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Yalta, le retour ? Non merci. Cette fois, on ne nous la fera pas.




J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’article publié par mon ami Samir Belhsen sur le site Quid.ma. Sa lecture m’a interpellé, non par désaccord frontal, mais par ce besoin de prolonger la réflexion dans l’autre sens — comme dans une partie de ping-pong intellectuel où l’on relance la balle, non pour marquer un point, mais pour faire durer l’échange. J’espère qu’il en acceptera le principe avec bienveillance. Voici donc, avec toute mon amitié, ma contre-tribune.

​Il y a 80 ans, à Yalta, on nous a vendus pour la paix.

Trois hommes, trois drapeaux, et un monde partagé sans nous.
On a parlé de compromis, d’ordre international, d’union sacrée. On a dit que l’histoire avançait à coups de conférences et de traités.
Mais ce qu’on a appris depuis, c’est que derrière chaque paix négociée entre grandes puissances se cache une injustice consentie, un peuple oublié, une voix étouffée.

Aujourd’hui, alors que le monde vacille à nouveau, on nous rejoue le refrain : coopération, réforme de l’ONU, pactes globaux, inclusivité…
Mais cette fois, on ne nous la fera pas.
Nous avons lu entre les lignes.
Nous avons compris le vrai prix de la paix des forts.
Et nous ne voulons plus d’un monde décidé sans nous.

80 ans après Yalta : et si la coopération n’était qu’un mirage diplomatique ?

On aime se rassurer en répétant qu’à Yalta, les ennemis d’hier ont su coopérer. Que l’ONU est née d’un esprit de compromis. Et qu’aujourd’hui encore, malgré les tensions, un ordre mondial plus juste est possible à travers des “réformes” et des “pactes globaux”.

Mais 80 ans plus tard, tout cela ressemble moins à une leçon d’espoir qu’à une répétition d’illusions diplomatiques. Car si l’histoire éclaire les tensions actuelles, encore faut-il la lire sans lunettes idéologiques.

La coopération pragmatique ? Une façade pour la domination
Il est tentant de croire que les grandes puissances peuvent coopérer rationnellement pour “le bien commun”. Mais l’expérience historique enseigne tout l’inverse.
À Yalta, les compromis étaient moins un modèle de coopération qu’un partage brutal du monde entre empires rivaux, où ni les peuples d’Europe de l’Est, ni ceux du Sud global n’avaient voix au chapitre.

Et aujourd’hui ? Les “coopérations pragmatiques” comme celles entre les États-Unis et la Chine dans le climat, ou entre puissances nucléaires dans les forums multilatéraux, sont des arrangements tactiques, pas des alliances morales. Elles ne règlent rien sur le fond.
Elles masquent des compétitions féroces : technologiques, militaires, spatiales, monétaires. On ne coopère pas. On gèle les conflits pour mieux les relancer.

La guerre froide : non une anomalie, mais le retour du réel
On nous dit que la guerre froide a surgi car la méfiance a brisé l’alliance de Yalta. Mais cette méfiance n’est pas née après. Elle était inscrite dans l’accord lui-même.
Yalta n’a pas échoué : elle a accouché du monde que ses signataires voulaient. Divisé.

Hiérarchisé. Mécaniquement conflictuel.
Croire qu’il existe une coopération désidéologisée, c’est refuser de voir que les grands États ne cherchent pas la paix, mais la suprématie dans un système instable.

Réformer l’ONU ? Le mirage de l’inclusivité
On nous propose de “rénover le machin”. De rendre l’ONU plus efficace, plus représentative, plus légitime. Mais peut-on réparer une machine conçue dès le départ pour bloquer tout changement réel ?

Le droit de veto ? Intouchable.
Le Conseil de sécurité ? Cadenassé par les vainqueurs de 1945.
Les puissances émergentes ? Toujours au banc des débats, jamais aux commandes.
Et les défis globaux ? Santé, climat, inégalités ? Ils font l’objet de “pactes”… qui n’engagent personne.

L’ONU n’est pas un espace de gouvernance mondiale. C’est une scène de théâtre diplomatique, où chacun joue son rôle et rentre chez soi. Les peuples n’y sont ni représentés, ni entendus.

Un monde post-Yalta… sans leçons de Yalta
Les appels à un multilatéralisme “inclusif” sonnent creux quand les États les plus puissants n'ont jamais été aussi unilatéraux. Qu’il s’agisse des sanctions économiques, des interventions militaires, ou de la domination technologique, le droit international est devenu l’arme du plus fort, non la garantie des plus faibles.

La paix ? Elle ne naît ni des traités ni des institutions. Elle naît d’un rapport de force stabilisé, ou de la fatigue des guerres. Le reste est de la communication.

Et si l’avenir exigeait autre chose qu’un “rééquilibrage” ?

80 ans après Yalta, le monde ne réclame pas une réforme des règles du jeu. Il réclame un changement de jeu.
La question n’est pas de savoir comment intégrer les puissances émergentes au Conseil de sécurité, mais pourquoi un tel conseil existe encore, et pourquoi des peuples entiers restent exclus des décisions qui les concernent.

Comme disait Aimé Césaire : "Le malheur est que l’ordre règne, mais que la justice ne règne pas."
L’ONU incarne cet ordre. Il est peut-être temps de penser non sa réforme, mais son dépassement.

L'autre lecture de ​Yalta, ou le partage du monde entre empires rivaux

Et si la conférence de Yalta n’était pas l’acte fondateur d’une paix durable, mais l’acte de naissance d’un nouvel impérialisme codifié ? Si, loin de défendre les idéaux de liberté, les « trois grands » avaient plutôt scellé un pacte cynique, un partage du monde digne d’un cartel de puissances ? Voilà ce que suggèrent plusieurs lectures alternatives de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.

L’autre visage de Roosevelt : empire par d'autres moyens
L’image d’un Roosevelt affaibli mais humaniste, prônant la coopération internationale, est souvent contredite par les faits. Comme l’a montré Gabriel Kolko dans The Politics of War, l’objectif stratégique des États-Unis n’était pas la paix mondiale, mais la suprématie américaine dans l’après-guerre. L’ONU ? Un outil pour légitimer leur leadership, avec droit de veto bien verrouillé. La reconstruction ? Un marché colossal à ouvrir aux multinationales américaines. Le plan Marshall (qui viendra plus tard) sera l’expression la plus visible de cette vision.

Roosevelt ne fut pas un modéré naïf mais un stratège redoutable. Son apparente complaisance envers Staline à Yalta visait à éviter une guerre d’usure sur le front japonais et assurer le contrôle des routes commerciales mondiales. Il n’a jamais eu l’intention d’accorder aux peuples colonisés le droit à l’autodétermination. Au contraire, il cautionnait tacitement le maintien des empires, à condition qu’ils servent les intérêts américains.

Churchill, garant d’un empire à l’agonie
Churchill n’était pas tant préoccupé par le communisme que par la survie de l’Empire britannique. Son obsession n’était pas la liberté des peuples, mais le maintien du joug colonial de l’Inde à l’Afrique. Pour lui, Yalta était une tentative désespérée de rester dans le jeu face aux deux superpuissances montantes. Comme l’a écrit l’historien Pankaj Mishra, Churchill était un réactionnaire colonialiste déguisé en défenseur de la démocratie.

Staline, le "vainqueur" mal vu de l’histoire
Quant à Staline, souvent caricaturé comme l’ogre de Yalta, il est indéniable que l’URSS a payé le plus lourd tribut humain à la guerre : plus de vingt millions de morts. Son obsession d’une zone-tampon en Europe de l’Est s’explique par la peur légitime de nouvelles invasions germaniques. Dans cette version de l’histoire, Staline n’impose pas un glacis impérial, il construit un mur de survie, aussi brutal soit-il.

Des historiens comme Arno Mayer (Why Did the Heavens Not Darken?) rappellent que l’Europe de l’Est ne fut pas simplement "occupée", mais reconstruite sur les cendres d’une guerre que l’Occident avait laissé faire trop longtemps, y compris par l’apaisement de Munich.

Le "Nouvel Ordre mondial" n'était qu’un vieux monde réorganisé
Loin d’une victoire des idéaux, Yalta fut un marchandage entre empires, où l’Allemagne fut dépecée non pour des raisons morales, mais pour assurer un équilibre stratégique entre sphères d’influence. Les peuples d’Europe centrale n’ont pas eu voix au chapitre, et ceux du Sud global encore moins. Le monde arabe, l’Asie du Sud-Est, l’Afrique ? Complètement absents des négociations – sauf comme futurs objets d’affrontements indirects.

La « paix » qui en est sortie ? Un armistice entre prédateurs. Et comme l’illustre la guerre froide, ce n’était qu’une trêve provisoire avant une autre guerre, plus sourde, plus longue, plus mondiale encore : celle des blocs, du capital, de l’idéologie.

Ce récit alternatif ne vise pas à réhabiliter Staline ni à diaboliser Roosevelt, mais à rappeler une vérité essentielle : l’histoire n’est pas un conte moral. Les vainqueurs de 1945 n’étaient pas des saints unis contre le mal, mais des rivaux calculant leurs gains. Comme le dit Howard Zinn : « Il ne faut pas confondre la mémoire des peuples avec les récits des puissants ».

Références critiques et historiens à consulter :

  • Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis : Pour une vision critique de Roosevelt et de l’impérialisme américain.
  • Gabriel Kolko, The Politics of War : Déconstruction du rôle réel des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale.
  • Arno Mayer, Why Did the Heavens Not Darken? : Analyse du rôle soviétique et des ambiguïtés morales des Alliés.
  • Pankaj Mishra, From the Ruins of Empire : Mise en lumière du silence sur les peuples colonisés.
  • Eric Hobsbawm, L’Âge des extrêmes : Pour une lecture marxiste des enjeux de Yalta.
  • Noam Chomsky, divers essais sur l’ordre mondial et la guerre froide.



Lundi 5 Mai 2025


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