Un vêtement, plusieurs symboles
Le burkini, contraction de « burqa » et « bikini », est devenu un symbole mondialement controversé. Pour certaines, il représente une liberté retrouvée : celle de pouvoir nager, s’amuser en famille, profiter de la mer, sans renoncer à leur pudeur. Pour d’autres, il demeure un rappel des injonctions patriarcales et de l’assignation du corps féminin à l’espace privé.
Au Maroc, ce paradoxe se vit pleinement. Si le pays jouit d’une certaine diversité d’expressions religieuses et vestimentaires, les plages deviennent souvent le théâtre d’une normalisation implicite du corps féminin exposé. Une femme en maillot une pièce ou en bikini ne choque plus, tandis qu’une femme en burkini dérange, attire les regards, voire les jugements.
Pression sociale et invisibilisation
"On m’a regardée comme une extraterrestre", confie Ibtissam, 28 ans, voilée depuis l’adolescence, qui a tenté de se baigner en burkini à la plage de Skhirat. "Une femme m’a même dit que je devrais rester chez moi si je ne veux pas me découvrir. J’ai fini par sortir de l’eau, mal à l’aise, presque honteuse."
Comme elle, de nombreuses Marocaines choisissent finalement de ne pas se baigner du tout, préférant rester en retrait, installées à l’ombre, observant les autres profiter d’un moment auquel elles ne se sentent pas vraiment conviées. Cette exclusion silencieuse traduit un malaise plus profond : celui d’un corps féminin constamment scruté, jugé, et rarement libre.
Entre modernité assumée et tradition instrumentalisée
Le Maroc moderne est traversé par de multiples contradictions. D’un côté, des campagnes de libération du corps, de l’autre, des appels à la pudeur dans l’espace public. Ce tiraillement est d’autant plus palpable chez les femmes, prises entre un idéal de liberté à l’occidentale et une fidélité à des valeurs souvent présentées comme religieuses mais aussi culturelles.
Le burkini, dans ce contexte, devient l’incarnation de ces tensions. Il ne s’agit pas seulement d’un choix vestimentaire, mais d’une déclaration. Or, toute déclaration, surtout lorsqu’elle émane d’une femme, dérange l’ordre établi.
Et pourtant, un besoin réel
Face à ces défis, certaines voix s’élèvent pour défendre le droit de chaque femme à disposer de son corps, qu’elle choisisse de le dévoiler ou de le couvrir. Des initiatives locales tentent timidement d’ouvrir le débat, notamment sur les réseaux sociaux. Mais sur le terrain, peu de choses changent.
"Ce que je veux, c’est juste pouvoir nager avec mes enfants sans avoir à me justifier", dit Samira, mère de famille. "Je ne suis pas moins moderne parce que je suis couverte. La modernité, c’est aussi le respect de toutes les différences."
Le burkini n’est pas simplement un vêtement. Il est devenu un symbole de résistance, de marginalisation, de liberté et d’oppression à la fois — selon les regards qu’on lui porte. Et au Maroc, il révèle surtout à quel point les corps des femmes, qu’ils soient exposés ou voilés, restent un terrain de contrôle social. Tant qu’une femme ne pourra pas se baigner tranquillement dans un burkini sur une plage marocaine, la modernité que l’on célèbre restera incomplète.