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Le pote israélien de Rachid


Rédigé par le Mercredi 19 Juillet 2023



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Rasé de près, le visage rayonnant d’un large sourire, Rachid dépose la tasse de café sur la table et me sort un « belle journée, n’est-ce pas ? », qui met tout mes sens en alerte. Le serveur le plus narquois qu’il m’a été donné de connaître n’est jamais aussi mielleux que lorsqu’il a une idée saugrenue derrière la tête.

   - Je vois que c’est la bonne humeur, vieux pirate. Que me vaut un tel épanchement de bonnes manières ?

   - Pourquoi es-tu toujours aussi soupçonneux, le journaleux ? L’actualité a, pourtant, de quoi te rendre plus optimiste. Ne me dis surtout pas que tu n’es pas au courant de la reconnaissance par Israël de la marocanité du Sahara occidental.

Prochainement, le Sahara oriental, Inchâ Allah.

   - Tiens, donc ! Ta réaction me surprend. J’aurai cru que tu allais me vomir toute une diatribe haineuse sur l’entité sioniste.

   - Non, mais… Est-ce que tu me prends pour un gauchiste attardé ou un jihadiste assoiffé de sang ? Je suis un Marocain, moi, Monsieur. Quand quelqu’un m’offre son soutien, mon éducation m’a appris qu’on ne crache pas sur la main ainsi tendue.

Encore plus lorsque mon plus proche voisin, avec qui je partage autant les racines ethniques et culturelles que la foi religieuse, a passé un demi-siècle à me chercher querelles et à semer des clous sur mon chemin.

   - Ne crains-tu pas qu’un tel soutien ne ternisse ton image ?

   - Auprès de qui mon image serait-elle ternie ? De ceux qui n’ont pas émis le moindre son pour ramener mon hostile voisin à la raison ? De ceux qui attendent de moi que je m’occupe du sort de lointains cousins et me reprochent d’accorder la priorité à mes propres soucis ?

Quelle sottise que de s’imaginer que celui qui ne défend pas d’abord ses proches et ses biens pourrait défendre ceux des autres.

   - Arrêtes ton char, Rachid, je ne te connais que trop bien. Dis-moi quelle étrange lubie trotte réellement dans ta tête.

Rachid me fait signe d’attendre, va rapidement prendre commande et servir un autre client, avant de revenir s’attabler à mes côtés, comme si c’était également un client. Je me demande toujours comment son employeur peut supporter ses frasques.

- En vérité, comme tu es journaliste, je voulais te demander s’il n’y a pas moyen de se renseigner auprès de la future ambassade d’Israël au sujet d’un vieux copain. Tu sais que je suis né à Casablanca. Mon père travaillait dans un magasin, à côté duquel se trouvait celui d’un juif marocain.

Quand j’allais porter des courses à mon père, je rencontrais le fils de ce commerçant juif, il s’appelait Benichou, et on jouait au ballon ensemble sur le trottoir.

Il nous est, d’ailleurs, souvent arrivé de recevoir des raclées de nos pères respectifs pour avoir commis des bêtises. Après, chacun racontait à l’autre la tannée reçue et on rigolait un bon coup, en évitant que nos pères nous voient, bien sûr.

J’ai appris, par la suite, que le père de Benichou avait tout vendu pour émigrer en Israël.
Depuis lors, je n’ai plus de ses nouvelles. J’aimerais bien savoir ce qu’il est devenu, il me manque.

- Raconte tes salades à d’autres que moi, vieux pirate. Depuis quand es-tu sensible ?

- Depuis que Benichou a envoyé sous les roues d’une voiture une balle en plastique qui m’avait coûté 50 centimes et qu’il ne m’a jamais remboursé. Augmenté du taux d’inflation et des intérêts de retard, cela doit faire une bonne somme à présent.

- Voilà ! Là, je retrouve le Rachid que je connais.

- En plus, cet ingrat n’a plus cherché à me contacter. Il a oublié quand j’ai menti à son père en prétendant qu’on n’était jamais allé voler des nèfles dans le jardin d’une villa avoisinante, même si le propriétaire nous avait surpris agrippés aux branches de l’arbre.
Ou quand je ne l’ai pas dénoncé, lorsqu’il a cassé le rétroviseur de la voiture de son père en tirant trop fort sur le ballon.
Il s’est gavé de shekels et il a oublié son vieux pote Rachid.

- Ton histoire va me faire verser des larmes de crocodile.

- Peut être que, de sale caractère et infréquentable comme tu as dû toujours l’être, tu n’as pas eu de copain d’enfance comme Benichou. Qu’est-ce qu’on se marrait à taquiner les filles que l’on croisait. Nous étions encore des enfants, mais on s’entraînait déjà pour notre adolescence.

- Et tu comptes demander à ton copain Benichou, s’il t’arrive de le revoir encore, de te rembourser le ballon qu’il a abîmé ?

- Mais non, tout cela, c’est de l’histoire ancienne. S’il revient un jour au Maroc, je vais juste lui proposer de lui louer une petite maison pour ses vacances dans les environs de Ouazzane, dont ma femme a hérité.
Je me rappelle que son père se rendait, une fois par an, en pèlerinage auprès d’un saint juif dont le mausolée se trouve au Nord du Maroc. Il se doit bien de perpétuer les traditions de ses ancêtres, n’est-ce pas ?
Moi, je veux seulement lui rendre service.

- Dis, plutôt, que tu es prêt à sauter sur n’importe quelle opportunité qui se présente.

- Ecoutes, le scribouillard, la vie, c’est donnant, donnant. Je suis sûr que Benichou doit se sentir à l’étroit, au Proche-Orient. Le voisinage y est inamical et la Méditerranée est trop petite pour s’y baigner à son aise.

Moi, je le reçois de bon cœur, ici, pour qu’il puisse se remémorer l’ambiance dans laquelle il a grandi et respirer de l’air frais, au large de l’Atlantique.

Pour sa part, il peut m’aider à mettre une muselière au chien du voisin, qui n’arrête pas d’aboyer et de m’enquiquiner, ainsi, l’existence.

- Ce qui se passe en Palestine ne te dit rien ?

- Si, bien sûr. C’est terrible ce que font subir les compatriotes de Benichou aux Palestiniens. Je hais l’oppression. Mais si je ne rencontre jamais mon vieux pote, comment ferais-je pour lui en parler ?
Je pourrais lui rappeler le jour où l’on s’est fait tabasser par les gars du quartier voisin, juste par méchanceté, parce que l’on n’appartenait pas à leur bande. Lorsque l’on a soi même subi de l’injustice, on ne peut l’infliger aux autres.

- Je te souhaite de retrouver ton copain d’enfance, tu sembles en garder de bons souvenirs.

- Les souvenirs, c’est le passé. L’avenir est plus exaltant. Si Benichou est saisi de nostalgie et veut revoir son vieux pote Rachid, je vais lui conseiller qu’on se rende ensemble au Sahara prospecter le futur. La reconnaissance de la marocanité du Sahara, c’est bien, mais y investir, c’est encore mieux.

- Tu n’es pas trop gourmand d’en demander autant ?

- C’est ne pas l’être assez qui serait honteux. Même mon vieux pote Benichou me le reprocherait. Quand son papa nous offrait des bonbons, avant de dire merci, on lui demandait d’abord si c’est tout ce qu’il pouvait nous donner.

- Je crois que ton copain d’enfance va finir par trouver les gars du Hezbollah plus cléments que toi.

- Moi, je suis pacifiste, je préfère négocier plutôt que de me battre. Mon crédo, c’est : faîtes des affaires, pas la guerre !





Ahmed Naji
Journaliste par passion, donner du relief à l'information est mon chemin de croix. En savoir plus sur cet auteur
Mercredi 19 Juillet 2023

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