Par Adnan Debbarh
Le monde ne change pas, il se disloque. L’ordre international qui paraissait encore structuré il y a une décennie est désormais parcouru de tensions ouvertes, de reconfigurations brutales, de rivalités sans filtre. L’Ukraine, Gaza, l’Iran, le Sahel, Taïwan, l’arc indo-pacifique : autant de foyers où se redessine la grammaire du pouvoir.
Dans cette nouvelle donne, la diplomatie marocaine est appelée à renforcer sa ligne directrice.
Elle doit reposer sur une doctrine explicite, cohérente, à la hauteur des ambitions d’un pays qui aspire à jouer un rôle structurant dans son espace régional.
Le Maroc n’est pas sans cadre structuré. Il a une vision, portée par le Roi, qui a fait du Sahara le prisme de toute relation bilatérale, tout en consolidant une projection africaine, euro-méditerranéenne et arabe. Il serait souhaitable qu’elle soit formulée dans un cadre doctrinal lisible, comme c’est le cas dans nombre de pays avancés.
Elle est efficace dans l’action, mais ne se donne pas tous les moyens de l’anticipation. Elle oriente, mais ne structure pas encore un positionnement stable face aux grandes puissances et grands ensembles.
Il serait productif d’élever cette vision au rang de doctrine. Non pour l’enfermer, mais pour la prolonger dans une stratégie d’ensemble.
Un premier socle pourrait en structurer les fondations : Souveraineté, Projection, Cohésion.
Souveraineté : la maîtrise de nos leviers.
Redevenir pleinement maître de nos choix, de nos récits, de nos dépendances. Cela suppose d’identifier nos intérêts structurants (intégrité territoriale, sécurité, résilience économique) et de les défendre sans excès d’émotion, ni réflexe d’alignement. La souveraineté n’est pas un slogan, c’est une capacité d’arbitrage durable.
Projection : Le Maroc comme force de proposition.
Le temps de la réaction est révolu. Le Maroc doit devenir un acteur qui anticipe, qui propose, qui fédère. Non pour rivaliser, mais pour exister par sa voix propre. Cette projection passe des coalitions choisies, une diplomatie d’initiatives et un ancrage africain assumé.
Cohésion : la puissance commence à l’intérieur
Aucune politique étrangère ne tient sans colonne vertébrale sociale. Une société en tension fragilise la posture extérieure. La diplomatie a besoin d’un contrat social stable, d’une élite alignée sur l’intérêt national et d’un tissu social réconcilié avec lui-même. La cohésion n’est pas une affaire intérieure : elle est le socle invisible de toute stratégie extérieure crédible.
Ce triptyque doit être notre boussole face aux grandes puissances.
Il devrait nous permettre de passer en tant que Marocains, à l’ère post-affective, au temps du discernement.
Nous avons longtemps vécu sur des schémas d’alliances affectives : l’Europe “partenaire naturel”, les États-Unis “allié stratégique”, la Chine “puissance émergente amie”, la Russie “héritière du non-alignement”.
Ces représentations sont désormais obsolètes.
Dans un monde de rapports de force, l’amitié ne suffit plus, seul compte l’intérêt mutuel bien compris.
Il ne s’agit pas de devenir cyniques. Il s’agit de devenir adultes. De construire des relations basées sur : la clarté de nos attentes, la lisibilité de nos priorités et la cohérence de nos engagements.
Dans cette logique, trois principes devraient guider la relation du Maroc aux grandes puissances :
Contractualiser les alliances, notamment avec les États-Unis
Le partenariat avec Washington doit sortir du registre symbolique (reconnaissance du Sahara) pour s’inscrire dans un agenda stratégique : sécurité régionale, hydrogène vert, technologies sensibles, formation.
Il ne s’agit pas d’être demandeur, mais de proposer une offre claire : stabilité, ouverture, ancrage africain.
Il faut sortir de la réaction pour aller vers l’initiative.
Coopérer avec la Chine sans naïveté
La Chine offre des opportunités dans l’industrie, les infrastructures, le digital, la finance. Mais son approche reste asymétrique, peu transparente, souvent extractive.
Le Maroc ne doit pas s’enfermer dans une relation bilatérale déséquilibrée. Il peut négocier à plusieurs, en mobilisant la ZLECAF ou ses partenaires africains, pour obtenir des conditions favorables et des transferts de technologie réels.
Dialoguer avec la Russie sans fascination
La Russie veut se maintenir en Afrique. Mais ses moyens sont limités, sa doctrine floue et ses alliances souvent conjoncturelles.
Le Maroc doit maintenir le lien, sans illusion et clarifier les convergences : sécurité énergétique, coordination au sein des instances internationales, dialogue culturel.
Une relation utile, à maintenir sans excès d’attente.
De même, le Maroc gagnerait à refonder ses relations avec deux ensembles trop souvent traités par l’habitude : l’Union européenne et la région MENA. L’Europe ne peut rester un simple débouché commercial ; elle doit devenir un partenaire géopolitique à part entière, autour d’objectifs partagés. Quant au Monde arabe et au Maghreb, ils demeurent des espaces de sens, de solidarité et de projection symbolique, que le Maroc ne saurait délaisser sans perte d’influence.
L’Afrique, matrice de projection
C’est en Afrique que se jouera la capacité du Maroc à négocier avec les puissants.
Une diplomatie d’équilibre suppose des appuis : économiques, institutionnels, symboliques.
Le Maroc a posé les bases de cette projection africaine, il lui manque ce qu’on pourrait appeler une « épaisseur stratégique » : Développer, aux côtés de ses banques, des écosystèmes productifs partagés ; encourager les étudiants africains formés dans ses universités à constituer une communauté d’influence ; inscrire davantage ses projets dans un cadre de référence panafricain.
Le Maroc ne peut peser face aux grandes puissances que s’il devient lui-même un pôle de stabilité et de coopération crédible sur son continent.
Une diplomatie qui allie l’élégance à la lucidité
Dans un monde fragmenté, ce ne sont pas les plus bruyants qui gagnent.
Ce sont ceux qui tiennent leur cap, affinent leur doctrine, ajustent leur posture, sans renier leur identité.
Comme le Vietnam ou l’Indonésie, le Maroc peut développer une diplomatie de non alignement actif, ancrée dans ses priorités régionales, sans hostilités ni dépendances.
Le Maroc n’a pas à choisir entre Washington, Pékin, Bruxelles ou Moscou.
Il a à choisir le Maroc, lucidement, souverainement, durablement.
Cela s’appelle une diplomatie souveraine, non agressive, mais ferme.
Une diplomatie du discernement, de l’équilibre, du réalisme.
C’est la forme la plus exigeante de puissance.












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