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Entretien : L’art de l’écoute : entre présence, silence et limites


Dans un monde saturé de sollicitations, d’échanges rapides et de connexions numériques, il est devenu paradoxalement difficile… de réellement s’écouter. Et pourtant, l’écoute reste au cœur de toutes les relations humaines : familiales, amicales, professionnelles. Pourquoi alors avons-nous si souvent l’impression de n’être sollicités que par intérêt ? Pourquoi ces liens déséquilibrés où l’on devient, sans l’avoir choisi, un « service après-vente émotionnel » ? Pour éclairer ces questions avec lucidité et bienveillance, nous recevons aujourd’hui Sophia El Khensae Bentamy, consultante, coach en psychologie positive et enseignante en communication. À travers cette conversation, elle nous invite à reconsidérer l’écoute non comme une simple attitude passive, mais comme une posture consciente, exigeante et transformatrice. Ensemble, explorons les dynamiques relationnelles, les pièges de l’indifférence masquée, et les moyens concrets de bâtir des relations où l’on s’écoute… même quand il n’y a rien à demander.



Les questions de L"ODJ Média et les réponses de Sophia El Khensae Bentamy

1.Dans une époque saturée de notifications et de sollicitations, que signifie réellement “écouter” quelqu’un ? En quoi l’écoute véritable se distingue-t-elle de l’écoute superficielle ou utilitaire ?

Sophia El Khensae Bentamy : L’écoute véritable, aujourd’hui, est presque une forme de résistance. Elle va à l’encontre de nos réflexes modernes : la précipitation, la réaction immédiate, le multitâche. Écouter, ce n’est pas simplement entendre des mots ou attendre son tour pour parler. C’est une posture intérieure. Elle demande présence, silence, attention. Elle demande même parfois d’accepter un vide, un creux dans la conversation, qui est en fait plein de sens. Contrairement à l’écoute utilitaire, motivée par l’intérêt ou la résolution de problème, l’écoute véritable ne cherche pas à répondre ni à réparer : elle cherche juste à accueillir. Cette distinction est fondamentale, car elle définit la qualité d’un lien. L’écoute vraie est un acte d’amour, de respect. Elle n’a rien de passif : elle engage tout l’être. Écouter, c’est s’ouvrir à l’autre sans attendre, sans vouloir, sans projet. Juste être là. Et c’est rare.

2. Beaucoup d’entre nous ressentent qu’ils sont utilisés comme des “services après-vente émotionnels”. Comment identifier ces relations déséquilibrées, et pourquoi sont-elles si fréquentes ?

Sophia El Khensae Bentamy : Ce sentiment d’être utilisé comme un « service après-vente émotionnel ou logistique » est plus courant qu’on ne le croit. Il traduit une asymétrie dans la relation. Ces liens se caractérisent par une communication à sens unique : on vous appelle quand ça va mal, quand il faut un conseil, une aide, une oreille… mais jamais juste pour vous. Vous n’existez pas en tant que personne, mais comme ressource. Ces relations ne posent pas problème tant qu’il y a réciprocité ou gratitude. Mais lorsque l’échange devient systématiquement à sens unique, une fatigue relationnelle s’installe. Cela devient une extraction émotionnelle. On peut l’identifier en observant certains signaux : les échanges sont toujours centrés sur l’autre, vous ressortez épuisé ou frustré, et vos nouvelles personnelles ne semblent pas intéresser. Ces relations sont fréquentes car elles naissent d’habitudes, d’aveuglement, de dépendance affective parfois, mais aussi d’un manque d’éducation à la réciprocité émotionnelle.

3. Ce déséquilibre relationnel peut apparaître même au sein de nos cercles intimes : famille, amis de longue date… Pourquoi cela “pique” davantage quand cela vient de ceux qu’on aime ?

Sophia El Khensae Bentamy : Parce qu’avec les gens qu’on aime, on a tendance à croire que « ça va de soi ». On s’attend à ce qu’ils nous écoutent avec bienveillance, à ce qu’ils soient là pour nous sans qu’on ait besoin de le demander. C’est cette attente implicite, cet espoir d’amour inconditionnel, qui rend la déception plus douloureuse. Quand on se rend compte qu’un frère, une amie de toujours, un partenaire de vie ne nous écoute que quand il ou elle a besoin de quelque chose, on se sent trahi. Pas parce qu’on a donné – donner est souvent une joie – mais parce que l’amour qu’on pensait partagé semble unilatéral. Cette piqûre vient du fait que l’affection devient conditionnelle. Même dans l’amour, le dialogue est essentiel. Rien n’est automatique. L’écoute ne se déduit pas de l’amour : elle en est la preuve active. Il faut pouvoir rappeler cela avec douceur, mais fermeté.

4. Peut-on apprendre à poser des limites saines face à ce type de relations ? Et comment le faire sans culpabilité ?

Sophia El Khensae Bentamy : Poser des limites n’est pas un acte de rupture, c’est un acte de sauvegarde de soi. Cela demande du courage, surtout quand on a été habitué à être le pilier émotionnel des autres. Mais il est tout à fait possible d’apprendre à le faire de manière douce, claire et sans culpabilité. D’abord, il faut observer : est-ce cyclique ? Est-ce toujours à sens unique ? Ressort-on vidé de ces échanges ? Ensuite, il s’agit de nommer calmement la situation. Par exemple : « J’ai remarqué que nos échanges sont souvent déclenchés par un besoin de ta part. J’aimerais aussi qu’on puisse avoir des moments gratuits, juste pour échanger. » Cette phrase simple, dite avec respect, peut déjà remettre du lien là où il n’y avait que de l’exploitation inconsciente. Et si l’autre persiste ? Alors il faut s’autoriser à limiter le temps, l’énergie, la disponibilité, sans culpabilité. Protéger son espace relationnel, c’est s’aimer.

5. Comment équilibrer une relation sans pour autant rompre ou accuser ? Peut-on “rééduquer” l’autre à une écoute plus active ?

Sophia El Khensae Bentamy : Équilibrer une relation n’est pas une entreprise de reproche, mais une invitation au dialogue. Il ne s’agit pas de dresser l’autre, mais de l’éveiller à une réalité qu’il ou elle ne perçoit peut-être pas. Si la relation compte, on peut proposer des moments partagés plus équitables : un café où chacun peut s’exprimer, un appel sans raison précise, juste pour prendre des nouvelles. Il s’agit de créer des occasions de gratuité. Cela demande parfois de guider l’autre, de dire ce qu’on attend : « Ce que j’aimerais, c’est qu’on prenne aussi du temps pour se parler quand tout va bien, pas seulement en cas d’urgence. » L’idée, c’est de réhabiliter la légèreté, la spontanéité. Si l’autre est de bonne foi, il ou elle comprendra. Sinon, c’est peut-être le signe que la relation doit évoluer. Mais il faut tenter, avec humanité.

6. Parfois, nous-mêmes ne savons pas bien écouter. Quels sont les principaux pièges à éviter pour développer une écoute sincère et non-centrée ?

Sophia El Khensae Bentamy : L’un des pièges les plus fréquents est de croire qu’écouter, c’est se taire pour ensuite pouvoir parler. Or, écouter véritablement, c’est ne pas préparer sa réponse pendant que l’autre parle. C’est être entièrement tourné vers ce qui est dit – et ce qui ne l’est pas. Un autre écueil est la volonté de « réparer », de conseiller trop vite, de trouver une solution. Mais parfois, la personne n’a besoin que d’être accueillie dans ce qu’elle vit, pas d’être corrigée. Il y a aussi le réflexe de ramener à soi : « Ah oui, moi aussi ça m’est arrivé… » Ce réflexe est humain, mais peut couper l’élan de l’autre. Cultiver l’écoute, c’est apprendre à poser des vraies questions (« Et toi, comment tu te sens ? »), à respecter les silences, à ne pas combler, mais à contenir. Cela demande une posture d’accueil, d’humilité, et beaucoup de bienveillance.

7. Vous proposez un “guide anti-non-écoute” très concret. Peut-on le considérer comme une base de l’intelligence relationnelle ?

Sophia El Khensae Bentamy : Absolument. Ce petit guide est en réalité un socle essentiel de l’intelligence émotionnelle et relationnelle. Identifier les dynamiques toxiques, les interactions déséquilibrées, c’est déjà se donner une chance de reprendre la maîtrise de ses liens. Nommer les choses, sans agressivité, mais avec clarté, permet de sortir de l’implicite, du flou où tout se dilue. Et équilibrer, enfin, c’est oser proposer une autre manière d’être ensemble, plus juste. Ce triptyque – observer, nommer, équilibrer – est fondamental. Il nous apprend à ne plus subir nos relations, à y mettre de la conscience. Ce n’est pas un guide pour rompre avec les autres, mais pour réintroduire de l’harmonie. Et parfois, cela passe aussi par des limites. Dire non à l’épuisement relationnel, c’est dire oui à la qualité des liens.

8. Pour conclure, comment imaginez-vous une société où l’on s’écoute vraiment ? Quels bienfaits concrets cela pourrait-il apporter ?

Sophia El Khensae Bentamy : Une société où l’on s’écoute vraiment serait une société apaisée. Une société où chacun se sentirait reconnu, accueilli, entendu. Cela réduirait la solitude, l’anxiété, les tensions interpersonnelles. L’écoute sincère permet de prévenir les conflits, de désamorcer les malentendus, de restaurer la confiance. Elle rend les relations plus profondes, plus vraies. Dans les entreprises, cela crée des environnements de travail plus humains. Dans les familles, cela rétablit le lien. Dans la société, cela favorise le vivre-ensemble. L’écoute est un acte politique, un acte social, un acte d’amour. Elle transforme. Et elle commence par soi : savoir s’écouter pour mieux accueillir l’autre. Voilà l’ambition d’une société plus juste : que chacun ait le droit d’être entendu, même quand il n’a rien à demander.

Mardi 3 Juin 2025



Rédigé par Redaction le Mardi 3 Juin 2025


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