Les images de ces deux derniers jours en disent long :
Le problème n’a jamais été effacé, seulement déplacé, invisibilisé, maquillé, puis redécouvert brutalement chaque fois que la colère déborde... Pour comprendre ce retour, il faut se souvenir des origines. Le mot est né dans un contexte particulier, celui d’un Maroc qui s’urbanisait à marche forcée, sous la pression d’un exode rural massif. Des milliers de familles quittaient leurs villages pour s’entasser dans les faubourgs de Casablanca, de Rabat, de Fès ou de Tanger. Elles fuyaient la misère, la sécheresse, le manque de travail, mais trouvaient dans les villes une autre misère, plus brutale encore : l’absence de logements décents, l’absence d’écoles, l’absence d’infrastructures, l’absence d’horizon.
On construisait des quartiers précaires, des lotissements sans âme, sans culture, sans sport, sans avenir. On empilait des vies, comme on empile des briques, en espérant que le béton suffirait à fabriquer du lien social. Mais le béton, seul, ne produit rien d’autre que de la pierre. Alors les jeunes, livrés à eux-mêmes, ont inventé leur propre identité dans la bande, et leur propre langage dans la violence. L’État, face à ce phénomène, choisit la méthode forte. Rafles, descentes nocturnes, arrestations préventives.
On ne voulait pas comprendre, on voulait éteindre le feu. Mais on n’a fait que recouvrir la braise, qui couvait encore sous la cendre. Le mot a disparu, peu à peu, du vocabulaire officiel. Les journaux n’en parlaient plus. On a cru que le problème était réglé. Mais ce n’était qu’un oubli volontaire. Le phénomène, lui, était resté là, tapi dans l’ombre, attendant son heure pour resurgir. Et nous y sommes. Les mêmes causes produisent les mêmes effets...
Une école publique à bout de souffle, incapable de jouer son rôle d’ascenseur social.
Car en même temps que surgissent ces nouveaux Awbach, une autre jeunesse occupe l’espace public, une jeunesse radicalement différente : celle du mouvement GenZ212. Ce mouvement est né sur les réseaux sociaux, porté par une génération instruite, connectée, consciente, qui refuse le silence. Ses slogans ne sont pas des insultes, mais des revendications claires et universelles : dignité, éducation, santé, travail. GenZ212 ne casse pas, il construit par la parole. Il ne détruit pas, il exige des droits fondamentaux.
C’est une jeunesse qui descend dans la rue, non pas pour brûler, mais pour dire : « nous voulons un avenir ». Assimiler ces jeunes aux nouveaux Awbach serait une faute politique majeure. Et pourtant, dans la panique sécuritaire, tout se mélange. Un abribus en feu et une pancarte pacifique deviennent, aux yeux de certains, le même danger. Mais l’histoire nous a déjà appris que ce mélange est suicidaire.
Punir les casseurs est nécessaire.
Soit il distingue, sépare, comprend que la violence et la contestation pacifique ne sont pas les deux faces d’une même pièce, mais deux phénomènes radicalement différents. Alors seulement il pourra transformer la crise en opportunité. L’urgence est là. Pas demain, pas dans six mois, pas dans un an. Maintenant. Ouvrir des canaux de dialogue réels, sincères, institutionnels avec cette jeunesse qui s’exprime pacifiquement. Lancer des programmes d’urgence pour redonner souffle à l’école publique, à l’hôpital public, aux quartiers abandonnés. Montrer que l’État sait être fort quand il s’agit de protéger, mais aussi juste quand il s’agit de réformer.
C’est dans cette capacité à conjuguer fermeté et ouverture que réside la clé.
Ne pas l’activer, c’est laisser le champ libre aux colères brutes et aux fractures sans fin. Les nouveaux Awbach ne sont pas seulement une menace pour l’ordre public. Ils sont aussi un miroir brisé tendu à notre société. Ils nous montrent ce que nous refusons de voir : les failles profondes de notre modèle de développement, les inégalités abyssales entre centres et périphéries, l’abandon des plus fragiles.
Ce miroir, nous pouvons choisir de le détourner, de faire semblant qu’il n’existe pas, de le casser encore une fois à coups de matraque. Mais nous pouvons aussi choisir de le regarder en face, et de comprendre qu’il nous renvoie l’image de notre propre échec collectif.












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