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Au-delà du corps, la frontière mentale du sportif

Par ​Kamal El Hassane


Malaika Mihambo se tient sur la piste, le regard fixé sur ce seuil invisible des sept mètres. Un dernier essai pour décrocher l’or olympique. Dans ce moment suspendu, elle incarne notre rapport ambigu aux limites : cette frontière entre le possible et l’impossible, entre ce que nous sommes et ce que nous pourrions devenir. Depuis des millénaires, l’humanité tente de repousser ces barrières. Neuf secondes cinquante-huit au 100 mètres, 8 mètres 95 au saut en longueur : des chiffres qui semblent gravés dans le marbre de nos capacités biologiques. Pourtant une question persiste : ces limites sont-elles inscrites dans notre ADN ou seulement dans notre esprit ?



La machine humaine, comme l’appelaient déjà Léonard de Vinci et les savants de la Renaissance, possède ses propres contraintes.

Un genou supporte jusqu’à douze fois notre poids lors d’un saut professionnel, soit près de deux tonnes chez les meilleurs sauteurs en hauteur, l’équivalent d’un rhinocéros. Notre cheville nous empêche d’atteindre l’angle idéal de 45 degrés qui permettrait de franchir dix mètres. Nous ne bondirons jamais deux cents fois notre taille comme une puce, ni ne sprinterons comme un félin. L’évolution nous a forgés pour d’autres défis : une endurance exceptionnelle, un système de refroidissement unique qui permettait à nos ancêtres de courir leurs proies jusqu’à l’épuisement.
 
Mais Bill Beswick, psychologue sportif britannique de 79 ans atteint de Parkinson, offre une perspective différente. Pour lui, les vraies limites ne sont pas dans les muscles mais dans cette ligne invisible qu’il trace mentalement au sol : la ligne de la responsabilité. Son père lui avait confié un jour : « Toute ma vie, j’ai attendu qu’on me dise si j’avais du travail, des heures supplémentaires, de quoi manger. Je veux que tu franchisses cette ligne. » Beswick distingue quatre types d’athlètes : ceux qui se contentent d’être présents, ceux qui participent, ceux qui s’entraînent pour gagner et cette rare espèce qui s’entraîne pour dominer, rendant la victoire inévitable.

Le paradoxe moderne est saisissant.

Nous approchons des limites physiologiques de l’espèce, les records se mesurent en centièmes, mais le mental continue de les bousculer. Dick Fosbury l’a prouvé en 1968 en révolutionnant le saut en hauteur non par la force, mais par l’idée : sa technique du « Fosbury Flop » a offert dix à quinze centimètres supplémentaires en abaissant le centre de gravité sous la barre.

Même l’intestin impose ses règles :

Impossible de brûler durablement plus de deux fois et demie notre métabolisme de base, quel que soit l’apport calorique. Face à ces contraintes, certains cherchent des raccourcis. Du dopage antique aux manipulations génétiques, la tentation de tricher avec la nature reste forte. Un tiers des athlètes de haut niveau y auraient recours selon des enquêtes anonymes, bien au-delà du 1 % officiel. Mais à quel prix ? Tom Simpson est mort sur les pentes du Mont Ventoux, l’EPO continue de tuer en silence.

La génétique ouvre pourtant un horizon vertigineux.

Dans les années 1960, le skieur finlandais Eero Mäntyranta bénéficiait d’une mutation naturelle du récepteur de l’EPO qui lui donnait un avantage redoutable. Des souris modifiées génétiquement courent deux fois plus longtemps, vivent deux fois plus, mangent le double sans conséquence. Les ciseaux CRISPR promettent de remodeler l’humain : sommes-nous prêts à franchir cette ultime frontière ?

Pour les jeunes sportifs qui liront ces lignes, le message est double.

Oui, vous avez des limites physiologiques réelles, héritées de millions d’années d’évolution. Non, vous ne sauterez jamais comme une puce. Mais la vraie question n’est pas là. Elle réside dans ces trois interrogations que Beswick pose à ses athlètes : Que voulez-vous ? À quel point le voulez-vous ? Combien êtes-vous prêts à souffrir pour l’obtenir ? La plupart des gens ne savent même pas répondre à la première. Ils écrivent leur histoire de vie chaque jour sans jamais réfléchir au scénario.

Beswick ramène ensuite à l’essentiel.

Inspiré par Clint Eastwood, il répète : « Chaque matin, je ne laisse pas le vieil homme entrer. » À 79 ans, il se fixe pour objectif d’être le meilleur septuagénaire parkinsonien possible. Certains jours il se sent victime, d’autres combattant, mais il choisit chaque matin qui il veut être. Les vraies barrières, suggère-t-il, ne sont ni dans nos gènes ni dans nos articulations : elles naissent de la décision quotidienne de rester dans sa zone de confort ou de franchir la ligne.

Le processus compte plus que le résultat.

Beswick a coaché 66 matchs avec l’équipe d’Angleterre de basket : il se souvient de trois scores, mais de chaque amitié, de chaque apprentissage. Dans un monde obsédé par les podiums, cette vérité dérange : c’est dans l’entraînement, dans la confrontation quotidienne avec nos limites, que l’on devient non seulement meilleur athlète, mais meilleure personne.

Quand Malaika Mihambo s’élance pour son dernier saut, ses muscles et son système nerveux ont été optimisés jusqu’à leur extrême.

Mais dans sa tête résonne une vérité plus profonde : la vie commence au bord de notre zone de confort. Sept mètres, un exploit quasi surhumain, accessible à une poignée de femmes dans l’histoire. Le véritable exploit, celui qui nous concerne tous, c’est de se lever chaque matin et de choisir de franchir notre propre ligne.

Nous vivons une époque paradoxale :

Nous touchons les limites biologiques de notre espèce tout en découvrant que l’esprit peut encore les dépasser. Les records tombent rarement, mais quand ils tombent, c’est presque toujours grâce à une idée nouvelle plutôt qu’à un muscle plus fort. La génétique nous promet d’aller plus loin, mais peut-être que la sagesse consiste à accepter nos bornes physiques tout en refusant les barrières mentales que nous érigeons nous-mêmes.

Comme le rappelle Beswick, nous sommes tous des performeurs de haut niveau.

Une mère qui couche trois enfants propres et nourris accomplit une performance extraordinaire. La question n’est donc pas de savoir si nous avons des limites, elles existent, mais de distinguer celles qui nous protègent de celles que nous nous imposons. Entre la génétique qui distribue les cartes et l’environnement qui joue la main, il reste cet espace de liberté où nous décidons, chaque jour, qui nous voulons être.

Malaika Mihambo a franchi les sept mètres ce jour-là à Tokyo, coordonnant vitesse, impulsion et angle d’envol pour une perfection de quelques secondes.

Au-delà de la médaille, elle a surtout prouvé que nos limites, aussi réelles soient-elles, ne définissent pas qui nous sommes. Elles ne fixent que le terrain de jeu sur lequel nous choisissons, chaque matin, de devenir la meilleure version de nous-mêmes.

Par ​Kamal El Hassane 

mentale, motivation, jeunesse, dopage, sport, dépassement de soi, Bill Beswick, Malaika Mihambo


Mercredi 17 Septembre 2025



Rédigé par La rédaction le Mercredi 17 Septembre 2025


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