Par El Hassane Kamal, journaliste stagiaire à LODJ Média
Au Maroc, il y a deux endroits où l’on se rassemble religieusement : la mosquée… et le café les soirs de match. La différence, c’est qu’au café, l’imam c’est l’écran plat, et les fidèles se battent pour une chaise en plastique bancale, parfois plus disputée qu’un penalty à la 90e minute.
La règle est simple : une consommation = un ticket d’entrée. Pas question de siroter son café glacé trois heures avant le coup d’envoi pour ensuite occuper une place stratégique. Les vrais savent : on commande un café noir, bien serré, parce qu’il faudra tenir deux heures à commenter, critiquer et surtout… insulter. L’arbitre, les joueurs, parfois même les voisins : tout le monde y passe.
Le café marocain n’est pas seulement un lieu où l’on regarde le football. C’est une académie de consultants. Ici, chaque client se transforme en entraîneur national. À entendre certains, Guardiola et Ancelotti n’ont qu’à bien se tenir. Les tactiques fusent, les compositions idéales se refont à chaque action ratée, et l’on se demande pourquoi la FIFA n’a jamais pensé à diffuser en direct les conversations des cafés marocains.
Bien sûr, tout cela se fait dans la bonne humeur… ou presque. Car si la victoire unit tout le monde, la défaite divise plus vite qu’une élection communale. Le voisin pessimiste qui annonçait la catastrophe depuis la première minute devient soudain prophète. Et gare à celui qui ose jubiler trop fort quand son club espagnol préféré gagne : il risque de découvrir la véritable définition du mot « chambrage ». Les cafés ne se ressemblent pas tous.
Certains se contentent d’un vieux poste de télévision dont l’image grésille comme si elle avait été transmise depuis la lune. D’autres sortent l’artillerie lourde : écran géant, néons, haut-parleurs qui crachent l’hymne national plus fort que dans le stade lui-même. Mais au fond, peu importe : l’ambiance fait tout. Quand cent personnes hurlent d’une seule voix « GOOOOOOL », même un écran de 36 cm devient cinéma IMAX.
Et puis il y a l’économie parallèle. On croit payer un café, mais on achète surtout un siège pour un rollercoaster émotionnel. Certains gérants ont même inventé le pay-per-view maison : tu payes ton ticket d’entrée, tu tiens ta tasse à la main parce qu’il n’y a pas de table, et tu remercies le ciel que le match n’aille pas en prolongations. Business is business, même quand il s’agit d’un hors-jeu mal sifflé.
Mais derrière l’ironie, il y a quelque chose de profondément beau. Dans un monde où chacun s’enferme dans son écran personnel, le café reste ce lieu de communion collective, où l’on rit, où l’on s’énerve, où l’on partage. Où le fonctionnaire en costume devient frère de bras avec l’ouvrier en bleu, où l’étudiant fauché trouve sa place à côté du retraité grincheux. Le café, c’est le stade du pauvre, oui. Mais c’est surtout le stade du peuple.
Alors, si un jour vous voulez vraiment comprendre ce que représente le football au Maroc, inutile d’acheter un billet d’avion pour aller au Camp Nou ou au Santiago Bernabéu. Installez-vous plutôt dans un café de quartier un soir de match. Vous y verrez des buts, des engueulades, des blagues douteuses, des cris, des larmes et, parfois, des accolades inattendues. Bref, tout ce qui fait le football. Avec, en prime, un café à 10 dirhams.












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