawaj devait corriger, telles que la précarité des commerçants, la persistance de l’informel et la fracture urbaine, se sont, entre-temps, accentuées.
Dans son Avis A/1/25, le Conseil de la Concurrence appelle à un nouveau souffle politique, plus enraciné, plus territorial, plus adapté aux réalités du commerce de proximité marocain.
Rawaj : une ambition brisée par les faits
Doté d’un budget initial de 900 millions de dirhams, le plan visait à moderniser 15 000 commerces, créer 80 000 emplois et impulser la montée en puissance d’un commerce marocain plus moderne et compétitif.
Cependant, dès 2012, le projet marque le pas. Retards administratifs, faible engagement des communes, résistance de certains commerçants face aux normes, ainsi qu’un changement des priorités politiques, viennent freiner sa progression. En 2015, le Plan Rawaj disparaît sans qu’un successeur officiel ne soit mis en place.
Les raisons d’un échec
Le Conseil de la Concurrence pointe plusieurs facteurs structurels ayant conduit à l’abandon du Plan Rawaj. D’abord, une approche top-down imposée depuis Rabat, sans réelle concertation avec les acteurs locaux ni prise en compte des spécificités territoriales.
Ensuite, une méconnaissance profonde du tissu commercial de proximité, caractérisé par une grande fragmentation, une forte informalité et une prédominance de commerces familiaux.
Par ailleurs, les outils financiers mobilisés se sont révélés inadaptés, reposant essentiellement sur des crédits bancaires souvent inaccessibles à la majorité des commerçants concernés.
Enfin, l’absence de dispositifs rigoureux de suivi et d’évaluation a privé le plan d’indicateurs précis et de mécanismes correctifs, affaiblissant sa capacité à s’ajuster en cours de route.
Dans les faits, Rawaj a surtout profité à la grande distribution, dont le maillage territorial s’est largement densifié, au détriment des objectifs initiaux de revitalisation du commerce local.
Les conséquences : un commerce de proximité marginalisé
De plus, ces commerçants dépendent majoritairement de circuits informels d’approvisionnement, ce qui complique leur accès aux marchés de gros et aux fournisseurs structurés.
Face à cette situation, le Conseil de la Concurrence tire la sonnette d’alarme. Sans plan de relance ciblé, le commerce de proximité est voué à un déclin progressif, aux conséquences sociales et territoriales potentiellement lourdes.
Quelles pistes pour une relance efficace ?
D’abord, une gouvernance locale renforcée, qui confierait aux communes et aux régions le pilotage de micro-programmes de modernisation. La création de guichets uniques locaux faciliterait l’accompagnement des commerçants dans leurs démarches administratives, la formalisation et l’accès au foncier. Par ailleurs, l’implication active des associations de commerçants dans la co-construction des projets est jugée essentielle.
Ensuite, un financement adapté aux réalités du terrain. Le Conseil recommande de développer des microcrédits à taux réduit, assortis de différés de remboursement et garanties publiques. Il préconise également la création d’un fonds national dédié à la modernisation du commerce de proximité, financé de manière pérenne, ainsi que l’association des caisses régionales, des banques participatives et des coopératives de crédit à cette dynamique.
Par ailleurs, un appui technique et numérique généralisé est nécessaire. Il s’agit de déployer des formations ciblées en gestion, marketing de quartier et comptabilité simplifiée, tout en promouvant des outils numériques simples tels que la gestion de caisse via smartphone, la commande de stock en ligne, les QR codes ou les systèmes de fidélisation. Le Conseil suggère aussi la mise à disposition de modèles standardisés de boutiques modulables ou de conteneurs réhabilités.
Sur le plan urbanistique, une approche inclusive est requise. Il convient de réserver des emplacements accessibles dans les nouveaux lotissements, de réhabiliter les médinas commerciales avec une attention particulière au patrimoine, et de limiter l’implantation anarchique des grandes surfaces dans les villes moyennes.
Enfin, la fiscalité doit être incitative et juste. La création d’un statut simplifié pour les petits commerçants, assorti d’une fiscalité forfaitaire modulée, figure parmi les recommandations. Le Conseil propose également des exonérations temporaires pour les efforts de mise à niveau et de digitalisation, tout en appelant à la suppression des taxes multiples et non coordonnées qui pèsent actuellement sur les commerçants, notamment au niveau communal.
Intégrer les circuits courts et les coopératives
Cela passe notamment par le soutien aux coopératives de producteurs, qui pourraient devenir des fournisseurs directs des épiciers. Le développement de circuits courts, via les marchés de producteurs et des livraisons hebdomadaires, est également encouragé.
Par ailleurs, la digitalisation des échanges entre agriculteurs, plateformes logistiques régionales et détaillants figure parmi les leviers essentiels pour moderniser ces relations commerciales.
Ce modèle, en réduisant les marges d’intermédiation, vise à soutenir l’économie locale tout en répondant aux attentes croissantes des consommateurs en matière de qualité et de traçabilité.
Vers un label « commerce de quartier » ?
Ce label pourrait reconnaître plusieurs critères essentiels : la régularité de l’approvisionnement, le respect des normes d’hygiène, la qualité de la relation client, ainsi que l’origine locale des produits proposés.
Pour assurer sa visibilité et son impact, ce label serait accompagné d’un affichage obligatoire dans les commerces, d’une plateforme en ligne permettant de localiser les établissements labellisés, ainsi que de campagnes de communication à l’échelle nationale.
L’objectif est clair : renforcer la confiance des consommateurs tout en valorisant les commerçants engagés dans une démarche de qualité et de proximité.
Réhabiliter le commerce de proximité, c’est réconcilier économie et société
L’échec de Rawaj ne doit pas être un prétexte à l’inaction. Il doit servir de leçon : les politiques publiques doivent être ancrées, participatives, adaptées, et non plaquées d’en haut.
Aujourd’hui, le Maroc a l’opportunité de construire une nouvelle génération de politiques commerciales, centrées sur la proximité, la dignité, et l’inclusion. Pour que le petit commerce redevienne un levier de développement, et non un souvenir en voie d’extinction.












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