Le monde regarde. Le monde sait. Et le monde laisse faire
Mais dans cette guerre où l’on détruit les corps et les maisons, une autre cible est visée : la mémoire. Les journalistes de Gaza ne sont pas seulement des témoins ; ils sont les gardiens de la vérité, du moins d'une certaine vérité. Et, depuis le 7 octobre 2023, près de 200 d’entre eux ont été tués, selon Reporters sans frontières. Les derniers noms à rejoindre cette liste sont ceux d’Anas Al-Sharif, Mohammed Qreiqeh, Ibrahim Zaher, Mohammed Noufal et Moamen Aliwa. Ils n’étaient pas armés. Leur seule arme : une caméra, un micro, un carnet.
En Droit International Humanitaire (DIH), leur statut ne fait pas débat. L’article 79 du Protocole additionnel (I) aux Conventions de Genève leur garantit la même protection qu’aux civils. Les attaquer délibérément constitue un crime de guerre. Les tuer pour les réduire au silence est une atteinte directe à la liberté d’informer, protégée par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Et pourtant, les assassinats se poursuivent, sous les yeux d’un monde qui se contente de déclarations indignées.
Ce n’est pas seulement le droit qui est violé : c’est l’idée même d’un ordre international fondé sur des règles. Car lorsque la puissance des bombes écrase les principes inscrits dans les traités, il ne reste plus qu’un droit sélectif, un droit qui frappe les faibles et épargne les forts. Les États jugés « indociles » subissent sanctions, embargos et isolement diplomatique. Mais lorsqu’il s’agit d’Israël, les grandes puissances cherchent des prétextes, invoquent la complexité, trouvent mille raisons de ne pas agir.
Les morts s’accumulent. Souvenez-vous de cet homme, avançant vers un hôpital, un sac plastique à la main. À l’intérieur, les restes de ses enfants. Une image qui devrait suffire à faire trembler les institutions censées protéger la vie humaine. Mais ni le Conseil de sécurité des Nations unies, paralysé par les vétos, ni la Cour pénale internationale, entravée par des blocages politiques, ne parviennent à mettre fin à cette spirale.
À Gaza, on ne tue pas seulement des civils. On détruit la preuve. On assassine ceux qui filment, écrivent, témoignent. On enterre la vérité avec les corps, pour que demain, l’Histoire soit écrite par les vainqueurs. Cette stratégie, que le DIH prohibe, a un but : effacer la trace du crime pour effacer le crime lui-même.
La question n’est plus seulement humanitaire. Elle est existentielle. Si le Droit International et le système onusien ne parviennent pas à protéger un peuple sous les bombes, si les crimes les plus flagrants restent impunis, alors nous ne parlons plus d’un ordre fondé sur des règles, mais d’un monde livré aux rapports de force. Et ce jour-là, la perte ne sera pas seulement celle de Gaza : ce sera la nôtre.
Parce qu’en laissant mourir les enfants, en laissant abattre les journalistes, nous perdons plus qu’une bataille juridique ou diplomatique. Nous perdons notre humanité. Et cette défaite-là, aucune armée au monde ne pourra jamais la réparer.
Ce qui se joue à Gaza est un test pour l’humanité tout entière. Si ce test échoue, nous aurons légitimé un monde où la puissance prime sur la justice et le droit, où la vérité est enterrée avec ceux qui la portaient, et où la mémoire des peuples peut être effacée à coups de bombes.
Un jour, peut-être, des rapports officiels dresseront la liste des crimes. Mais il sera trop tard pour les victimes. Et si nous restons spectateurs, il sera trop tard pour nous aussi. Car en abandonnant Gaza, nous n’aurons pas seulement perdu un peuple. Nous aurons perdu l’idée même que le droit peut protéger l’humanité.












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