L’intelligence artificielle en santé ne sera acceptable au Maroc que si elle commence par une promesse simple : ne jamais sacrifier la personne humaine et ses données sur l’autel de l’innovation.
L’IA peut accélérer le diagnostic, améliorer l’organisation des soins, transformer la recherche, mais elle ne doit ni déposséder l’individu de son intimité, ni déclasser le jugement clinique derrière des algorithmes opaques. Chaque citoyen doit être informé explicitement si ses données vont alimenter un outil d’IA : pour quels objectifs précis (diagnostic, recherche, optimisation ?), jusqu’où elles seront utilisées (stockage, partage, réutilisation ?), et avec quelles garanties de retour en cas de problème.
Un pays en pleine effervescence numérique
Avec la réforme du système de santé pilotée par le ministre Amine Tahraoui, la généralisation de la couverture médicale et l’essor de la santé digitale, le Maroc veut clairement se positionner comme un hub de l’e-health en Afrique. Le Plan Santé 2025 met l’accent sur la digitalisation : généralisation du système d’information des soins primaires, activation du dossier médical partagé (DMP), interconnectivité des 83 hôpitaux réhabilités et 5 nouveaux CHU.
Les grands rendez-vous récents, comme le Forum International E-Health à Casablanca (25-27 novembre 2025), montrent un pays mobilisé. On y parle souveraineté numérique et « de la vision à l’impact », mais derrière ces mots se joue le sort des données de millions de Marocains – un budget record de 42,4 milliards DH alloué à la santé dans le PLF 2026. La loi 09-08 l’exige déjà : toute collecte doit être précédée d’une information claire sur l’identité du responsable, les finalités, les destinataires et les droits d’accès ou de rectification.
Les données de santé ne sont pas un carburant neutre
Pour fonctionner, l’IA exige des masses de données : comptes rendus, images médicales, données génétiques, historiques thérapeutiques, parfois même éléments sociaux ou comportementaux. Ces informations ne sont pas de simples « inputs » pour algorithmes ambitieux ; elles racontent des vies, des vulnérabilités, des stigmates possibles, pour toute personne humaine concernée, malade ou en prévention.
Chaque fois qu’un dossier est numérisé, partagé, exporté ou réutilisé dans le cadre du DMP national, une question doit être posée clairement : le citoyen a-t-il été informé des objectifs exacts du traitement IA, des limites de cet usage, et de son droit à refuser ou à retirer son consentement ? La loi sur la protection des données personnelles impose un consentement libre, spécifique et éclairé, surtout pour les données sensibles comme la santé ; sans cela, pas de légitimité.
Patients rares, données sensibles, devoir renforcé
Dans le champ des maladies rares, l’IA est souvent présentée comme la solution miracle pour raccourcir l’errance diagnostique, repérer des signaux faibles, orienter vers des centres experts – un enjeu clé du Plan Santé 2025 pour l’équité territoriale. C’est une promesse réelle, porteuse d’espoir pour des familles qui, parfois depuis des années, attendent un nom sur la maladie et un début de projet thérapeutique.
Mais plus le profil est rare, plus la donnée devient facilement ré-identifiable, même anonymisée en apparence (problématique du plan génomique).
L’éthique impose donc une information préalable renforcée : expliquer au patient ou à la personne concernée les objectifs (recherche génétique ? matching international ?), les risques de traçabilité, et les garde-fous mis en place dans le cadre des 6.500 recrutements de soignants formés au numérique.
Une IA brillante… et faillible
Sur le plan technique, l’IA séduit par sa vitesse, sa puissance de calcul, sa capacité à relier des signaux que l’œil humain ne voit pas – comme dans les masterclasses du Forum E-Health. Pourtant, les modèles prédictifs comme les outils d’IA générative peuvent se tromper lourdement, tout en donnant l’illusion d’une réponse sûre.
Le risque est double : décisions influencées par des erreurs, et renoncement intellectuel où le médecin se réfugie derrière la machine, surtout dans un système sous tension malgré les réformes. Tant que la responsabilité repose sur des humains, informer la personne sur ces limites d’IA est un devoir moral autant que légal.
Trois exigences éthiques pour le Maroc
Pour que l’IA serve réellement la personne marocaine dans le cadre du Plan Santé 2025, trois exigences non négociables.
Information préalable : Droit de savoir quand l’IA est utilisée, quelles données sont collectées pour le DMP ou l’interopérabilité, pour quels objectifs précis et jusqu’à quand elles seront conservées ou partagées.
Maîtrise humaine : Les soignants restent aux commandes, formés à contextualiser les résultats IA et à les expliquer clairement, comme prôné au Forum.
Protection souveraine : Données proportionnées, sécurisées localement, jamais spéculatives ; consentement révocable à tout moment, aligné sur la cybersécurité nationale.
Du forum aux pratiques de terrain
Les rencontres comme le Forum E-Health 2025 (thème : « Transformation digitale et innovation en santé : vers un système plus souverain, intelligent et connecté ») montrent un pays qui veut passer « de la vision à l’impact ». Mais cet impact doit inclure l’information concrète aux citoyens : pas de IA sans explication des flux de données et des choix faits, surtout avec l’activation massive du DMP.
Il est temps que tous les projets, des réhabilitations hospitalières aux hackathons ICESCO, placent d’abord cette question : la personne humaine est-elle vraiment informée et consentante ?
Entre enthousiasme et garde-fous
Le Maroc a raison de ne pas rater le tournant de l’IA en santé, avec ses ambitions claires de modernisation. Mais avancer sur l’éthique signifie exiger pour chaque individu une information exhaustive : objectifs de l’IA, limites d’usage des données, droits intangibles.
Garder la personne humaine au centre, c’est refuser que ses données circulent sans maîtrise ; c’est à ce prix que la révolution numérique sera juste et alignée sur les Hautes Orientations Royales.
Par Dr Sanaa Eddiry












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