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Transcription d'un débat entre un vrai écrivain et celui qui écrit des livres

Transcription d'un débat entre un vrai journaliste et celui qui fait du journalisme


La littérature, le journalisme et l’illusion numérique : pourquoi les codes comptent encore /
La littérature et le journalisme n’ont pas le monopole des codes



Mon ami, le vrai écrivain et le vrai journaliste :

La littérature, le journalisme et l’illusion numérique : pourquoi les codes comptent encore

À l’heure où l’intelligence artificielle promet des bibliothèques entières rédigées en quelques secondes, où la création de contenu numérique se prend parfois pour de la littérature, il est bon de rappeler quelques vérités simples. Un livre n’est pas un livret, un journaliste n’est pas un créateur de contenu, et la qualité ne se mesure pas au nombre de pages. La littérature et le journalisme ont leurs codes. Et ces codes, loin d’être poussiéreux, sont ce qui garantit leur survie face au brouhaha du web.

Qu’est-ce qu’un livre, vraiment ?

Le débat peut sembler anodin, presque tatillon : un ouvrage de 70 pages, est-ce un livre ? Pour beaucoup, la réponse est oui. Pour un écrivain aguerri, non. Dans l’édition générale, cela s’appelle un opuscule ; dans l’édition d’entreprise, un livret d’accueil. La différence peut sembler symbolique, mais elle renvoie à une norme éditoriale : un livre, c’est d’abord une certaine densité, une profondeur, un volume.

Un chiffre en dit long : 57.000 signes constituent la moyenne d’un chapitre dans l’essai Alors l’information ?. Dans ses travaux récents, l’auteur confie avoir même consacré un chapitre de 90.000 signes au seul thème du soft power. Quant à son manuscrit sur la liberté de la presse, il atteint déjà 900.000 signes.

Il le rappelle pourtant lui-même : le nombre de signes ne fait pas la qualité. Mais il délimite un cadre, une norme. Autrement dit, on peut écrire un mauvais roman de 300 pages et une nouvelle magistrale de 15. Mais l’un sera considéré comme « un livre », l’autre non. La norme ne dit rien de la valeur, mais elle fixe un seuil.

Normes et qualité : deux choses distinctes

La qualité d’une œuvre se juge ailleurs. Elle se mesure à l’aune des écrivains qui ont marqué de leur empreinte l’histoire littéraire. Pour le Maroc, citons Driss Chraïbi, Tahar Ben Jelloun, Mohamed Choukri. Pour l’Algérie : Rachid Mimouni, Rachid Boudjedra, Yasmina Khadra. Plus largement, des figures comme Gabriel García Márquez, Roa Bastos, Robbe-Grillet ou Claude Simon.

Ces auteurs ont façonné des codes. Qu’il s’agisse du Roman de la Dictature en Amérique latine ou du Nouveau Roman en France, il y a des formes, des règles, des structures qui définissent une littérature. Comme en musique, on peut improviser, mais encore faut-il connaître la gamme.

La littérature, qu’il s’agisse de roman, de poésie, de théâtre ou de nouvelle, obéit à ces codes. Le journalisme aussi. Et confondre les genres revient à appauvrir la rigueur des uns et la force des autres.

Contre la flagornerie numérique

Le discours est tranchant : il refuse la flagornerie. Dans le monde littéraire comme dans celui du journalisme, la complaisance est l’ennemi de la rigueur. Or, l’IA générative, par nature, flatte. Elle répète ce qu’on veut entendre, elle enjolive, elle caresse. Même Anthropic, concurrent d’OpenAI, a reconnu ce problème : la flagornerie algorithmique rassure l’utilisateur mais affaiblit la création.

Écrire, informer, ce n’est pas flatter. C’est interroger, contrarier, creuser. Et cela suppose une exigence qui s’enseigne dans les facultés des lettres pour la littérature, dans les écoles spécialisées pour le journalisme, et se pratique dans les rédactions qui savent faire la différence entre un billet et une chronique, entre un commentaire et un éditorial, entre un simple bâtonnage de dépêche et un véritable article signé.

Journalisme et littérature : le poids des mots

Dans ce rappel, la formule claque comme une devise : « La liberté de créer, le devoir d’informer. »

Le journalisme n’est pas une improvisation. Il est un métier, avec des genres définis et des codes stricts. Comme dans la littérature, il y a une grammaire, une exigence, une rigueur. À l’ère des réseaux sociaux, où chacun se proclame « journaliste » parce qu’il poste une vidéo ou « écrivain » parce qu’il publie un texte en ligne, cette distinction est plus que jamais nécessaire.

Créateurs de contenu : un statut à assumer

Soyons clairs : la création de contenu a sa place dans le paysage numérique. Elle peut être utile, intelligente, même brillante. Mais il faut appeler un chat un chat : un créateur de contenu n’est ni écrivain ni journaliste, sauf s’il respecte les codes propres à ces disciplines.

Un texte en ligne peut avoir une valeur littéraire. Un article de blog peut avoir une valeur journalistique. Mais seulement à condition de s’inscrire dans les codes. La distinction est essentielle, car sans cadre, tout se vaut. Et si tout se vaut, rien ne vaut.

Ni la littérature ni le journalisme ne sont morts : Face aux sirènes du numérique, certains annoncent la fin de la littérature ou du journalisme. Ce discours catastrophiste est balayé d’un revers de main : la littérature n’est pas prête de mourir, et moins encore le journalisme.

Le brouhaha d’internet n’est qu’un bruit de fond. Les hallucinations de l’IA ne sont que des illusions. Leur effet est spectaculaire, mais passager. Le roman, la chronique, le reportage, eux, s’inscrivent dans le temps long. Ils résistent parce qu’ils ont des codes, une histoire, une rigueur.

Et l’écrivain conclut, mi-sérieux, mi-provocateur : « Rendez-vous dans 1000 ans ? »

Ce débat est plus qu’un caprice d’auteur ou une querelle de mots. Il touche à l’essence même de la création. Un livre n’est pas une compilation de pages, mais une œuvre qui s’inscrit dans un cadre. Le journalisme n’est pas un simple partage d’information, mais un métier qui obéit à des règles. La création de contenu n’est pas illégitime, mais elle doit être assumée comme telle.

En refusant la confusion des genres, en rejetant la flagornerie, en défendant la rigueur des codes, l’écrivain rappelle une vérité simple : si la littérature et le journalisme traversent les siècles, c’est parce qu’ils savent distinguer l’essentiel de l’accessoire, le durable de l’éphémère.

L'avis de celui qui fait du journalisme et s'aventure à écrire des livres sans se prétendre écrivain

La littérature et le journalisme n’ont pas le monopole des codes

On aime toujours se réfugier derrière les « normes ». Le journaliste-écrivain que vous citez brandit les chiffres comme des armes : 57.000 signes par-ci, 90.000 par-là, et bientôt 900.000. Comme si le volume faisait l’œuvre, comme si l’épaisseur d’un manuscrit équivalait à sa profondeur. En vérité, cette logique trahit une vision élitiste et datée de ce qu’est la littérature.

Car oui, un opuscule de 70 pages peut être un livre. Oui, un livret d’accueil peut être plus marquant qu’un pavé de 600 pages oublié sur une étagère. L’histoire regorge d’ouvrages courts qui ont bouleversé des générations : le Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels n’est pas un roman fleuve, et pourtant il a changé le monde. La longueur n’est pas un critère de légitimité, mais un prétexte pour maintenir des frontières artificielles.

Les « codes » ne sont pas gravés dans le marbre

Mon ami l’écrivain invoque Driss Chraïbi, Tahar Ben Jelloun, Mohamed Choukri, ou encore les grands du Nouveau Roman pour démontrer que la littérature obéit à des codes. Mais c’est précisément l’inverse : ces auteurs ont existé parce qu’ils ont brisé les codes de leur temps. Choukri, avec Le Pain nu, a choqué la bienséance et les gardiens de la morale. Robbe-Grillet a dynamité le roman classique avec ses descriptions glaciales.

La littérature n’avance pas en respectant des cadres préexistants, mais en les transgressant. Ce n’est pas l’apprentissage académique en faculté de lettres qui fait l’écrivain, mais le courage de dévier des sentiers battus. Dire que la littérature doit « respecter » des codes, c’est réduire l’art à une salle de classe.

Journalisme : un monopole contestable

La même logique est appliquée au journalisme. On nous explique doctement la différence entre un éditorial et une chronique, entre un commentaire et un bâtonnage. Comme si la valeur d’un texte dépendait de la case où on le range. Mais aujourd’hui, ce sont souvent les voix hors système qui apportent la plus grande clarté. Les blogueurs, les podcasteurs, les créateurs sur YouTube révèlent des affaires que des rédactions traditionnelles étouffent ou ignorent.

La pratique journalistique s’apprend dans les salles de rédaction, nous dit-on ? Peut-être. Mais elle s’oublie aussi dans ces mêmes salles, prisonnières de logiques économiques, de censures implicites, d’obsessions de « ligne éditoriale ». La prétendue supériorité du journaliste diplômé s’effrite quand des amateurs font mieux leur travail de terrain, parfois au péril de leur vie.

Le créateur de contenu n’est pas un sous-auteur

Le mépris affiché pour les « créateurs de contenu » est révélateur. On leur concède une place, mais à condition qu’ils restent dans leur catégorie, sans prétendre au titre d’écrivain ou de journaliste. Or, c’est précisément cette frontière qui est artificielle. Quand un auteur autopublié sur internet vend des milliers d’exemplaires, est-il moins écrivain qu’un romancier publié par Gallimard ? Quand un vidéaste documente un conflit mieux qu’une chaîne internationale, est-il moins journaliste ?

Les codes sont utiles, mais ils ne peuvent servir à exclure. La valeur d’un texte se mesure à son impact, pas à la case où on le range.

Internet et IA : un brouhaha qui dérange l’élite

Enfin, parlons du « brouhaha d’internet » et des « hallucinations de l’IA ». L’argument est commode : ce qui est nouveau, rapide et incontrôlable serait condamné à disparaître. Pourtant, l’histoire démontre le contraire. L’imprimerie fut un « brouhaha » au XVe siècle, la radio un vacarme au XXe, internet un chaos dans les années 2000. À chaque fois, les anciens ont prédit la fin de la culture, et à chaque fois, la culture s’est réinventée.

L’IA ne signe pas la mort de la littérature ni du journalisme, mais leur transformation. Oui, elle produit parfois des textes plats, flagorneurs, répétitifs. Mais elle peut aussi stimuler, accélérer, démocratiser l’écriture. Elle permet à des voix marginalisées de se faire entendre, de dépasser les barrières académiques ou institutionnelles. La peur de l’IA n’est pas esthétique, mais sociale : elle bouscule le monopole de ceux qui détenaient jusque-là la parole légitime.

L’avenir n’appartient pas aux gardiens de musée

La littérature et le journalisme ne mourront pas, c’est vrai. Mais ils ne survivront pas en se barricadant derrière des normes figées ou en méprisant les nouvelles formes de création. Ils survivront en s’ouvrant, en hybridant, en acceptant que le créateur de contenu, le blogueur, l’auteur autoédité ou l’IA puissent eux aussi apporter leur pierre.

L’écrivain a raison de dire que « le nombre de signes ne fait pas la qualité ». Mais alors, pourquoi dresser des frontières sur la longueur d’un texte, sur la case d’un genre, sur le diplôme d’un journaliste ? Les codes sont faits pour être bousculés. Ceux qui s’y accrochent risquent de transformer la littérature et le journalisme en musées poussiéreux, tandis que la vie, elle, continue ailleurs.

Note de remerciement

Je tiens à remercier mon ami écrivain et journaliste, dont je ne citerai pas le nom par discrétion, pour la richesse de nos échanges. Sa rigueur intellectuelle et sa passion pour les mots rappellent combien la littérature et le journalisme sont des métiers de codes et de transmission, mais aussi de transgression, de disruption et de débat éternel devant les lecteurs.

Ce dialogue, parfois contradictoire, n’a d’autre ambition que de prolonger la réflexion. Car au-delà des divergences, c’est l’amour du texte et de la vérité qui nous réunit.



Mardi 19 Août 2025


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