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Du “fabriqué pour” au “Made In Morocco” : le moment industriel du Maroc


Rédigé par le Vendredi 17 Octobre 2025

L’inauguration d’un complexe de moteurs d’avions dans la périphérie casablancaise n’a pas la même signification que l’arrivée d’une usine supplémentaire de câblage ou d’assemblage. Elle marque un changement d’échelle : nous passons de la simple intégration dans des chaînes mondiales à la coproduction de technologies stratégiques. Autrement dit, du “fabriqué pour” au “fabriqué avec”. C’est là que se joue la décennie 2025-2035.



Moteurs d’avions, moteur de montée en gamme :

Ce saut qualitatif n’est pas un hasard. Il résulte d’un triptyque que le pays a patiemment mis en place : stabilité macroéconomique, logistique compétitive et énergie décarbonée à coûts prévisibles. Mais ce socle, aussi précieux soit-il, n’est qu’un ticket d’entrée. Pour capter la valeur, il faut désormais consolider deux maillons où se logent les futures limites : les compétences et l’écosystème d’équipementiers nationaux.

Commençons par les compétences. Une usine de maintenance et d’assemblage de moteurs n’emploie pas la même main-d’œuvre qu’une ligne de harnais électriques. Elle exige techniciens méthodes, métrologues, contrôleurs CND, spécialistes MRO, ingénieurs procédés, anglophones, à l’aise avec la documentation aéronautique et les exigences qualité les plus sévères. Le pays a bâti des instituts performants ; il lui faut maintenant démultiplier l’apprentissage “dual”, adosser chaque filière à un atelier-école chez l’industriel, et certifier massivement (Part-145, EN9100, NDT, EASA). Objectif concret : tripler en cinq ans le flux annuel de diplômés “employables jour 1” sur les métiers critiques, et financer cette montée en charge par un crédit d’impôt formation ciblé sur les compétences rares.

Deuxième maillon : la base fournisseurs locale. Tant que 70 à 80 % des intrants viennent de l’étranger, l’impact macro restera limité. Il faut donc faire émerger des PME marocaines positionnées sur l’usinage de précision, les traitements de surface, la réparation d’accessoires, les outillages, la logistique critique et l’ingénierie documentaire. La méthode est connue : programmes de “supplier development” cofinancés avec les donneurs d’ordres, clauses progressives de contenu local intelligentes (indexées sur la maturité qualité, non sur un pourcentage arbitraire), et un guichet unique qui traite en 90 jours maximum l’ensemble des autorisations, terrains et raccordements. Fixons un jalon mesurable : 30 % d’achats locaux dans cinq ans sur un panier défini de familles critiques.

Reste l’inévitable question de la gouvernance. L’investissement productif déteste les frictions invisibles : délais administratifs erratiques, coûts non officiels, instabilité procédurale. Un “Pacte d’intégrité industrielle” s’impose, avec trois outils simples : transparence des délais (tableau de bord public par zone industrielle), procédure de plainte anonyme traitée sous 15 jours, et sanction effective des pratiques déviantes. Ce n’est pas de la morale ; c’est de la compétitivité-coût.

Sur le plan industriel, le Maroc doit se penser non comme une île d’assemblage, mais comme un nœud de chaîne de valeur euro-africaine. L’accès fiable aux matières premières africaines (métaux, composites, produits chimiques) deviendra un avantage comparatif décisif si l’on sécurise la logistique, l’assurance-crédit et des cadres douaniers prévisibles. La diplomatie économique a déjà ouvert des portes ; il faut désormais industrialiser ces flux avec des corridors contractuels énergie-matières-services.

L’usine qui apprend : comment capter la rente de compétence..

La comparaison avec la trajectoire chinoise est éclairante si elle n’est pas mimétique. La Chine a gravi quatre marches : main-d’œuvre abondante, montée en compétences, apparition de marques locales, puis R&D propriétaire. Le Maroc n’a ni la taille ni l’autarcie pour reproduire ce modèle ; en revanche, il peut réussir un “saut de grenouille” vers la co-ingénierie. Comment ? En logeant dans les zones industrielles des cellules mixtes d’industrialisation (méthodes, outillage, data process) où ingénieurs marocains et équipes des donneurs d’ordres codéveloppent les gammes. Chaque heure d’ingénierie localisée vaut plus qu’une heure d’assemblage : c’est là que se crée la rente de compétence.

Le financement doit suivre. Plutôt que des subventions “CAPEX” uniformes, privilégions des instruments qui rémunèrent l’effort de productivité et d’innovation : amortissement accéléré des équipements de mesure/contrôle, primes à la première certification export, et un mécanisme de “contrat de productivité” : l’État verse une prime temporaire indexée sur les gains démontrés (rebuts en baisse, TRS en hausse, délai réduit), prime qui s’éteint une fois la performance ancrée.

Enfin, gardons la boussole climatique. Le moteur aéronautique de demain se décarbone par les procédés (énergie verte, chaleur fatale, sobriété eau) et par les produits (matériaux, tolérances plus fines, réparabilité). Le pays dispose d’un atout : des PPA renouvelables long terme à tarifs compétitifs. Conditionnons une partie des aides au déploiement de plans “net-zero factory” vérifiables, et faisons-en un argument commercial majeur : “quality made with clean electrons”.

En somme, l’inauguration d’aujourd’hui n’est pas un aboutissement ; c’est un mandat. Mandat pour élever les compétences, tisser un tissu de PME techniques, verrouiller l’intégrité des procédures et monétiser l’avantage énergétique. La promesse est simple : si nous transformons l’usine qui assemble en écosystème qui apprend, alors la prochaine décennie ne sera pas celle du “low cost industriel”, mais celle de la souveraineté de compétence.

Mots-clés : Industrialisation ; Compétences ; Contenu local ; MRO ; Aéronautique ; Chaînes de valeur ; Intégrité ; Énergie verte ; Productivité ; Co-ingénierie






Mohamed Ait Bellahcen
Un ingénieur passionné par la technique, mordu de mécanique et avide d'une liberté que seuls l'auto... En savoir plus sur cet auteur
Vendredi 17 Octobre 2025

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