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​L’Amérique de 2025 : quand la sécurité nationale devient un récit impérial

Dossier : Le Grand Réalignement : comment États-Unis, Chine, Russie et Inde redessinent le XXIᵉ siècle


Rédigé par le Lundi 8 Décembre 2025

La nouvelle Stratégie de sécurité nationale américaine, publiée sous la plume de l’administration Trump et traduite dans le document que nous avons sous les yeux, mérite d’être lue non comme un simple texte diplomatique, mais comme un véritable manifeste politique. On y trouve une vision du monde largement unifiée autour d’une idée matricielle : l’Amérique ne doit pas seulement être protégée, elle doit être restaurée dans sa centralité, replacée au cœur des équilibres planétaires, quitte à redéfinir brutalement ces équilibres. Le ton, dès l’introduction, est sans ambiguïté. Trump raconte avoir « sauvé la nation et le monde entier » de l’abîme en huit mois, comme si l’histoire contemporaine n’était qu’un décor un peu flou autour de sa propre action



Le retour frontal de la doctrine Monroe

Ce registre hyperbolique, presque messianique, n’est pas un simple effet rhétorique. Il structure toute la logique du texte : le monde est dangereux, fragilisé, mal géré ; l’Amérique seule peut en rétablir l’axe, à condition de se recentrer sur un principe cardinal, répété comme un mantra : America First.

Le document renverse ainsi, point par point, trois décennies de doctrine libérale-internationale héritée de l’après-guerre froide. Fini le multilatéralisme élargi, les institutions internationales vues comme des partenaires, l’idée que la globalisation est un vecteur de stabilité. Place à un réalisme musclé où chacun doit « payer sa part », où l’alliance n’est jamais inconditionnelle, et où les États-Unis n’ont plus vocation à être une puissance « bienveillante », mais une puissance transactionnelle. Rien n’est gratuit. Rien n’est universel. Tout est marchandise, rapport de force ou investissement stratégique.

Un monde redessiné autour de la souveraineté américaine

Le texte identifie d’abord ce que les États-Unis doivent vouloir : une souveraineté absolue, un contrôle total des frontières, une économie réindustrialisée, une énergie abondante et nationalisée, une armée « la plus létale au monde » et une restauration culturelle fondée sur les « héros de la nation » 

C’est une vision quasi jacobine du patriotisme : l’État fédéral n’est plus seulement garant de la sécurité, il devient le gardien moral d’une identité collective en péril.

Les auteurs accusent sans détour les élites américaines des trente dernières années d’avoir sapé la classe moyenne en misant sur le libre-échange, d’avoir laissé filer la production industrielle vers la Chine, et d’avoir accepté que les alliés européens « vivent sous perfusion stratégique américaine ». L’Europe est d’ailleurs l’un des grands personnages du texte : pas une menace, mais un continent « fatigué », affaibli, englué dans la bureaucratie et l’idéologie, incapable de protéger sa civilisation et son identité culturelle. Le document prévient que si la tendance se poursuit, l’Europe pourrait devenir « méconnaissable » en vingt ans 

La diplomatie américaine se fixe donc une mission quasi pédagogique : aider l’Europe à redevenir européenne, c’est-à-dire plus souveraine, moins normative, plus militarisée, plus alignée sur le pragmatisme américain. C’est un paradoxe délicieux : pour défendre la souveraineté européenne… Washington veut intervenir davantage dans la définition de cette souveraineté.

Le retour frontal de la doctrine Monroe

Le passage sur l’hémisphère occidental est l’un des plus éclairants. Le texte assume purement et simplement un « corollaire Trump » à la doctrine Monroe : l’Amérique latine est une zone d’influence naturelle des États-Unis, et toute ingérence « extra-hémisphérique » – comprendre chinoise ou russe – doit être contrée, fût-ce par des mesures coercitives, voire militaires 

Le vocabulaire employé renvoie aux années 1950 : « recruter », « s’étendre », « réajuster la présence militaire », « sécuriser la frontière », « vaincre les cartels », « utiliser la force létale si nécessaire ». On y sent l’inquiétude d’une Amérique paniquée par la porosité de sa frontière sud, hantée par la mobilité des flux migratoires, déterminée à transformer le Mexique et l’Amérique centrale en zones tampons stabilisées, mais sur un modèle qui sert d’abord les intérêts de Washington.

L’hémisphère occidental, dans la vision trumpienne, doit redevenir un espace d’ordre hiérarchique, énergétiquement connecté aux États-Unis, technologiquement dépendant des entreprises américaines, et politiquement aligné sur les priorités stratégiques de Washington. L’idée n’est pas neuve. Ce qui l’est, en revanche, c’est l’affirmation décomplexée de cette hiérarchie.

La Chine : adversaire économique, rival systémique, compétition totale

La section consacrée à l’Asie est un traité de géoéconomie pure. La Chine y est décrite comme l’architecte patient d’une stratégie d’encerclement industriel fondée sur l’expansion dans les pays à bas revenus, la construction de chaînes d’approvisionnement parallèles, et l’usage de ses excédents commerciaux pour financer son influence mondiale 

Les États-Unis, eux, veulent reprendre la main en rééquilibrant le commerce, en réindustrialisant leur territoire, en sécurisant les minéraux critiques, en renforçant les alliances (Quad, Inde, Japon, Australie) et en imposant une « discipline économique » à leurs partenaires. Le texte admet qu’un conflit militaire dans l’Indo-Pacifique – notamment autour de Taïwan – serait catastrophique, et que la meilleure stratégie reste la dissuasion par la supériorité technologique et industrielle.

Mais la doctrine qui se dessine est plus large : l’Amérique veut empêcher la Chine de devenir la puissance pivot du XXIᵉ siècle, et cela passe autant par la finance, la technologie, l’énergie, le commerce, que par la défense. La compétition est totale.

Une stratégie impériale qui ne dit pas son nom

Ce qui frappe à la lecture, c’est la cohérence interne du texte. À aucun moment le document ne se cache derrière une rhétorique idéaliste. Il assume un monde de rapports de force, un monde où les États-Unis doivent redevenir non pas un arbitre, mais un dominant. Les institutions internationales sont dépeintes comme des obstacles ; le multilatéralisme comme une perte de souveraineté ; les engagements militaires comme des investissements calculés ; les alliances comme des contrats conditionnels.

Même la paix, pourtant célébrée comme une réussite majeure du président, est conçue comme un outil de repositionnement stratégique : négocier des paix rapides dans des conflits régionaux sert à réaligner les acteurs et à renforcer l’influence américaine, avec un coût politique minimal 

C’est un réalisme assumé, parfois brutal, souvent efficace, mais qui soulève une question essentielle : quelle place reste-t-il pour les autres ?

Dans ce monde-système redessiné par Washington, l’Europe doit se ressaisir, l’Asie doit être contenue, l’Amérique latine doit être disciplinée, l’Afrique doit servir l’accès aux ressources critiques, et le Moyen-Orient doit rester sous contrôle énergétique. Tout cela n’est pas formulé comme une domination, mais comme un retour à l’ordre naturel des choses, où l’Amérique occupe une place centrale.

C’est précisément ce naturalisme stratégique qui interroge : le texte décrit un monde fluide, dangereux, fragmenté… mais où une seule puissance a vocation à stabiliser l’ensemble. Les États-Unis se perçoivent comme la colonne vertébrale de la civilisation occidentale, ce qui leur donne un rôle quasi civilisationnel. C’est ici que la stratégie se transforme en récit.

Une doctrine pour un monde inquiétant

La force du document est de mettre des mots sur les fragilités du système international : la désindustrialisation occidentale, la dépendance énergétique, les flux migratoires, le vieillissement européen, l’avancée technologique chinoise, l’effritement des alliances. Le texte ne caricature pas ces tendances : il les éclaire. Mais la faiblesse du document est d’attribuer à l’Amérique seule la capacité, et peut-être le devoir, de corriger ces dérives.

Le résultat est une stratégie qui se veut lucide, mais qui repose en réalité sur un postulat immense : l’Amérique ne peut pas échouer. Si elle échoue, c’est le monde qui s’effondre. Ce type de récit produit une politique étrangère expansive, parfois agressive, qui risque de multiplier les tensions au lieu de les résoudre.

Cependant, il serait naïf d’y voir un simple texte trumpien. La plupart des administrations américaines, depuis 20 ans, ont glissé vers ce réalisme assumé. La différence ici est la tonalité, presque théologique : la restauration nationale devient un acte moral, et la puissance un devoir sacré.

Une feuille de route pour un XXIᵉ siècle dur

Cette Stratégie de sécurité nationale n’est pas une parenthèse. C’est un signal. Un jalon dans un moment géopolitique où les États-Unis, blessés par deux décennies de guerre et de désindustrialisation, cherchent à redevenir ce qu’ils pensent avoir été : la puissance qui fait tenir le monde.

Qu’on partage ou non ce regard, il oblige à réfléchir à la manière dont les autres puissances – Europe, Chine, Inde, monde arabe, Afrique – devront se positionner dans un univers où la souveraineté redevient la valeur la plus précieuse, et où le discours de Washington dessine un ordre international plus contractualisé, plus dur, plus asymétrique.

Le texte que nous avons lu n’est pas seulement un programme stratégique. C’est un nouveau code géopolitique. Et il faudra apprendre à vivre avec.

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