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ENTRETIEN. “Quand on vit dans le regard des autres, on s’éteint lentement”


Dans un monde saturé d’images, de jugements instantanés et de normes sociales toujours plus étouffantes, il devient de plus en plus difficile d’être soi-même. Beaucoup de Marocains, jeunes et moins jeunes, vivent aujourd’hui sous la pression constante du regard des autres, au point d’en perdre leur spontanéité, leur confiance, voire leur santé mentale. Ce mal moderne porte un nom : FOPO, pour Fear Of People’s Opinions.

Pourquoi avons-nous autant peur de déplaire ou de décevoir ? Comment cette peur façonne-t-elle notre manière de parler, de choisir, d’exister ? Et surtout, comment s’en libérer ?

Pour mieux comprendre ce phénomène encore méconnu au Maroc, nous avons rencontré le Dr Salim , psychologue clinicien à Casablanca, qui partage ici ses éclairages, son expérience et ses conseils pour renouer avec soi-même, loin des diktats sociaux. Un entretien essentiel dans une époque où le regard d’autrui pèse parfois plus lourd que notre propre vérité.



Rencontre avec Dr. Salim , psychologue clinicien à Casablanca

1. Docteur Salim, on entend de plus en plus parler de FOPO, cette “peur du regard des autres”. De quoi s’agit-il exactement ?

Docteur Salim : La FOPO — acronyme de Fear Of People’s Opinions — désigne une forme d’anxiété sociale qui pousse une personne à adapter constamment son comportement en fonction de ce qu’elle pense que les autres attendent d’elle. Ce n’est pas simplement vouloir faire bonne impression : c’est vivre dans une vigilance permanente vis-à-vis du regard des autres, jusqu’à se renier soi-même. C’est une peur insidieuse, souvent inconsciente, qui bloque les élans naturels, bride les choix, et parfois même empoisonne la vie.

2. En quoi cette peur est-elle différente de la timidité ou de la phobie sociale ?

Docteur Salim : Très bonne question. La timidité, c’est souvent un trait de personnalité stable, une réserve naturelle dans les interactions sociales. La phobie sociale, quant à elle, est une pathologie invalidante : elle paralyse littéralement la personne face aux situations sociales. La FOPO se situe entre les deux. Elle ne vous empêche pas forcément d’interagir, mais elle vous pousse à le faire en portant un masque. Elle vous fait sur-adapter votre discours, vos choix, vos gestes, pour plaire, être validé, éviter le rejet. C’est une forme de camouflage psychologique permanent.

3. Est-ce un phénomène mondial ou existe-t-il des spécificités marocaines dans la manière dont cette peur se manifeste ?

Docteur Salim : Le phénomène est global, mais il prend des nuances culturelles fortes. Au Maroc, le poids du regard social est particulièrement important. La famille, le voisinage, la réputation jouent un rôle structurant dans l’identité. On apprend très tôt à se “tenir”, à ne pas faire honte, à rester dans les normes. Ajoutez à cela le rôle de plus en plus pesant des réseaux sociaux, et vous obtenez un climat où la FOPO peut se développer très facilement, surtout chez les jeunes. Beaucoup vivent avec un double langage : celui qu’ils utilisent en public, et celui qu’ils n’osent dire qu’à eux-mêmes.

4. Quels sont les signes concrets qui peuvent alerter sur un trouble de type FOPO ?

Docteur Salim : On commence souvent par de petits renoncements. On n’ose pas dire ce qu’on pense en réunion. On s’habille d’une certaine façon “pour ne pas faire de vagues”. On évite d’exprimer un désaccord en famille. Puis, progressivement, cela devient un mode de vie. On doute de ses choix, on attend l’approbation avant d’agir, on a peur d’être jugé pour des décisions personnelles. Ce sont des signes typiques. Et quand cela dure, on voit apparaître des symptômes plus lourds : anxiété généralisée, perte de confiance, voire états dépressifs. Le corps et l’esprit finissent par dire stop.

5. Quels sont les groupes sociaux les plus touchés par la FOPO au Maroc ?

Docteur Salim : Les adolescents et jeunes adultes sont les plus vulnérables. Ils sont en construction identitaire, fortement exposés aux injonctions sociales, familiales et numériques. Mais on retrouve aussi la FOPO chez des cadres ambitieux, des artistes, des mères de famille. Le point commun, c’est le besoin d’être conforme à une norme perçue. La FOPO touche en réalité tous ceux qui se sentent obligés de jouer un rôle pour exister dans leur environnement.

6. Vous parliez des réseaux sociaux. En quoi ces plateformes renforcent-elles ce trouble ?

Docteur Salim : Les réseaux sociaux sont des vitrines. On y expose une version contrôlée de soi-même, en quête de validation rapide : likes, partages, commentaires flatteurs. Cette logique alimente une dépendance au regard extérieur. On se compare, on se juge, on se censure. Pour ceux qui ont déjà un terrain de fragilité, cela peut devenir une source chronique d’angoisse. J’ai des patients qui vivent mal un simple silence après une story : “Pourquoi ils n’ont pas réagi ?”, “Qu’est-ce que j’ai dit de mal ?”... Le regard de l’autre devient une obsession.

7. Comment traiter cette peur ? Existe-t-il des stratégies thérapeutiques efficaces ?

Docteur Salim : Oui, heureusement. Le travail thérapeutique consiste d’abord à prendre conscience des mécanismes mentaux à l’œuvre : quelles sont les croyances limitantes, d’où viennent-elles, à qui appartiennent-elles vraiment ? Ensuite, on aide la personne à reconstruire son estime de soi sur des bases internes, et non externes. Les thérapies cognitivo-comportementales sont très efficaces : elles permettent de restructurer la pensée et de s’exposer progressivement aux situations anxiogènes. On travaille aussi beaucoup sur l’assertivité : apprendre à dire non, à exprimer ses besoins, à exister sans s’excuser.

8. En tant que psychologue, avez-vous une anecdote ou un cas marquant à partager ?

Docteur Salim : Je pense à une jeune femme brillante, ingénieure, qui refusait systématiquement les promotions. Elle ne voulait pas “faire de l’ombre”, pensait que ses collègues la jugeraient. Elle finissait ses journées épuisée à force de vouloir “plaire à tout le monde”. En thérapie, elle a compris que cette peur venait d’un père très exigeant, qui la réprimait dès qu’elle se faisait remarquer. À force de travail, elle a appris à s’autoriser à réussir pour elle. Elle a accepté un poste de direction quelques mois plus tard. C’est ce genre de transformation qui donne du sens à notre métier.

9. Peut-on prévenir la FOPO dès le plus jeune âge ? Quel rôle pour l’école et la famille ?

Docteur Salim : Absolument. L’école et la famille sont les premiers lieux où se joue la construction de soi. Il est crucial d’encourager l’enfant à exprimer son individualité, à poser des choix, à faire des erreurs sans être humilié. La confiance se construit sur le droit à l’imperfection. Si un enfant apprend très tôt qu’il a de la valeur même lorsqu’il déplait ou échoue, il devient adulte avec un ancrage intérieur solide. Cela ne l’immunise pas totalement, mais cela le protège beaucoup mieux de la dictature du regard des autres.

10. Un mot de conclusion pour ceux qui nous lisent et se reconnaissent dans cette peur ?

Docteur Salim : Vous n’êtes pas seuls. Beaucoup de gens souffrent en silence du poids du regard social. Mais vous pouvez vous en libérer. Ce chemin commence par une décision : celle de vivre selon vos propres valeurs. Il faut du courage pour être soi, dans un monde qui valorise la conformité. Mais ce courage est le début de la liberté intérieure. Ce que les autres pensent de vous ne vous définit pas. Seul compte ce que vous décidez de faire de votre vie. C’est cela, le vrai pouvoir.

Jeudi 19 Juin 2025



le Jeudi 19 Juin 2025


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