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Pour en finir avec la théorie sécuritaire


Par Rachid Boufous

Depuis plus de quarante ans, un réflexe s’est imposé au Maroc : répondre aux mobilisations populaires par la force. Considérer chaque manifestation, chaque mouvement social, comme une menace pour l’ordre public plutôt que comme un signal à écouter.
Cette « théorie sécuritaire » a longtemps servi de refuge commode : disperser les foules, neutraliser les colères, gagner du temps. Mais aujourd’hui, elle a atteint ses limites. Car ce qui se joue dans les rues n’est pas une tentative de déstabilisation, mais un cri d’existence. Et la matraque ne peut plus répondre à l’absence d’avenir…



Les manifestations qui agitent le pays ne sont pas un complot.

Rachid BOUFOUS
Rachid BOUFOUS
Elles sont la conséquence directe de fractures accumulées depuis des décennies. Elles sont le fruit d’une faille systémique que j’ai appelée ailleurs la « hazqa structurelle » : un déséquilibre profond, inscrit dans la crise de l’école publique, la fatigue des hôpitaux, l’abandon des campagnes, le chômage massif des jeunes et l’explosion des NEETs, ces jeunes sans emploi, ni en formation, ni en éducation et qui dépassent les 2,5 millions d’âmes. Aujourd’hui, ils représentent près de 30 % des 15–24 ans, soit près d’un tiers d’une génération sans perspective…
 
Les chiffres sont implacables. Le chômage des jeunes diplômés dépasse 25 %, malgré les promesses réitérées d’insertion professionnelle. Dans certaines zones rurales, un enfant sur deux quitte encore l’école avant d’atteindre le collège. Le Maroc consacre environ 6 % de son PIB à la santé, quand la moyenne de l’OCDE dépasse les 9 %, et dans la plupart des hôpitaux publics, la pénurie de personnel et de moyens est quotidienne.

Sur le plan territorial, les écarts de revenus sont vertigineux :

Le revenu moyen à Casablanca est presque trois fois supérieur à celui de certaines provinces enclavées du Sud-Est. Ce malaise n’est pas soudain. L’histoire récente du Maroc est jalonnée d’épisodes où la « théorie sécuritaire » a été mobilisée comme première réponse, toujours au détriment de réformes profondes. Les émeutes du pain en 1981 à Casablanca, celles de Fès en 1990, la contestation de 2011 portée par le Mouvement du 20 février, le Hirak du Rif en 2016, puis les manifestations de Jerada en 2018 : autant de moments où le pays a choisi la voie de la répression immédiate. À chaque fois, la colère a été contenue dans l’instant, mais jamais résolue. Le problème est resté entier, et souvent aggravé.
 
Car la vraie insécurité n’est pas dans la rue qui crie, mais dans l’avenir qui se dérobe. Qu’est-ce qui menace plus la stabilité : un cortège de jeunes scandant des slogans ou une génération entière condamnée au chômage, au déclassement et au désespoir ? Les slogans, en vérité, ne sont pas des offenses : ce sont des diagnostics. Ils disent tout haut ce que les rapports officiels mesurent en silence : des services publics affaiblis, des inégalités territoriales persistantes, une jeunesse livrée au doute et au désenchantement.

Pour en finir avec la théorie sécuritaire, il faut cesser de confondre ordre et paix. L’ordre peut n’être qu’un silence imposé.

La paix, la vraie, naît de la justice. Tant que la réponse prioritaire à la contestation restera policière, le pays restera pris dans une spirale d’accalmies temporaires suivies de nouveaux soulèvements.
Le Maroc n’a pas besoin d’un blindage sécuritaire. Il a besoin d’un contrat social renouvelé. Un contrat qui dise clairement à sa jeunesse : « tu n’es pas un danger, tu es l’avenir »…
 
Il faut revaloriser l’école publique, garantir un enseignant qualifié par classe, réduire l’abandon scolaire qui saigne les campagnes. Il faut réhabiliter le système de santé, construire des hôpitaux régionaux modernes, recruter massivement médecins et infirmiers. Il faut investir dans les secteurs porteurs : agriculture durable, énergies renouvelables, numérique, artisanat valorisé, tourisme responsable, pour absorber le chômage et offrir des perspectives réelles. Il faut enfin donner la parole aux citoyens, créer de véritables conseils de jeunes, des forums régionaux, des espaces où les colères deviennent des propositions et les slogans des solutions.

Ce choix n’est pas seulement social. Il est politique.

Car il engage la crédibilité de l’État et la solidité du contrat entre gouvernants et gouvernés. Tant que les promesses resteront sans preuves, la confiance se délite. Et aucune police, aucune caméra, aucun dispositif répressif ne pourra remplacer cette confiance perdue.
L’histoire nous l’a appris : la répression ne guérit rien, elle anesthésie un temps. Mais tôt ou tard, la douleur revient, plus vive, plus profonde.
 
Les émeutes des années 1980, le Mouvement du 20 février, le Hirak du Rif et aujourd’hui ces manifestations de la Génération Z : toutes disent la même chose, dans des langues différentes, à des époques différentes. Elles disent que la stabilité ne se décrète pas, elle se construit par la justice.
Mettre fin à la théorie sécuritaire, ce n’est pas renoncer à l’ordre public. C’est au contraire comprendre que l’ordre n’est durable que s’il repose sur un socle de dignité partagée. C’est reconnaître que la jeunesse ne cherche pas à renverser le pays, mais à y trouver sa place. Et c’est admettre que la pire insécurité, celle qui mine vraiment le Maroc, n’est pas dans les rues agitées, mais dans les vies bloquées.
Le Maroc n’a pas peur de ses jeunes. C’est sa jeunesse qui a peur d’être abandonnée par son pays. Et il n’y a pas de pire insécurité que celle-là…
 



Jeudi 2 Octobre 2025


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