Par Hicham EL AADNANI Consultant en intelligence stratégique
Face à un taux de chômage des jeunes atteignant 48%, le Maroc est confronté à un défi majeur : l'inadéquation entre son système éducatif et les besoins du marché du travail. Alors que de nombreuses filières universitaires se transforment en véritables voies de garage pour les diplômés, le modèle éducatif suisse, reconnu pour son excellence et son efficacité, pourrait offrir des pistes de réflexion pertinentes pour une réforme en profondeur du système marocain.
Un système décentralisé qui fait ses preuves
La Suisse se distingue par une approche décentralisée unique en son genre, où l'éducation est principalement gérée au niveau des cantons. Cette organisation territoriale permet une adaptabilité remarquable aux besoins locaux et une réactivité face aux évolutions du marché du travail. L'absence d'un ministère national de l'éducation pourrait surprendre, mais c'est précisément cette structure qui permet aux 26 cantons suisses d'exercer une autonomie significative dans la définition des programmes, des calendriers scolaires et des méthodes pédagogiques.
Une coordination efficace malgré la décentralisation
Si la décentralisation pourrait faire craindre une désorganisation, la Suisse a su mettre en place des mécanismes de coordination efficaces. La Conférence des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP) assure une harmonisation des pratiques, tandis que des accords intercantonaux comme HarmoS garantissent une cohérence nationale sur les aspects fondamentaux de l'éducation. Cette approche équilibrée permet de maintenir des standards élevés tout en préservant la flexibilité nécessaire à l'adaptation locale.
La formation professionnelle duale : clé de voûte du succès suisse
L'un des aspects les plus remarquables du système suisse réside dans sa formation professionnelle duale, qui concerne environ 70% des jeunes. Contrairement à d’autres pays, comme la France ou le Maroc, qui misent largement sur le baccalauréat, les suisses continuent à massivement privilégier la formation professionnelle au détriment de la formation gymnasiale (baccalauréat). Ce système combine formation théorique en école et apprentissage pratique en entreprise, avec une répartition du temps fortement axée sur la pratique (80% en entreprise, 20% en formation théorique).
Une implication forte du secteur privé
Le succès de ce modèle repose largement sur l'engagement des entreprises dans la formation. Les branches professionnelles participent activement à l'élaboration des programmes, garantissant ainsi une adéquation directe entre les compétences acquises et les besoins du marché. Cette collaboration étroite se traduit par un taux de chômage des jeunes remarquablement bas, autour de 5%, qui contraste fortement avec la situation marocaine.
Transposition au contexte marocain : opportunités et défis
Le Maroc pourrait s'inspirer de cette approche décentralisée pour réformer son système éducatif, en l'adaptant à ses spécificités régionales. Une décentralisation progressive permettrait aux régions de développer des formations en phase avec leur tissu économique local.
Une expérimentation régionale comme première étape
Une approche prudente consisterait à désigner une région pilote pour tester cette décentralisation. Par exemple, la région de Casablanca-Settat, avec son tissu industriel diversifié, ou celle de Souss-Massa, forte de son secteur touristique et agricole, pourrait servir de laboratoire pour cette transformation. Cette phase expérimentale permettrait d'identifier les ajustements nécessaires avant un déploiement plus large.
Des adaptations nécessaires au contexte local
La mise en œuvre d'un tel système au Maroc nécessiterait des adaptations importantes. Il faudrait notamment :
- Établir un cadre juridique clair définissant les responsabilités respectives de l'État et des régions
- Développer des mécanismes de coordination interrégionale
- Mettre en place des incitations pour encourager l'implication des entreprises dans la formation
- Renforcer les capacités des acteurs régionaux en matière de gestion éducative
Les clés d'une transition réussie
Formation des formateurs et renforcement des capacités
Un programme ambitieux de formation des formateurs serait indispensable pour assurer la qualité de l'enseignement dans un système décentralisé. Les enseignants et formateurs devraient être préparés à travailler en étroite collaboration avec le secteur privé et à adapter leurs méthodes pédagogiques aux besoins spécifiques des entreprises locales.
Développement des partenariats public-privé
Le succès d'une telle réforme reposerait largement sur la capacité à mobiliser le secteur privé. Des mesures incitatives, comme des avantages fiscaux pour les entreprises participant à la formation, pourraient encourager leur engagement. La création de conseils sectoriels régionaux, réunissant représentants de l'éducation et du secteur privé, faciliterait la co-construction des programmes de formation.
Anticiper et prévenir les risques
Lutte contre les inégalités territoriales
La décentralisation ne doit pas conduire à creuser les écarts entre régions. Un mécanisme de péréquation financière, inspiré du modèle suisse, permettrait de garantir une certaine équité territoriale. Des standards nationaux minimum devraient être définis et leur respect contrôlé par une instance nationale.
Maintien de la cohésion du système éducatif
Pour éviter une fragmentation excessive, il serait crucial de maintenir un socle commun de connaissances et de compétences au niveau national. La création d'une instance de coordination interrégionale, similaire à la CDIP suisse, permettrait d'assurer cette cohérence tout en préservant l'autonomie régionale.
Perspectives et recommandations
La transformation du système éducatif marocain selon le modèle suisse représente un défi ambitieux mais prometteur. Pour maximiser les chances de succès, plusieurs recommandations peuvent être formulées :
Une approche progressive et concertée
La mise en œuvre devrait se faire par étapes, en commençant par une région pilote et en étendant progressivement l'expérience aux autres régions. Cette approche permettrait d'ajuster le modèle en fonction des retours d'expérience et des spécificités locales.
Un accompagnement soutenu
Le succès de la réforme nécessiterait un accompagnement important des acteurs régionaux dans la prise en main de leurs nouvelles responsabilités. Des partenariats avec des institutions suisses pourraient être envisagés pour bénéficier de leur expertise.
La réforme du système éducatif marocain inspirée du modèle suisse représente une opportunité unique de transformer l'inadéquation actuelle entre formation et emploi en un atout pour le développement économique du pays. Si les défis sont nombreux, les bénéfices potentiels - en termes d'emploi des jeunes et de développement économique régional - justifient amplement l'engagement dans cette voie ambitieuse. La clé du succès résidera dans la capacité à adapter intelligemment le modèle suisse aux réalités marocaines, tout en préservant ses principes fondamentaux d'autonomie régionale et de collaboration étroite avec le secteur privé.
Par Hicham EL AADNANI
Consultant en intelligence stratégique
Un système décentralisé qui fait ses preuves
La Suisse se distingue par une approche décentralisée unique en son genre, où l'éducation est principalement gérée au niveau des cantons. Cette organisation territoriale permet une adaptabilité remarquable aux besoins locaux et une réactivité face aux évolutions du marché du travail. L'absence d'un ministère national de l'éducation pourrait surprendre, mais c'est précisément cette structure qui permet aux 26 cantons suisses d'exercer une autonomie significative dans la définition des programmes, des calendriers scolaires et des méthodes pédagogiques.
Une coordination efficace malgré la décentralisation
Si la décentralisation pourrait faire craindre une désorganisation, la Suisse a su mettre en place des mécanismes de coordination efficaces. La Conférence des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP) assure une harmonisation des pratiques, tandis que des accords intercantonaux comme HarmoS garantissent une cohérence nationale sur les aspects fondamentaux de l'éducation. Cette approche équilibrée permet de maintenir des standards élevés tout en préservant la flexibilité nécessaire à l'adaptation locale.
La formation professionnelle duale : clé de voûte du succès suisse
L'un des aspects les plus remarquables du système suisse réside dans sa formation professionnelle duale, qui concerne environ 70% des jeunes. Contrairement à d’autres pays, comme la France ou le Maroc, qui misent largement sur le baccalauréat, les suisses continuent à massivement privilégier la formation professionnelle au détriment de la formation gymnasiale (baccalauréat). Ce système combine formation théorique en école et apprentissage pratique en entreprise, avec une répartition du temps fortement axée sur la pratique (80% en entreprise, 20% en formation théorique).
Une implication forte du secteur privé
Le succès de ce modèle repose largement sur l'engagement des entreprises dans la formation. Les branches professionnelles participent activement à l'élaboration des programmes, garantissant ainsi une adéquation directe entre les compétences acquises et les besoins du marché. Cette collaboration étroite se traduit par un taux de chômage des jeunes remarquablement bas, autour de 5%, qui contraste fortement avec la situation marocaine.
Transposition au contexte marocain : opportunités et défis
Le Maroc pourrait s'inspirer de cette approche décentralisée pour réformer son système éducatif, en l'adaptant à ses spécificités régionales. Une décentralisation progressive permettrait aux régions de développer des formations en phase avec leur tissu économique local.
Une expérimentation régionale comme première étape
Une approche prudente consisterait à désigner une région pilote pour tester cette décentralisation. Par exemple, la région de Casablanca-Settat, avec son tissu industriel diversifié, ou celle de Souss-Massa, forte de son secteur touristique et agricole, pourrait servir de laboratoire pour cette transformation. Cette phase expérimentale permettrait d'identifier les ajustements nécessaires avant un déploiement plus large.
Des adaptations nécessaires au contexte local
La mise en œuvre d'un tel système au Maroc nécessiterait des adaptations importantes. Il faudrait notamment :
- Établir un cadre juridique clair définissant les responsabilités respectives de l'État et des régions
- Développer des mécanismes de coordination interrégionale
- Mettre en place des incitations pour encourager l'implication des entreprises dans la formation
- Renforcer les capacités des acteurs régionaux en matière de gestion éducative
Les clés d'une transition réussie
Formation des formateurs et renforcement des capacités
Un programme ambitieux de formation des formateurs serait indispensable pour assurer la qualité de l'enseignement dans un système décentralisé. Les enseignants et formateurs devraient être préparés à travailler en étroite collaboration avec le secteur privé et à adapter leurs méthodes pédagogiques aux besoins spécifiques des entreprises locales.
Développement des partenariats public-privé
Le succès d'une telle réforme reposerait largement sur la capacité à mobiliser le secteur privé. Des mesures incitatives, comme des avantages fiscaux pour les entreprises participant à la formation, pourraient encourager leur engagement. La création de conseils sectoriels régionaux, réunissant représentants de l'éducation et du secteur privé, faciliterait la co-construction des programmes de formation.
Anticiper et prévenir les risques
Lutte contre les inégalités territoriales
La décentralisation ne doit pas conduire à creuser les écarts entre régions. Un mécanisme de péréquation financière, inspiré du modèle suisse, permettrait de garantir une certaine équité territoriale. Des standards nationaux minimum devraient être définis et leur respect contrôlé par une instance nationale.
Maintien de la cohésion du système éducatif
Pour éviter une fragmentation excessive, il serait crucial de maintenir un socle commun de connaissances et de compétences au niveau national. La création d'une instance de coordination interrégionale, similaire à la CDIP suisse, permettrait d'assurer cette cohérence tout en préservant l'autonomie régionale.
Perspectives et recommandations
La transformation du système éducatif marocain selon le modèle suisse représente un défi ambitieux mais prometteur. Pour maximiser les chances de succès, plusieurs recommandations peuvent être formulées :
Une approche progressive et concertée
La mise en œuvre devrait se faire par étapes, en commençant par une région pilote et en étendant progressivement l'expérience aux autres régions. Cette approche permettrait d'ajuster le modèle en fonction des retours d'expérience et des spécificités locales.
Un accompagnement soutenu
Le succès de la réforme nécessiterait un accompagnement important des acteurs régionaux dans la prise en main de leurs nouvelles responsabilités. Des partenariats avec des institutions suisses pourraient être envisagés pour bénéficier de leur expertise.
La réforme du système éducatif marocain inspirée du modèle suisse représente une opportunité unique de transformer l'inadéquation actuelle entre formation et emploi en un atout pour le développement économique du pays. Si les défis sont nombreux, les bénéfices potentiels - en termes d'emploi des jeunes et de développement économique régional - justifient amplement l'engagement dans cette voie ambitieuse. La clé du succès résidera dans la capacité à adapter intelligemment le modèle suisse aux réalités marocaines, tout en préservant ses principes fondamentaux d'autonomie régionale et de collaboration étroite avec le secteur privé.
Par Hicham EL AADNANI
Consultant en intelligence stratégique