Une précarité persistante, un moteur de survie
Entre 2014 et 2023, la part des ménages marocains possédant une UPI a connu une baisse modérée, passant de 15,5% à 14,3%. Cette tendance s’observe aussi bien en zone urbaine (de 17,2% à 15,6%) qu’en milieu rural (de 12,8% à 11%). Cependant, au-delà de ces chiffres généraux, l’analyse genrée du phénomène révèle des dynamiques bien plus marquées.
Selon l’enquête, 68,3% des personnes engagées dans une activité informelle le font par contrainte économique, un chiffre qui grimpe à 71,9% chez les femmes, contre 65,1% chez les hommes. Seules 31,7% des personnes actives dans le secteur déclarent y avoir recours par choix, par tradition familiale ou affinité personnelle.
L’économie informelle apparaît ainsi comme une réponse à l’exclusion professionnelle dont sont victimes de nombreuses femmes, notamment celles issues du chômage (19,8%, contre 10,6% pour les hommes) ou de l’inactivité (44% des femmes n’avaient jamais travaillé avant de lancer leur UPI, contre 7,1% chez les hommes).
Un accès différencié, un financement inégal
Les parcours avant l’entrée dans l’informel varient fortement selon le genre. Si 82,3% des hommes étaient déjà en emploi avant de créer leur unité, ce taux tombe à 36,1% chez les femmes. Fait intéressant, 38,3% des femmes avaient déjà dirigé une UPI en tant qu’indépendantes, contre 27,6% des hommes, traduisant une certaine expérience, mais aussi une instabilité professionnelle chronique.
Les femmes accèdent également au secteur avec moins de ressources financières. Moins nombreuses à recourir à l’autofinancement, elles s’appuient davantage sur des formes alternatives comme l’héritage, les aides ou les dons, révélant une autonomie économique plus faible. Le recours au crédit bancaire reste marginal pour tous (seulement 2,1% des chefs d’UPI disposent d’un compte bancaire dédié à leur activité), mais les femmes y accèdent encore moins fréquemment.
Conciliation difficile entre travail et vie familiale
Au-delà de la question des moyens, le rapport du HCP met en évidence les inégalités structurelles liées à la charge mentale et domestique. Ainsi, 30% des femmes dirigeant une UPI déclarent rencontrer des difficultés à concilier vie professionnelle et responsabilités familiales, contre seulement 8,1% des hommes. Cette réalité constitue un frein majeur à leur autonomie et à leur épanouissement professionnel.
Dans la gestion même des unités, des écarts subsistent. Si une large majorité des chefs d’UPI (hommes et femmes confondus) déclarent une autonomie dans la gestion des revenus (96,4% pour les hommes contre 94,7% pour les femmes), les décisions importantes sont souvent partagées chez les femmes. 43,4% d’entre elles prennent leurs décisions avec leur conjoint, contre 31,3% des hommes, et seules 10,2% travaillent avec un associé, contre 19% des hommes.
Une présence féminine encore marginale
Malgré leur implication croissante, les femmes restent sous-représentées à la tête des unités informelles. Elles ne dirigent que 5,4% des UPI au niveau national, un chiffre qui atteint à peine 2,7% en milieu rural. Ce déséquilibre s’explique par des freins structurels, mais aussi par la forte prédominance masculine dans certains secteurs.
Dans le secteur du bâtiment, la présence féminine est quasi inexistante. Elles ne représentent que 5,2% des chefs d’UPI dans le commerce, 8,2% dans les services, et 20,9% dans l’industrie, où leur présence est la plus marquée. Par ailleurs, 92,4% des dirigeants d’UPI sont des hommes, un chiffre qui reflète l’asymétrie profonde dans l’accès à l’entrepreneuriat informel.
Une opportunité à encadrer, un potentiel à libérer
Dans un contexte où seulement 19% des femmes marocaines sont actives, le secteur informel constitue un premier point d’entrée sur le marché du travail. Toutefois, il s’agit d’une alternative précaire, sans garantie d’évolution vers une situation formelle, ni d’accès à la sécurité sociale ou aux droits du travail.
Le HCP estime que l’intégration des femmes rurales dans l’économie formelle pourrait augmenter le PIB national de 2,2%, soulignant ainsi le manque à gagner lié à l’exclusion professionnelle des femmes. Pour ce faire, il appelle à des politiques volontaristes d’autonomisation, afin de reconnaître et valoriser le travail des femmes, souvent invisible mais essentiel, notamment dans les zones rurales.
En 2023, l’emploi informel représentait 33,1% de l’emploi non agricole, avec une baisse dans l’industrie et les services, mais une hausse dans le commerce et le BTP. En volume, 157 000 nouveaux emplois informels ont été créés entre 2014 et 2023, témoignant d’un secteur toujours dynamique, mais qui reste insuffisamment régulé et porteur de fortes inégalités de genre.












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