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Transport maritime : la mafia légale des océans..


Rédigé par le Dimanche 28 Septembre 2025

Depuis plus de cent cinquante ans, une réalité souvent méconnue structure l’économie mondiale : le transport maritime n’a jamais vraiment obéi aux lois classiques de la concurrence. Derrière les façades de navires géants et de terminaux portuaires ultramodernes, ce sont des cartels, baptisés pudiquement « conférences maritimes », qui ont fixé les règles du jeu. Ces cartels ont survécu aux révolutions industrielles, aux guerres mondiales, aux crises pétrolières et, plus récemment, à la pandémie de Covid-19. Leur secret ? Maintenir un contrôle strict sur les prix et les parts de marché, avec la bénédiction tacite des États qui y ont vu un rempart contre le chaos.



Un « mal nécessaire » pour dompter le chaos des océans

L’histoire commence au XIXᵉ siècle, au moment où la vapeur et l’ouverture du canal de Suez bouleversent la navigation. L’offre de transport explose, les prix s’effondrent, et les compagnies s’entre-déchirent dans des guerres tarifaires sans merci. Plutôt que de disparaître, elles choisissent la collusion. C’est ainsi que naissent les premières conférences maritimes : accords secrets qui fixent les tarifs, répartissent les lignes et éliminent les dissidents. Le marché libre, dans ce secteur stratégique, devient une illusion.

Ce système a montré son vrai visage lors de la pandémie de Covid-19. Alors que la planète tournait au ralenti, les armateurs, eux, réalisaient des bénéfices stratosphériques. Le prix d’un conteneur de 40 pieds, qui oscillait entre 1 500 et 2 000 dollars, a culminé à près de 20 000 dollars. Les profits cumulés du secteur en 2021 ont atteint près de 190 milliards de dollars, soit plus que les gains cumulés de la décennie précédente. Le consommateur, lui, payait la facture à travers l’inflation sur les biens importés.

Ces cartels n’ont pas seulement fixé les prix. Ils ont aussi verrouillé l’accès au marché par des méthodes brutales : « fighting ships » envoyés pour casser les prix sur des lignes ciblées, clauses contractuelles piégeant les clients, systèmes de remises différées pénalisant ceux qui osaient se tourner vers la concurrence. Une mécanique sophistiquée qui garantissait à la fois fidélité forcée des clients et élimination méthodique des nouveaux entrants.

Ce qui choque le plus, c’est la longévité institutionnelle de ces pratiques. Aux États-Unis comme en Europe, des lois ont explicitement accordé aux cartels une immunité face aux règles antitrust. Pourquoi ? Parce que les gouvernements redoutaient un effondrement du transport maritime mondial. Les navires sont des actifs coûteux, les infrastructures portuaires requièrent des investissements colossaux, et sans un minimum de stabilité, personne n’oserait miser sur un secteur vital pour le commerce international.

Les économistes expliquent cette persistance par la théorie des jeux, et plus particulièrement le concept de « cœur vide » : dans un marché aussi complexe et fragmenté que le shipping, la concurrence pure mène au chaos. Sans entente, chaque acteur chercherait des arrangements individuels, créant une instabilité permanente. Le cartel, aussi contestable soit-il, devient alors un régulateur informel, fixant des règles du jeu durables, assurant la rentabilité des investissements et évitant le retour des guerres de prix destructrices.

150 ans de monopole sur les mers : faut-il briser le cartel ?

Il serait naïf, toutefois, de présenter ces cartels comme de simples garants de stabilité. Leur pouvoir monopolistique a un coût social évident : hausse artificielle des tarifs, transfert massif de richesse des importateurs vers les armateurs, absence d’innovation concurrentielle. La pandémie a mis ce déséquilibre en pleine lumière. Les armateurs ont engrangé des marges records, tandis que les États, malgré leurs enquêtes et commissions, n’ont pas réussi à réformer un système qu’ils jugent en même temps indispensable.

La vraie question n’est donc pas de savoir s’il faut en finir avec les cartels maritimes, mais comment les encadrer. Faut-il les laisser prospérer comme une « mafia légale » indispensable au commerce mondial, ou faut-il inventer de nouveaux mécanismes de régulation internationale qui garantissent à la fois stabilité et équité ? Pour l’instant, le statu quo domine, renforcé par la peur des États de déstabiliser une industrie vitale pour leurs économies.

L’histoire des cartels maritimes rappelle que le capitalisme n’est pas toujours synonyme de concurrence libre et parfaite. Dans certains secteurs, la concentration et la collusion apparaissent comme des solutions pragmatiques à des problèmes structurels. Mais ce « mal nécessaire » ne doit pas faire oublier les abus qu’il engendre. La pandémie a montré que sans garde-fous, les cartels peuvent transformer une crise mondiale en une manne spéculative. L’avenir du commerce maritime dépendra donc de notre capacité à concilier stabilité industrielle et justice économique.

​Le Maroc face à son propre défi :

Dans ce contexte mondial, le Maroc n’échappe pas à la dépendance. Aujourd’hui, près de 90 % des exportations marocaines transitent par des opérateurs internationaux, ce qui limite la maîtrise nationale sur les flux, les coûts et les stratégies de transport.

L’absence d’un pavillon maritime national fort fragilise la compétitivité du pays et le rend vulnérable aux aléas des cartels mondiaux. Repenser une politique maritime intégrée, incluant la création ou le renforcement d’un pavillon marocain, permettrait non seulement de sécuriser les exportations mais aussi de gagner en influence et compétitivité dans un marché dominé par quelques géants étrangers.

C’est là une condition incontournable si le Maroc veut transformer son statut de simple usager en acteur reconnu du commerce maritime international.

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Mohamed Ait Bellahcen
Un ingénieur passionné par la technique, mordu de mécanique et avide d'une liberté que seuls l'auto... En savoir plus sur cet auteur
Dimanche 28 Septembre 2025

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