Le débat est revenu comme une marée : faut-il construire des stades quand l’école et l’hôpital manquent de souffle ? La question est légitime, mais elle est souvent mal posée. On la traite comme une guerre de religion — le prestige contre la proximité — alors qu’elle relève d’un diagnostic plus rustique : la chaîne publique sait-elle concevoir, financer, exécuter et exploiter des projets complexes, qu’ils soient sociaux ou sportifs ? Les chiffres, eux, parlent sans passion.
D’abord, la fable du “zéro dirham” mérite d’être rangée au rayon des slogans. Des lignes budgétaires consacrées aux infrastructures sportives existent : 500 MDH pour la mise à niveau des stades en 2024, et des enveloppes globales de 1,4 MMDH (2024) puis 1,2 MMDH (2025) libellées “infrastructures sportives”
Ce n’est pas le Pérou, mais ce n’est pas rien. Le montage retenu — Sonarges comme bras opérateur et un OPCI comme propriétaire-bailleur — relève d’une ingénierie financière assumée : 14,5 MMDH annoncés pour sept grandes enceintes, avec une annuité cible autour d’1 MMDH une fois l’ensemble livré
L’idée est d’étaler la charge, de la couvrir par des recettes propres (billetterie, naming, événements), et d’éviter de plomber le budget général. Sur le papier, c’est élégant. Dans la vraie vie, tout dépendra du carnet de commandes, pas des communiqués.
Car l’angle mort n’est pas le plus visible. L’opérateur public n’est pas un coffre-fort : Sonarges affiche un chiffre d’affaires passé de 11 à 46 MDH entre 2021 et 2023 (57 MDH projetés en 2024), mais avec un résultat structurellement déficitaire, de –20 MDH (2021) à –47 MDH (2024e)
Autrement dit, la promesse de soutenabilité n’est crédible que si les stades deviennent des usines à événements — football le week-end, concerts, salons, congrès le reste du temps — et si la programmation se pense à l’échelle nationale, mutualisée, agressive, métrée. Sinon, l’écart entre recettes réelles et annuité due finira, d’une manière ou d’une autre, par retomber sur la sphère publique
À l’inverse, l’argument “chaque dirham dans un stade est un dirham en moins pour l’hôpital” ne résiste pas à l’examen. Le cœur du problème social n’est pas l’enveloppe — elle augmente — mais l’exécution. À mi-exercice 2025, seuls 28 % de l’investissement éducation (8,2 MMDH) étaient effectivement réalisés, et 38 % côté santé (9 MMDH). Même les lignes “matériel” et “divers” n’avancent qu’à mi-régime (51,6 % et 40,3 %)
La dépense est votée mais n’atteint pas le terrain. Nous avons moins une crise d’argent qu’une crise d’organisation : maîtrise d’ouvrage, procédures, capacités locales, suivi de chantier. Tant que l’État ne se dotera pas d’une culture de projets — délégation, SLA, bonus-malus, reporting trimestriel public — il continuera à opposer des totems au réel.
Il faut aussi clarifier l’“éviction”. Financierement, rien n’indique qu’un endettement public supplémentaire chasse aujourd’hui le privé du crédit : liquidité excédentaire, LM presque horizontale, réserves obligatoires à 0 %, taux stables. En revanche, l’éviction est bien réelle… au sens littéral : les grands chantiers saturent le BTP, raréfient la main-d’œuvre qualifiée et les matériels, font grimper les prix, retardent des projets privés, notamment dans le logement
La solution n’est pas de renoncer, mais d’orchestrer : cadencer les lancements, industrialiser les méthodes (préfabrication), former massivement, arbitrer les pics. L’État stratège ne se mesure pas au volume qu’il occupe, mais à la façon dont il synchronise.
Reste la question politique, la seule qui compte vraiment : à quoi servent nos mégaprojets ? Un pays ne vit pas que de bilans carbone et de ratios d’exécution. Il a besoin de confiance, de récit, d’élan. Les grandes enceintes, si elles sont bien gouvernées, peuvent devenir des aimants territoriaux, des lieux d’activité et non des cathédrales vides. Elles n’opposent pas prestige et proximité ; elles les réconcilient lorsque la mobilité, l’hôtellerie, le commerce de quartier, la formation aux métiers de l’événementiel se branchent sur la même prise. À l’inverse, l’opacité contractuelle, l’absence de KPI publiés et la paresse commerciale transformeront un joli montage financier en bombe à retardement.
Notre ligne, à ECO Business, est simple. Oui à l’ambition, non au storytelling. Les chiffres budgétaires existent, citons-les. Les risques hors bilan existent, nommons-les. Les retombées existent, mesurons-les. Pour chaque stade, exigeons un tableau de bord trimestriel public : fréquentation, recettes sportives et non sportives, coûts d’exploitation, contrats de naming, emplois directs et indirects, retombées fiscales locales, satisfaction des riverains. Pour la santé et l’éducation, instaurons la même exigence : pipelines de projets, taux d’exécution, retards, causes, remèdes. Le pays gagnera alors sur deux terrains : celui de la fierté et celui du service.
Ce numéro spécial ne tranche pas un procès ; il propose un protocole de vérité. Les infrastructures sportives ne sont ni l’alibi d’une politique spectacle, ni la cause du mal-être social. Elles sont un test de maturité institutionnelle. Si nous savons programmer, exécuter, exploiter et rendre des comptes, elles deviendront des actifs productifs. Sinon, elles resteront des images. Entre le prestige et la proximité, il y a une passerelle : la gouvernance. Marchons
D’abord, la fable du “zéro dirham” mérite d’être rangée au rayon des slogans. Des lignes budgétaires consacrées aux infrastructures sportives existent : 500 MDH pour la mise à niveau des stades en 2024, et des enveloppes globales de 1,4 MMDH (2024) puis 1,2 MMDH (2025) libellées “infrastructures sportives”
Ce n’est pas le Pérou, mais ce n’est pas rien. Le montage retenu — Sonarges comme bras opérateur et un OPCI comme propriétaire-bailleur — relève d’une ingénierie financière assumée : 14,5 MMDH annoncés pour sept grandes enceintes, avec une annuité cible autour d’1 MMDH une fois l’ensemble livré
L’idée est d’étaler la charge, de la couvrir par des recettes propres (billetterie, naming, événements), et d’éviter de plomber le budget général. Sur le papier, c’est élégant. Dans la vraie vie, tout dépendra du carnet de commandes, pas des communiqués.
Car l’angle mort n’est pas le plus visible. L’opérateur public n’est pas un coffre-fort : Sonarges affiche un chiffre d’affaires passé de 11 à 46 MDH entre 2021 et 2023 (57 MDH projetés en 2024), mais avec un résultat structurellement déficitaire, de –20 MDH (2021) à –47 MDH (2024e)
Autrement dit, la promesse de soutenabilité n’est crédible que si les stades deviennent des usines à événements — football le week-end, concerts, salons, congrès le reste du temps — et si la programmation se pense à l’échelle nationale, mutualisée, agressive, métrée. Sinon, l’écart entre recettes réelles et annuité due finira, d’une manière ou d’une autre, par retomber sur la sphère publique
À l’inverse, l’argument “chaque dirham dans un stade est un dirham en moins pour l’hôpital” ne résiste pas à l’examen. Le cœur du problème social n’est pas l’enveloppe — elle augmente — mais l’exécution. À mi-exercice 2025, seuls 28 % de l’investissement éducation (8,2 MMDH) étaient effectivement réalisés, et 38 % côté santé (9 MMDH). Même les lignes “matériel” et “divers” n’avancent qu’à mi-régime (51,6 % et 40,3 %)
La dépense est votée mais n’atteint pas le terrain. Nous avons moins une crise d’argent qu’une crise d’organisation : maîtrise d’ouvrage, procédures, capacités locales, suivi de chantier. Tant que l’État ne se dotera pas d’une culture de projets — délégation, SLA, bonus-malus, reporting trimestriel public — il continuera à opposer des totems au réel.
Il faut aussi clarifier l’“éviction”. Financierement, rien n’indique qu’un endettement public supplémentaire chasse aujourd’hui le privé du crédit : liquidité excédentaire, LM presque horizontale, réserves obligatoires à 0 %, taux stables. En revanche, l’éviction est bien réelle… au sens littéral : les grands chantiers saturent le BTP, raréfient la main-d’œuvre qualifiée et les matériels, font grimper les prix, retardent des projets privés, notamment dans le logement
La solution n’est pas de renoncer, mais d’orchestrer : cadencer les lancements, industrialiser les méthodes (préfabrication), former massivement, arbitrer les pics. L’État stratège ne se mesure pas au volume qu’il occupe, mais à la façon dont il synchronise.
Reste la question politique, la seule qui compte vraiment : à quoi servent nos mégaprojets ? Un pays ne vit pas que de bilans carbone et de ratios d’exécution. Il a besoin de confiance, de récit, d’élan. Les grandes enceintes, si elles sont bien gouvernées, peuvent devenir des aimants territoriaux, des lieux d’activité et non des cathédrales vides. Elles n’opposent pas prestige et proximité ; elles les réconcilient lorsque la mobilité, l’hôtellerie, le commerce de quartier, la formation aux métiers de l’événementiel se branchent sur la même prise. À l’inverse, l’opacité contractuelle, l’absence de KPI publiés et la paresse commerciale transformeront un joli montage financier en bombe à retardement.
Notre ligne, à ECO Business, est simple. Oui à l’ambition, non au storytelling. Les chiffres budgétaires existent, citons-les. Les risques hors bilan existent, nommons-les. Les retombées existent, mesurons-les. Pour chaque stade, exigeons un tableau de bord trimestriel public : fréquentation, recettes sportives et non sportives, coûts d’exploitation, contrats de naming, emplois directs et indirects, retombées fiscales locales, satisfaction des riverains. Pour la santé et l’éducation, instaurons la même exigence : pipelines de projets, taux d’exécution, retards, causes, remèdes. Le pays gagnera alors sur deux terrains : celui de la fierté et celui du service.
Ce numéro spécial ne tranche pas un procès ; il propose un protocole de vérité. Les infrastructures sportives ne sont ni l’alibi d’une politique spectacle, ni la cause du mal-être social. Elles sont un test de maturité institutionnelle. Si nous savons programmer, exécuter, exploiter et rendre des comptes, elles deviendront des actifs productifs. Sinon, elles resteront des images. Entre le prestige et la proximité, il y a une passerelle : la gouvernance. Marchons












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