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Contexte et les raisons de la proposition de loi du parti de l'istiqlal sur les conflits d'intérêts

Nizar Baraka : Conflits d'intérêts et vie publique au Maroc


Invité de la Fondation Abderrahim Bouabid



Transcription de la rédaction

Je remercie la fondation Abderrahim Bouabid ainsi que la fondation Heinrich Böll pour cette rencontre, et remercier en fait les experts et les amis qui ont bien voulu présenter leurs visions du sujet. C’est un sujet comme, on a pu le constater, qui est très riche et qui est amené à connaître beaucoup de développements à l'avenir.

Je voudrais tout d'abord axer mon intervention sur trois axes.

Le premier, porte sur les raisons qui nous ont poussés en tant que parti de l'Istiqlal à faire une proposition de loi sur les conflits d'intérêts.
Pourquoi on s'est intéressé à cette question ?
Le deuxième axe, l'intervention va présenter cette proposition de loi qui reste évidemment perfectible mais qui a l'intérêt d'exister.
Le troisième axe serait plutôt une feuille de route pour l'avenir au niveau de notre pays.


Ce qui nous a amené à nous intéresser à cette notion de conflit d'intérêts, c'est que le constat qu'on a fait.

Comme vous le savez le Maroc est en pleine réflexion autour d'un nouveau modèle de développement, cette réflexion est devenue d'une très grande actualité avec la pandémie et son impact, finalement mondial, et évidemment sur notre pays, sur le plan économique et sur le plan social.
Nous avons donc mis l'accent dans le cas de ce nouveau modèle de développement en tant que parti, sur un certain nombre de ruptures. Parmi les ruptures proposées celle avec la société des privilèges et l'économie de rente d'autant plus que nous avons pu constater que le Maroc connaît une baisse tendancielle de la croissance. On est passé de 5 % de croissance par an entre les années 2000 et 2010 vers une croissance autour de 3% et évidemment avec la COVID on est à -6%.

Deuxièmement, nous avons constaté qu'il y avait une véritable crise de confiance, et notamment parmi les opérateurs économiques et les citoyens qui était liée à un manque de visibilité mais surtout liée à l'importance de la place des privilèges dans notre économie et dans nos différentes politiques publiques. C’est ce qui crée en fait un certain nombre de barrières visible et de barrières invisibles et qui donne lieu à un certain nombre de monopoles, de cartels, de positions dominantes et de concurrence déloyale, notamment au niveau de l'informel.

Évidemment, le conflit d'intérêts rentre parfaitement dans le cadre de ces facettes finalement, de cette économie de rente et qu'on appellerait plus communément dans le cas de notre pays une économie de connivence, une économie de copinage qui s'installe de plus en plus dans notre, je dirais, paysage politico-économique.

Cette situation a fait que les acteurs économiques, d'un côté, se sont de plus en plus détournées des secteurs concurrentiels, où on a besoin d'avoir une meilleure productivité d'être plus compétitif, pour s'orienter vers des secteurs économiques protégés vers des secteurs économiques qui bénéficient d'avantages fiscaux très importants, ou des secteurs où il y avait un certain nombre d’avantages, de protections et autres. Finalement malgré l'ouverture de notre économie, malgré les différentes politiques publiques qui ont été mises en place et la transformation structurelle de notre économie, le nombre d'entreprises exportatrices reste très limité, on est un 1% de notre tissu productif qui exporte au moment où le nombre des entreprises importatrices a explosé.

Cette situation s'est traduite par un rejet de la part de la population puisqu’une économie de connivence porte atteinte à la cohésion sociale, d'abord parce que comme vous le savez il y a un sentiment d'injustice qu'on appelle au Maroc « l’hegra » qui est là qui est très présent et qui ne fait qu'augmenter .

Deuxièmement, parce que au lieu de chercher véritablement à produire et améliorer ces capacités, s'inscrire dans une logique de mérite on cherche à trouver un réseau, un moyen d'accéder, un privilège, et donc à un moyen de connaître une véritable ascension sociale et donc d’obtenir des privilèges.

Et tout ça d'ailleurs se fait dans une situation où nous constatons une certaine démission entre guillemets du gouvernement, et c’est aussi le cas et des organes de régulation en tout cas pour certains. Le cas le plus patent a été la campagne de boycott qu'on a connue en 2018, où le citoyen a appelé au boycott d'un certain nombre de produits, considérant que les règles de concurrence loyale n'étaient pas respectées et que le gouvernement n'avait pas agi pour protéger le citoyen, le pouvoir d'achat des citoyens face à ces exactions. C'est là le meilleur exemple finalement où le citoyen se substitue au gouvernement, se substitue aux organes de gouvernance et de régulation qui sont censés protéger et assurer cette concurrence loyale pour pouvoir obtenir leurs droits et en fin de compte ils ont obtenu gain de cause puisque les marges ont été largement révisées à la baisse.

Tout ça pour dire qu'aujourd'hui si nous avons fait cet appel car nous avons considéré qu'il était important de nous pencher sur cette question, c'est parce que nous considérons que ce nouveau modèle de développement devait véritablement apporter une réponse à cette problématique qui porte atteinte à l'intérêt général, qui fausse le jeu de la libre concurrence, et surtout qui sape la confiance des citoyens et des entreprises dans les institutions publiques.

La dernière enquête qui a été faite par rapport à la confiance a montré que seulement 20% des citoyens avait confiance au gouvernement et à son action. De l'autre côté, la deuxième raison pour laquelle nous avons proposé cette loi c'est que nous avons considéré qu'il était nécessaire de réhabiliter le politique…

Le conflit d'intérêts détruit la relation de confiance qui lie le citoyen aux dépositaires de l'intérêt public et ne fait qu'accroître le fossé entre le peuple et les gouvernants.
 
En l'absence de garde-fous en matière de conflits d'intérêts, l'élection d’un président de commune, d'un président de Région, ou la nomination à des postes de responsabilité de la fonction publique devient, pour certains en tout cas, dans la perception d'un bon nombre de citoyens une source d'enrichissement personnel rapide et qui fait que finalement cela séduit les opportunistes et qui cherche à en tirer  un intérêt particulier plutôt de donner pour l'intérêt public.

 Finalement il y a une véritable défiance vis-à-vis du politique. D'ailleurs on l'a vu d'élections en élections il y a une véritable érosion de la confiance politique qui affecte évidemment les institutions élues et qui affecte également donc le personnel politique. Nous avons vu que le niveau d'abstention est de plus en plus élevé.
 
Lors des dernières élections, il était de l'ordre de 56 % pour les élections législatives et le vote-sanction aussi qui était particulièrement important et c'est la raison pour laquelle nous considérons aujourd'hui que nous sommes à la veille des élections, donc qui vont se tenir au courant de cette année.
Nous sommes à la veille d'un moment très important avec la mise en place du nouveau modèle de développement, mais surtout avec la crise forte que nous vivons une résilience faible de notre pays face à la crise et liée à la pandémie du Covid-19 en raison des politiques publiques menées par notre gouvernement qui sont largement dépassées qui sont pas en phase avec nos besoins.

Nous considérons qu'il est important de réhabiliter le politique et de donner une crédibilité aux institutions élues et une législation autour du conflit d'intérêt pourrait contribuer à aider à dépasser cette problématique de défiance.
 
La troisième raison qui nous a poussé à faire cette proposition de loi c'est que nous considérons qu'il est important aujourd'hui pour notre pays, toujours dans la même logique de crédibiliser et de donner du poids à l'action publique, d'avoir un cadre global, cohérent, et d'intégrité de la vie publique.

Le Maroc a signé et adopté plusieurs conventions internationales pour lutter contre la corruption pour renforcer la transparence, pour la bonne gouvernance. On s'est doté également d'institutions constitutionnelles de gouvernance pour faire face à ces pratiques en renforçant les attributions du Conseil de la concurrence et la mise en place de l'instance nationale de la probité de la prévention et de la lutte contre la corruption, avec la Cour des comptes, les différentes instances, les agences de régulation dans le domaine des télécoms et la haute autorité également des médias etc…

Et puis notre constitution dans son article 36  parle de la notion de conflit d'intérêts et qu'il faudrait absolument y faire face. Dans la loi organique du gouvernement dans son article 33, parle également du conflit d'intérêts et prévoit que les membres du gouvernement doivent pendant la durée d'exercice de leurs fonctions suspendre toute activité pouvant entraîner un conflit d'intérêt.
Même si cette loi permet à aux membres du gouvernement d'avoir des prises de participations et d'être à la tête de holdings et ne définit pas en fait ce qu'on entend par conflit d'intérêts.

Par ailleurs le code pénal aussi traite d’ un certain nombre de dispositions notamment l'article 245 qui dispose que tout fonctionnaire public qui prend ou reçoit quelques intérêts dans certains actes est puni avec la réclusion de cinq ans à 10 ans et une amende de 500 à 10000 dhs.
Donc il y a un certain nombre de dispositifs qui sont là mais aujourd'hui le constat c'est que ce cadre n'est pas complet et c'est la raison pour laquelle nous avons considéré qu'il était important que cela soit complété d’une loi spécifique concernant le conflit d'intérêts.

Qu'est- ce que nous avons mis dans cette proposition de loi sur le conflit d'intérêt ?
 
Nous nous sommes basé évidemment sur la constitution puisqu' on parle de conflit d'intérêt et donc il fallait décliner cela sur le plan juridique.

Deuxièmement, comme le Maroc a signé un certain nombre de conventions internationales, il fallait qu'elles soient déclinées dans la réalité et nous nous sommes basés également sur les benchmark des meilleures pratiques internationales pour faire cette proposition de loi. On avait beaucoup de questions qui étaient posées, est ce qu’il était important de revoir les différents textes qui existent pour les améliorer ou  devait- on faire une proposition de loi spécifique ?

On a opté pour cela parce que nous considérons qu'il était important d'abord de définir le conflit d'intérêts, d'arrêter son périmètre, et d'apporter un certain nombre de réponses claires sur ce qu’est  le conflit d'intérêts, comment et qui est concerné, comment cela s'applique-t-il, et quelles seraient les sanctions.

Il s'agissait tout d'abord de définir le conflit d'intérêts, alors nous avons considéré que ce conflit d'intérêts  se définit comme toute situation dans laquelle se trouve un agent  public ou une personne élue ou nommée à une responsabilité publique qui pourrait affecter son indépendance, sa neutralité et son impartialité dans l'exercice de ses fonctions de ses responsabilités.

Nous avons considéré que le conflit d'intérêts comprend tout abus de position professionnelle à des fins personnelles directement ou indirectement, donc on a introduit la notion « indirects » et toute conclusion de contrats avec les administrations et les institutions qui lui sont associées ainsi que toute utilisation d'informations obtenues grâce au poste ou à la responsabilité qu'il endosse qui pourrait porter atteinte au principe de libre concurrence et qui pourrait donc se traduire par un intérêt personnel ou aux bénéfices d'autrui, ou également qu'il introduirait des relations personnelles ou des liens familiaux.

Nous avons considéré que le champ d'application de cette loi devait concerner les membres du gouvernement, dont le chef du gouvernement, les membres du Parlement avec les deux présidents des deux chambres, les magistrats, les membres du tribunal constitutionnel, les membres la Cour des comptes, des cours régionales des comptes, les différents élus, les présidents de communes, des conseils provinciaux des régions, ainsi que les présidents des agences régionales d'exécution, les agences de régulation et les membres des chambres professionnelles etc..Donc nous avons établi un champ d'application assez large pour l'application de cette loi.
L'un des axes fondamentaux, et c'est là où je voulais en venir, de cette proposition de loi consiste essentiellement à cette notion de déclaration d'intérêts et de déclarations de conflits d'intérêts. Nous avons considéré que c'est un point essentiel et pour ne pas tomber dans ce qui existe en France nous avons considéré que cette déclaration d'intérêts, au lieu de créer une nouvelle instance, devait se faire auprès de l'instance nationale de lutte contre la corruption et de probité puisque c'est une instance qui luttait contre la corruption et nous considérons que le conflit d'intérêts s'inscrit dans le cadre de cette notion large de corruption, et que par conséquent on avait une instance qui existe et qu'il fallait la doter des moyens de suivi pour pouvoir répondre à cette nouvelle mission. Nous avons proposé que cette instance puisse établir un rapport annuel qui serait présenté donc au gouvernement et au Parlement concernant les cas des conflits d'intérêts.

Alors concernant les sanctions nous avons considéré qu'il y avait deux types de sanctions : les sanctions financières en cas de non de déclarations de conflits d'intérêts et nous avons proposé des sanctions en cas de conflit d'intérêts avéré et non déclaré et notamment ce qui pourrait se traduire par une sanction administrative par l'éviction du poste de responsabilité et/ou de l'interdiction d'élections pendant six ans pour celui qui est concerné au cas où c'est un élu, et qui pouvait arriver jusqu'à la confiscation des biens acquis grâce en raison du conflit d'intérêts qu'ils soient de biens mobiliers, immobiliers ou financiers.
Voilà donc c'est un peu les choix que nous avons fait en termes de sanctions sans parler évidemment du code pénal qui prévoit d'autres cas.

En conclusion, je voulais présenter un peu la feuille de route que nous proposons en tant que Parti pour notre pays, c'est qu’il est important d'avoir un stratégie, le Maroc a une stratégie nationale de lutte contre la corruption mais il est important d'avoir une stratégie beaucoup plus large, qui intègre les notions importantes comme celle de l'éthique, la notion de prévention, la notion de transparence, et la notion de sanction.

Nous considérons que cette stratégie devait intégrer une stratégie spécifique à la prévention à l'encadrement du conflit d'intérêts qui soit basée sur une approche participative et qui permet l'implication du public, du privé, de la société civile, des partis politiques, et des médias. Nous considérons aussi qu'il est très important qu'une loi spécifique sur le conflit d'intérêts, nous avons fait cette proposition de loi, le gouvernement travaille sur un projet de loi concernant les conflits d'intérêts au niveau de la fonction publique, mais l'essentiel c'est que ça sorte et qu'on ait véritablement un dispositif juridique qui nous permettrait de définir le conflit d'intérêts et de pouvoir éviter un certain nombre de cas, surtout que le Maroc a connu des cas assez probants, vous avez parlé de ministres qui n'avait pas le droit de se retrouver un an après en Allemagne donc à des postes de responsabilité du secteur privé dans le même secteur, nous avons un ministre qui a procédé à la privatisation d'une entreprise publique et qui s’est retrouvé à la tête de cette entreprise publique, donc pour vous dire que nous sommes encore loin de cela.

 Il est très important qu'on puisse définir et clarifier qu'est ce que c'est ce problème de conflit d'intérêts pour pouvoir y faire face. Nous considérons aussi qu'il est très important de remettre à plat tous les textes juridiques qui parlent de cela pour pouvoir les mettre à niveau et pouvoir intégrer, développer, et compléter ses lois en introduisant cette notion de conflit d'intérêts. Il est important aussi de renforcer l'instance nationale de probité de lutte contre la corruption dont le texte de loi est en cours de discussion au Parlement et que nous soutenons pour la doter des moyens humains et matériels pour se charger de la déclaration, de la vérification, du contrôle, et de la sanction. Il est important de mettre en place une véritable stratégie de communication et de formation pour faire connaître la loi, auprès des citoyens, des personnes concernées notamment les élus et les fonctionnaires, mais il est aussi important de réformer un certain nombre de textes de lois comme celui de la déclaration de patrimoine, le texte de loi sur le code pénal qui est également en cour de discussion au Parlement qui est toujours bloqué en raison de conflits entre les Partis de la majorité.

Le texte sur la nomination fonctions supérieures parce que là aussi il y a à boire et à manger en termes de conflits d'intérêts, et d'ailleurs le dernier rapport qui a été présenté par le Ministre des finances et de la fonction publique atteste du fait qu’il y avait beaucoup d'orientation dans les différentes nominations qui ont été faites à des postes de responsabilité, et sans parler évidemment le besoin de renforcer le rôle des instances de régulation et leurs moyens d'actions.

Ce qui est sûr et ce qui est clair pour nous c'est que la mise en œuvre d'une véritable politique de conflit d'intérêts est une action qu'on sait difficile.  C'est une notion pas très claire, Ali le disait, c’est une notion qui n’est, pas très bien définie et qui est exigeante en fait.

Mais si notre pays veut véritablement renforcer la confiance publique dans les institutions démocratiques et en les acteurs politiques, il est important de la mettre en place pour établir une démocratie plus efficace et surtout pour rétablir la confiance dans l'action publique.

Je vous remercie.
 
 




Lundi 11 Janvier 2021


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