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De la coalition de résultats au bloc géopolitique : anatomie d’un basculement
Les motivations sont prosaïques et, pour cela même, robustes. La première tient à l’économie politique de la puissance. La Chine veut sécuriser ses chaînes industrielles et alléger la pression d’endiguement. La Russie, sous sanctions, a réappris la géographie : à l’ouest, l’étau ; à l’est et au sud, les débouchés. L’Inde, enfin, réclame un rang conforme à son poids réel—démographique, économique, technologique—et un système de gouvernance globale qui lui laisse autre chose qu’un strapontin. Dans ce jeu, chacun trouve sa rente stratégique : matières premières et armements pour l’un, manufacturier et capital pour l’autre, marché et talents pour le troisième. Surtout, chacun y gagne un filet de sécurité face aux humeurs de l’ordre libéral dominé par l’Atlantique.
Le potentiel de cette triangulation va au-delà de la somme des PIB. C’est la complémentarité qui frappe. La Russie est un guichet de ressources—énergie, métaux, céréales—à même d’alimenter deux géants asiatiques en ascension. La Chine demeure l’atelier et le laboratoire, capable d’absorber des volumes colossaux d’intrants et d’irriguer le Sud global en infrastructures et en technologies intermédiaires. L’Inde, enfin, est un continent-marché, avec une demande interne capable de lisser les cycles et d’offrir des économies d’échelle au-delà de toute comparaison européenne. Ajoutez à cela une profondeur militaire considérable—dissuasion nucléaire, bassins industriels de défense, projection navale sur l’Indo-Pacifique et l’Arctique—et l’on obtient une masse critique qui n’a pas d’équivalent hors de l’orbite occidentale.
Le potentiel de cette triangulation va au-delà de la somme des PIB. C’est la complémentarité qui frappe. La Russie est un guichet de ressources—énergie, métaux, céréales—à même d’alimenter deux géants asiatiques en ascension. La Chine demeure l’atelier et le laboratoire, capable d’absorber des volumes colossaux d’intrants et d’irriguer le Sud global en infrastructures et en technologies intermédiaires. L’Inde, enfin, est un continent-marché, avec une demande interne capable de lisser les cycles et d’offrir des économies d’échelle au-delà de toute comparaison européenne. Ajoutez à cela une profondeur militaire considérable—dissuasion nucléaire, bassins industriels de défense, projection navale sur l’Indo-Pacifique et l’Arctique—et l’on obtient une masse critique qui n’a pas d’équivalent hors de l’orbite occidentale.
Multiplie qui peut : pourquoi l’Occident doit apprendre la cohabitation stratégique
L’Occident le sait, et réagit. Le réflexe traditionnel consiste à segmenter : attirer l’Inde dans des cadres de coopération sécuritaire, freiner l’accès chinois aux technologies duales, rigidifier le régime de sanctions contre Moscou. Or ces contre-mesures produisent souvent l’effet inverse. Les droits de douane et les contrôles à l’export accélèrent la substitution industrielle et financière ; l’extraterritorialité des sanctions pousse à l’ingénierie de paiements alternatifs ; la rhétorique de blocs ranime, chez nombre d’États du Sud, une ancienne allergie à l’alignement. À force de contenir, on agrège.
Reste la question cardinale : cette entente peut-elle se muer en alliance formelle ? Sur le court terme, les frictions existent—contentieux frontaliers sino-indiens, concurrence sur les corridors, rivalités d’influence en Asie centrale. Mais la politique internationale n’est pas un mariage d’amour : c’est une arithmétique d’intérêts. Tant que la matrice occidentale conservera des réflexes de club—protectionnisme vert, normes unilatérales, gouvernance figée—les trois capitales auront de bonnes raisons d’organiser, au minimum, une coalition de résultats : interconnexions énergétiques, standardisation technologique, filets de paiements, diplomatie de vote coordonnée. Une « infrastructure d’alliance », sans traité, suffit déjà à peser.
Pour l’Europe, le défi est existentiel. Elle ne peut ni se rêver « puissance normative » tout en externalisant sa sécurité, ni proclamer sa transition verte en reconduisant des dépendances critiques. Son intérêt bien compris serait double : d’une part, diversifier ses interconnexions avec l’Inde et l’Asie du Sud-Est en dehors des seuls prismes sécuritaires ; d’autre part, pousser une réforme sincère des institutions économiques et politiques internationales qui reconnaisse l’ascension du Sud. À défaut, le continent sera réduit au rôle d’arbitre sans sifflet : beaucoup de commentaires, peu d’influence.
La leçon stratégique est claire. Le monde glisse d’un bipolaire rêvé à un multipolaire têtu. La dynamique à l’œuvre n’est pas idéologique ; elle est statistique : là où se trouvent la majorité des humains, la demande marginale, les gains de productivité et les ressources, se déplacent aussi le pouvoir de négociation et, à terme, la capacité de faire norme. On peut le déplorer, l’ignorer, ou l’anticiper. Les plus lucides choisiront la troisième option, en substituant au réflexe d’endiguement une grammaire de cohabitation : interdépendances assumées, garde-fous sur les technologies sensibles, concurrence encadrée plutôt que croisade moralisatrice. Faute de quoi, le triangle deviendra bloc, et le bloc, système.
Reste la question cardinale : cette entente peut-elle se muer en alliance formelle ? Sur le court terme, les frictions existent—contentieux frontaliers sino-indiens, concurrence sur les corridors, rivalités d’influence en Asie centrale. Mais la politique internationale n’est pas un mariage d’amour : c’est une arithmétique d’intérêts. Tant que la matrice occidentale conservera des réflexes de club—protectionnisme vert, normes unilatérales, gouvernance figée—les trois capitales auront de bonnes raisons d’organiser, au minimum, une coalition de résultats : interconnexions énergétiques, standardisation technologique, filets de paiements, diplomatie de vote coordonnée. Une « infrastructure d’alliance », sans traité, suffit déjà à peser.
Pour l’Europe, le défi est existentiel. Elle ne peut ni se rêver « puissance normative » tout en externalisant sa sécurité, ni proclamer sa transition verte en reconduisant des dépendances critiques. Son intérêt bien compris serait double : d’une part, diversifier ses interconnexions avec l’Inde et l’Asie du Sud-Est en dehors des seuls prismes sécuritaires ; d’autre part, pousser une réforme sincère des institutions économiques et politiques internationales qui reconnaisse l’ascension du Sud. À défaut, le continent sera réduit au rôle d’arbitre sans sifflet : beaucoup de commentaires, peu d’influence.
La leçon stratégique est claire. Le monde glisse d’un bipolaire rêvé à un multipolaire têtu. La dynamique à l’œuvre n’est pas idéologique ; elle est statistique : là où se trouvent la majorité des humains, la demande marginale, les gains de productivité et les ressources, se déplacent aussi le pouvoir de négociation et, à terme, la capacité de faire norme. On peut le déplorer, l’ignorer, ou l’anticiper. Les plus lucides choisiront la troisième option, en substituant au réflexe d’endiguement une grammaire de cohabitation : interdépendances assumées, garde-fous sur les technologies sensibles, concurrence encadrée plutôt que croisade moralisatrice. Faute de quoi, le triangle deviendra bloc, et le bloc, système.












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