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Zeinab Benchakroun : une militante dans l'âme


Rédigé par La Rédaction le Mardi 16 Janvier 2024

Reproduction, avec l'autorisation de l'auteur, de la traduction de l'entretien de Madame Zeinab Benchakroun accordé au Magazine RootsAndRoutesMag



Pourriez-vous fournir un bref résumé de vous-même, votre parcours, vos centres d'intérêt et toute expérience de vie significative ?

Je suis une femme marocaine. J'ai grandi dans mon pays d'origine au sein d'une famille élargie, dans une culture où l'intensité de la communauté a été autant une leçon qu'un obstacle. Je ne peux pas parler de mon parcours sans mentionner ma famille. Mes ancêtres viennent d'Andalousie (musulmans et juifs) et ont fui
l'Inquisition espagnole.

Mes parents et mes grands-parents (y compris ma grandmère maternelle) ont participé au mouvement d'indépendance du Maroc vis-à-vis des protectorats espagnol et français.

Ces récits ont éveillé en moi, dès le plus jeune âge, une sensibilité et une conscience de la géopolitique, du colonialisme, du patriarcat, des droits de l'homme et de la justice sociale. Mes premiers choix dans la vie, qu’ils soient personnels et professionnels, ont été dictés par les pressions familiales et sociales. Je me suis mariée à l’âge de 21 ans et je suis mère de trois enfants. Après avoir obtenu un diplôme d'ingénieur et un MBA en France, j'ai travaillé pendant des années en entreprise à Casablanca, au Maroc.

Le 16 mai 2003, les attaques terroristes à Casablanca ont suscité en moi le désir de comprendre ce qui se passe pour ces jeunes qui en viennent à se faire exploser. À partir de là, mon attention s'est portée sur les quartiers défavorisés de ma ville.

J'ai d'abord rejoint un réseau d'organisations de quartier. Alors que je pensais pouvoir apporter mon expérience en gestion de projets à leur travail, j'ai réalisé que j'avais beaucoup à apprendre d'eux, en commençant par troquer mes compétences managériales contre l'écoute de toutes les voix et le développement du sens de la communauté.

Ensuite, tout en œuvrant sur l'accès à l'eau et à l'assainissement dans les bidonvilles, j'ai été frappée par la générosité des plus démunis ; les femmes vivant dans les bidonvilles nous invitaient souvent à manger un délicieux couscous alors que nous ne faisions que notre travail.

Après deux décennies, j'ai immigré aux États-Unis où j'ai dû recommencer à zéro. J'ai repris mes études. À mesure que je prenais conscience de la crise climatique, j'ai rejoint une organisation environnementale en Californie et suis devenue membre du conseil d'administration.

J'ai assez rapidement ressenti l’impact émotionnel que les gens ressentaient face à la menace existentielle, surtout après l'élection de Donald Trump, qui a annulé de nombreuses réglementations environnementales
durement gagnées. Ainsi, j'ai appris à animer des ateliers sur l'anxiété écologique.

En entreprenant moi-même un chemin de transformation, je me suis également formée au coaching pour aider les autres à trouver leur voie vers une vie qui a plus de sens. Je suis dédiée maintenant à accompagner les leaders, les militants, les minorités, les artisans du changement, et les personnes de milieux divers pour les soutenir dans la poursuite de ce qui compte le plus pour eux.

Et avec cette communauté de cœur, je vise à contribuer à une reconnexion avec notre véritable nature, avec notre environnement naturel et avec notre impulsion profonde de survie pour léguer une planète habitable aux générations futures.

Quels ont été les plus grands défis auxquels vous avez été confronté dans votre vie et comment les avez-vous surmontés ?

Un fil conducteur auquel je me suis toujours confronté est celui d'être fidèle à
moi-même. Et d'une certaine manière, c'est toujours un défi. J'avais l'habitude de
rester silencieuse ou de nuancer mes véritables opinions pour être acceptée. La
façon dont les autres me percevaient était importante pour moi. Mais peu à peu,
cela a formé une sorte de masque, au point où je me suis déconnectée de moimême. Il m'a fallu réaliser que je ne savais plus qui j’étais au fond de moi-même et entreprendre un cheminement spirituel. Et c'est un voyage, ce qui signifie que je ne m'attends pas à atteindre un état d'authenticité complète. En attendant, je
pratique de la bienveillance envers moi-même et je savoure les bienfaits de cet exercice.

Pouvez-vous partager un aspect significatif de votre patrimoine culturel qui a joué un rôle crucial dans la formation de votre personnalité aujourd'hui ?

J'ai appris dans mon pays d'origine à naviguer entre les paradoxes et les
contradictions, car ils sont présents dans notre vie quotidienne. J'ai découvert,
plus tard, en vivant dans les pays développés, que cela a renforcé ma capacité à
être flexible et à tenir compte de la complexité et des nuances dans le monde
moderne qui a tendance à spécialiser les gens et à limiter leurs possibilités en les
enfermant dans des parcours prédéfinis.

Qu'est-ce qui vous motive et vous inspire au quotidien ?

Je suis inspirée tous les jours par le soleil et la lune. Je suis inspirée par cette
citation de l'activiste amérindienne Sherri Mitchell : "Même dans cette nuit
obscure, nous pouvons anticiper l'arrivée d'une nouvelle aube".
Quand je vois les
montagnes autour de moi, je ressens la sacralité de notre planète et notre
existence éphémère en tant qu'individus, mais aussi en tant qu'espèce. Chaque
arbre ou buisson que je rencontre lors de mes promenades quotidiennes est un
témoignage de la force de la vie, surtout les petites mauvaises herbes qui
traversent le béton pour atteindre la lumière. Le chant des oiseaux et la présence
de mon petit oiseau (mon plus jeune fils) remplissent mon cœur de beauté et de
joie.

Comment équilibrez-vous travail, famille et vie personnelle ?

Bien que je sois plutôt bien organisée, je ne suis toujours pas la meilleure pour
équilibrer travail, famille et vie personnelle. Je suis passionnée et peut tomber
dans l’obsession. Quand je suis concentrée sur quelque chose, j'ai du mal à définir
les priorités, sauf pour mes enfants, pour lesquels je donne généralement tout le
soin possible. Une façon que j'ai trouvée pour m’équilibrer est celle d'écouter mon
corps. Par exemple, quand je ressens des tensions dans mes épaules, c'est
généralement le moment de faire une pause dans mon travail. Et quand je lâche
ma liste de choses à faire, je vois plus clairement ce qui est important. J'ai petit à
petit abandonné la nécessité d'être efficace et productive. J'essaye d'écouter ce
qui est fructueux ou significatif, inspirée par la manière dont un arbre fait pousser
ses branches dans la direction de la lumière. Je tiens également à être simplement
"présente" et parfois à faire moins, voire rien du tout. Cela me donne de la clarté
avant d'agir

Pouvez-vous décrire un tournant dans votre vie qui a contribué à façonner la personne que vous êtes aujourd'hui ?

Je ne me vois pas façonnée hors contexte ou en-dehors de mes relations. Je vois
plus ma vie comme une rivière mûrissant lentement à travers tous les flux
provenant de différents affluents. Pour nommer des éléments clés qui ont
contribué à façonner la personne que je suis aujourd'hui : mes enfants m'ont
forcée à noter mes schémas psychologiques et à remettre en question ma vision
du monde, ma relation avec la nature lors de moments en solitaire en Californie,
une prise de conscience croissante de différentes voies pour percevoir et interagir
avec le monde (l’esprit, le corps, l’intuit

.Pouvez-vous partager une expérience où vous avez ressenti un choc de valeurs culturelles et comment vous l'avez résolu ou comment vous avez navigué à travers cette expérience ?

Je dois dire que je ne suis pas à l'aise avec l'expression "choc des valeurs
culturelles". Cela me rappelle trop la rhétorique de la guerre, surtout en ces temps
difficiles de conflits et de génocides. Je me souviens de cet article écrit en 1993
par Samuel Huntington, "Le choc des civilisations", dont l’objectif était de préparer
le monde occidental après la guerre froide à un nouvel ennemi, la Chine ou l'Islam.
J'aime puiser dans la sagesse de notre humanité commune afin de nourrir la
compassion (la compassion signifie littéralement "souffrir avec") et d’aider à
soigner nos cœurs brisés.

Avez-vous rencontré des défis uniques en tant qu'individu de la diaspora, et comment les avez-vous surmontés tout en maintenant un lien fort avec vos racines ?

Mes défis ont été la pression pour m'assimiler et adopter les valeurs occidentales, car elles sont souvent considérées dans les pays occidentaux comme des "valeurs universelles" (et parfois aussi dans les pays du Sud). J'étais un peu troublée pendant mon éducation car j'ai fréquenté une école française au Maroc où l'on
nous enseignait que la France était plus avancée que notre société marocaine en raison de l'âge des Lumières, de la laïcité, de la démocratie, etc. J'ai réalisé plus tard comment le néo-colonialisme prévalait toujours dans nos pays à travers l'éducation, le business, la culture et dans nos institutions bien après notre
indépendance politique. Ensuite, en vivant en tant qu'individu de la diaspora en France puis aux États-Unis, il est devenu clair que mes différences étaient acceptées seulement si elles étaient superficielles et si elles apportaient de l'exotisme et de la couleur au mythe du melting-pot.

Deux éléments m'ont aidé à naviguer à travers ce défi. Tout d'abord, j'ai toujours ressenti dans mes tripes le
besoin de maintenir vivant le lien avec mes racines en parlant ma langue à la maison, en écoutant de la musique (mon style de musique préféré est la musique Gnawa, un mélange de soufisme et de rituels animistes africains qui symbolise pour moi les racines africaines du Maroc) et en célébrant les fêtes traditionnelles.

Deuxièmement, j'ai eu la chance de rencontrer des personnes de culture et origine différentes qui m'ont donné confiance dans mon propre patrimoine culturel et m'ont montré comment nous prospérons plus dans un écosystème diversifié.

Comment votre origine culturelle a-t-elle influencé vos aspirations personnelles et professionnelles ?

Quelque chose est resté en moi toute ma vie, c'est la solidarité entre les femmes.

J'ai été élevée en observant les femmes de mon pays s'entraider constamment, en temps difficiles ou en temps de célébration. Je pense que cela a nourri l'une de mes valeurs fondamentales qui est très bien exprimée par la philosophie Ubuntu : "Je suis parce que nous sommes".

Mes aspirations personnelles et professionnelles visent donc à soutenir les autres et à soutenir le collectif.

Quelle est votre définition du succès et comment le mesurez-vous ?

À mon avis, le mot "succès" est problématique. Il renvoie à des réalisations individuelles comme si nous pouvions accomplir quelque chose sans un système de soutien. En réalité, cela commence avec ceux qui prennent de soin de nous lorsque nous sommes des nourrissons, avec la planète qui nous fournit nourriture, eau et air, puis avec la famille, la communauté etc.

Cela est très accentué dans les cultures occidentales où les récits de succès alimentent le mythe du « self-mademan ». Pour moi, ce sont les piliers de la société moderne qui repose sur la séparation et la division pour affaiblir la société civile et permettre aux grandes institutions et aux corporations internationales de poursuivre leur agenda. Ce que je vise personnellement, c'est l'harmonie : l'harmonie en moi-même (avec mes valeurs fondamentales, en acceptant tout autant mes forces et mes faiblesses), l'harmonie avec mes proches (ce qui signifie renoncer à projeter mes valeurs sur eux et respecter leur souveraineté), l'harmonie avec les gens autour de moi, l'harmonie avec la terre sur laquelle je vis actuellement, l'harmonie avec le monde naturel, l'harmonie en semant des graines d'amour pour un monde plus harmonieux.

En ce qui concerne la mesure, je travaille à ressentir les signaux de mon système nerveux sur le niveau d'harmonie/disharmonie autour de moi. Je crois que notre esprit rationnel est incapable de mesurer l'harmonie, sinon le monde ne serait pas dans son état actuel de destruction.

.Pouvez-vous partager une situation où la langue a présenté à la fois un défi et une opportunité dans votre vie personnelle ou professionnelle ?

Immigrer aux États-Unis dans la quarantaine sans une maîtrise de l'anglais
académique a été un désavantage. C'était ma principale motivation pour retourner
à l'université. J'avais besoin de la capacité de comprendre et d'élaborer
pleinement en anglais, et d'exprimer mes nuances. Je suis reconnaissante
maintenant de pouvoir naviguer entre différentes langues et différentes cultures.
Je peux voir comment le multilinguisme et le multiculturalisme aident à élargir ses
perspectives et ses approches dans n'importe quelle situation.

De plus, comment contribuez-vous activement et redonnez-vous à vos deux foyers, que ce soit par le biais de l'implication communautaire, de la philanthropie ou d'autres moyens ?

J'ai généralement une préférence pour le travail local et le maintien d'une
connexion avec ma communauté locale où que je sois, tout en restant attentive à
ce qui se passe ailleurs, surtout dans mon pays. Par exemple, j'ai été active
localement au sein d'une organisation environnementale locale lorsque je vivais
aux États-Unis. Et après le séisme qui a frappé le Maroc en septembre 2023, il
était important pour moi, au moins, de soutenir financièrement les organisations
actives localement.

Traduction : Zeinab Benchakroun Exclusive Interview – ‘In My Opinion, The Word “Success” Is Problematic’

Source : questofessence.com  : Zeinab Benchakroun Exclusive Interview – ‘In My Opinion, The Word “Success” Is Problematic’

RootsAndRoutesMag est un rendez-vous mondial, un lieu de rencontre pour des personnes comme vous et moi – liées par un fil conducteur d’origines diverses. Nos origines traversent les continents, les cultures et les traditions, mais c’est dans cette diversité partagée que nous trouvons notre unité. Que votre voyage ait commencé dans les marchés animés de Marrakech ou dans les fjords sereins de Norvège, c’est un espace où chaque origine est célébrée, chérie et tissée dans la tapisserie vibrante de la vie de la diaspora.

Zeinab Benchakroun






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