Hafida a 68 ans lorsque son mari, Ahmed, décède après une longue maladie. Mariés depuis plus de 50 ans, ils venaient tous deux de familles modestes de petits commerçants de la région d’El Jadida. Dans les années 1970, ils ont décidé de quitter leur ville natale pour Casablanca, en quête de meilleures opportunités, où le frère cadet de Hafida les attendait. Ils s’installent d’abord dans un quartier populaire, mais se retrouvent rapidement confrontés à des difficultés économiques. Après plusieurs années de travail acharné, Ahmed devient chauffeur de bus et Hafida s'occupe de leur maison tout en s’assurant que chaque dirham soit utilisé à bon escient. Ensemble, ils réussissent à économiser suffisamment pour acheter un petit terrain dans un quartier modeste de la ville et y bâtir une maison. Leurs deux filles enfants sont leur fierté et leurs espoirs.
Le destin en décidera autrement. Ahmed meurt avant de voir ses enfants adultes, mais il part serein, sachant que sa famille a désormais un toit sur la tête. Le jour même de ses funérailles, ses deux frères se présentent pour réclamer leur part de l'héritage, bien que la seule possession de valeur soit la maison familiale. La loi stipule que, n’ayant pas de fils, Hafida et ses filles n'ont droit qu'à une part infime de l’héritage. La famille est alors expulsée de la maison et se retrouve sans abri.
Cette histoire, tragique mais réelle, reflète de nombreuses situations similaires, comme celle d’une veuve dépossédée de sa maison par son propre fils, qui voulait la garder pour lui. C'est ce genre de drame que le nouveau Code de la famille, actuellement en révision, se propose de corriger. Désormais, la loi entend protéger les droits des femmes et éviter que de telles injustices se produisent à l'avenir.
Le 24 décembre, une conférence de presse organisée par l'Académie du Royaume de Rabat, a permis de présenter les grandes lignes de cette réforme, initiée par le roi Mohammed VI. Parmi les mesures phares, Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice, a annoncé la fin de l'injustice qui frappait tant de mères et d'épouses : "Le domicile conjugal est désormais exclu de l’héritage."
Cette mesure garantit que le foyer restera la propriété exclusive du mari ou de la femme en cas de décès. De nombreuses autres réformes importantes accompagnent cette évolution, notamment la garde des enfants qui sera désormais, sauf exception, attribuée à la mère, même en cas de remariage, ainsi que la reconnaissance du travail domestique des femmes dans le calcul de l’héritage.
D'autres avancées notables incluent l'interdiction du mariage des mineures, avec un âge légal de 18 ans, et la limitation de la polygamie, désormais autorisée uniquement en cas d'infertilité de l’épouse. Ces réformes respectent les règles religieuses tout en adaptant le texte aux besoins contemporains, grâce à un important travail d'Ijtihad, mené par le Conseil supérieur des Oulémas, sous la présidence du Roi.
Malgré des limites imposées par certains textes religieux, comme l'interdiction de l'utilisation de la génétique pour établir la filiation, des ouvertures ont été introduites, notamment la possibilité pour un parent de céder un bien ou une somme d’argent à ses héritières de son vivant. Cette réforme vise à assurer la justice et l’égalité pour les femmes, tout en respectant les principes de la Loi islamique, notamment l’intérêt général (Maslaha).
Le projet de révision du Code de la famille, bien que déjà prometteur, reste à finaliser et à adopter par voie législative. Cette réforme, supervisée directement par le Roi Mohammed VI, marque un tournant dans la quête de justice et d'égalité pour les femmes marocaines. Comme l’a souligné le Roi, il s'agit de garantir aux femmes leurs droits légitimes et de s’assurer que "dans le Maroc d’aujourd’hui, il n’est plus possible qu’elles en soient privées."
Avec cette révision, le Maroc franchit une nouvelle étape dans son histoire de réformes sociales, sous l’impulsion d’un souverain visionnaire, qui se profile comme l’un des plus grands réformateurs du pays.
Cependant, malgré l'ampleur des réformes proposées, il est légitime de se demander si elles répondent réellement aux attentes des femmes marocaines et si elles sont suffisantes pour transformer en profondeur la situation sociale et juridique qui leur est réservée. Si les mesures évoquées, telles que la protection du domicile conjugal et la reconnaissance du travail domestique, sont indéniablement positives, elles ne s'attaquent pas encore aux racines profondes des inégalités persistantes dans la société marocaine, notamment en matière d'héritage et de droits de propriété.
La question cruciale reste celle de l’héritage. Bien que la mesure concernant l’exclusion du domicile conjugal de l’héritage semble être une avancée, elle ne résout pas le cœur du problème. En effet, l’héritage reste profondément ancré dans des principes religieux qui attribuent une part inégale entre hommes et femmes. Les filles, par exemple, continueront de recevoir une part bien inférieure à celle des fils, en vertu des règles de la loi islamique qui ne sont pas remises en cause par cette réforme. Si les femmes sont assurées de la protection de leur domicile, rien n’empêche un mari de disposer de son bien comme il l'entend, avant ou après son décès, ce qui laisse encore une grande marge de manœuvre pour les injustices.
De plus, la mesure relative à la cession de biens de son vivant semble, sur le papier, offrir une certaine latitude, mais elle repose sur la volonté individuelle du parent. Cette solution, bien qu'elle puisse sembler positive, ne fait qu'introduire une flexibilité sans garantir que les femmes bénéficieront réellement de cette possibilité. L’asymétrie de pouvoir entre hommes et femmes, notamment dans les familles plus conservatrices, pourrait limiter l'application effective de cette mesure.
Enfin, si la limitation de la polygamie et l’interdiction du mariage des mineures sont des avancées notables, elles ne répondent pas à l’ensemble des préoccupations des militantes féministes qui attendent des réformes plus audacieuses. La polygamie, bien qu’elle soit désormais restreinte, demeure autorisée dans des conditions très larges, et le mariage des mineures, bien que désormais interdit, continue d’être une réalité pour certaines filles dans des zones rurales. L’application de ces réformes, loin d’être garantie, semble dépendre des contextes sociaux et familiaux, et de l’absence de mécanismes efficaces pour les imposer.
En somme, bien que la réforme du Code de la famille marque un progrès indéniable, elle ne va pas assez loin pour aborder pleinement les inégalités structurelles auxquelles les femmes marocaines font face. Les réformes proposées, aussi ambitieuses soient-elles, risquent de demeurer insuffisantes tant que les mentalités patriarcales ne seront pas véritablement remises en question. Le véritable changement nécessiterait non seulement des réformes législatives plus audacieuses, mais également un travail de sensibilisation et de déconstruction des stéréotypes de genre dans la société marocaine. Les femmes marocaines méritent des droits égaux, pas seulement sur le papier, mais dans la réalité quotidienne.
Révision du Code de la famille : des avancées prometteuses, mais des attentes encore insatisfaites
Rédigé par Salma Labtar le Vendredi 27 Décembre 2024
Sous l'impulsion de Mohammed VI, considéré comme l'un des souverains les plus réformateurs de l'histoire du pays, la révision actuelle du Code de la famille reflète une démarche collective marocaine qui, sans renoncer à ses valeurs, notamment religieuses, déploie un Ijtihad d'une rare envergure. L'objectif est d'adapter le Maroc et ses citoyens aux réalités du monde contemporain. Décryptage.
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Journaliste sportive et militante féministe, lauréate de l'ISIC En savoir plus sur cet auteur
Vendredi 27 Décembre 2024
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