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Le 1er février 1979, l’Occident déroulait le tapis rouge à l’autocratie iranienne




Par Naïm Kamal

Le 1er février 1979, l’ayatollah Khomeini rentre à Téhéran à bord d’un Boeing 747 spécialement affrété par Air France. Une scène de cinéma, une révolution télévisée. Mais derrière la mise en scène pieuse, se cache un cynisme d’Etat. Celui de la France, celui des Etats-Unis, et plus largement celui de l’Occident, qui, par calcul et par aveuglement, ouvrirent la voie au régime islamiste qui allait bouleverser le Moyen- Orient. A la croisée des intérêts, les principes furent priés de céder le passage.

La neutralité bienveillante de Paris
Le départ de Khomeini de Neauphle-le-Château, petit village bucolique à une quarantaine de Km de Paris, fut tout sauf clandestin. Expulsé d’Irak où il était réfugié, Khomeiny a été confortablement installé, en octobre 1978, dans une demeure mise à ‘’disposition par ses partisans’’. Il y tenait audience, recevait journalistes, dignitaires et militants, donnait ses directives et orientations à la révolution en marche sous protection policière française. Paris justifiait sa présence par l’asile politique, mais la réalité est moins angélique : le pouvoir giscardien, comme les chancelleries européennes, savait que la monarchie du Shah, ostentatoirement dispendieux, coupé de son monde, qui comptait sur la seule force et la Savak, impitoyable police politique, pour moderniser son pays, est en sursis.

Quatre mois plus tard, Khomeini, transporté par une logistique occidentale, survole le Proche-Orient pour rejoindre un pouvoir dont il a déjà écrit les contours théocratiques. A bord, quelque 150 journalistes et partisans, un bouclier humain, déguisé en envoyés spéciaux et comité de soutien, contre tout potentiel attentat. Il fallait qu’il arrive à bon port.

Washington ferme les yeux et ouvre la porte
A la même période, les Etats-Unis envoient en secret le général Robert Huyser, adjoint au commandement de l’Eucom (Commandement des forces des États-Unis en Europe), pour « préparer la transition ». Huyser n’est pas à Téhéran pour sauver la monarchie des Pahlavi, mais pour assurer l’avenir. Sa mission est de persuader les généraux iraniens de ne pas intervenir, de rester dans leurs casernes, de laisser Khomeiny et ses partisans faire. Une fois rassuré sur le sort de l’ayatollah, il quitte la capitale iranienne le 3 février.

Le célèbre aphorisme l’Etat n’a pas d’amis, que des intérêts se manifestait ainsi dans toute sa splendeur.

L’armée, pourtant l’une des plus puissantes de la région, obéissante, reste passive, paralysée, désarmée psychologiquement. Les Américains, obsédés par leur contrôle de la région, espéraient qu’une fois le Shah parti, un gouvernement civil émergera. Peut-être avec Bazargan. Peut-être même avec un Khomeini raisonnable, contenu par les réalités du pouvoir.

Mais les « peut-être » diplomatiques font rarement de bons calculs. Le retour de Khomeini ne donne pas naissance à une république pluraliste, mais à une dictature cléricale, habillée en révolution populaire, dirigée par des mollahs qui imposeront le turban et le tchador comme outil de gouvernance.

Le moment où tout a basculé
Dans Le Naufrage des civilisations (éd.Grasset), Amin Maalouf le démontre finement : 1979 est un tournant tragique. L’Iran aurait pu entrer dans l’histoire comme un laboratoire d’émancipation musulmane, une synthèse entre spiritualité et démocratie. Ce fut au contraire un modèle de régression, une matrice pour les futurs islamismes, venu conforter les régimes autoritaires du monde arabo-islamqiue dans leur autoritarisme.

Un ratage total en conséquence. La sympathie des opinions internationale qui a accompagné la révolution iranienne et la bénédiction occidentale, bien perçues et correctement exploitées, auraient pu ouvrir une fenêtre aux Ayatollahs pour développer leur pays, un peu à l’instar de ce que faisait à la même époqu la Chine de Deng Xiaoping.

Montrant patte blanche, Pékin a su séduire l’Occident et devenir « l’usine du monde » grâce à une stratégie patiente qui a inventé la plus oxymorique des formules : le communisme capitaliste, ou le capitalisme communiste. Pragmatique et remarquablement efficace, la recette chinoise a été articulée autour de quatre leviers clés : ouverture ciblée, main-d’œuvre bon marché, stabilité politique, et séduction économique. La Chine en a tiré des profits colossaux pour construire progressivement sa puissance industrielle, technologique et géopolitique.

Lorsque les Américains commencèrent à comprendre dans les années 1990-2000 que l’empire du milieu était devenu un sérieux rival économique et géopolitique, il était pratiquement trop tard. Ne leur restait qu’à commencer à envisager un affrontement avec la Chine comme inéluctable. Dès lors, les relations entre les deux désormais grandes puissances mondiales s’installeront dans une tension continue, mais Washington attendra 2017, pour désigner publiquement dans le National Security Strategy (NSS) la Chine comme principal rival stratégique, une position reconduite et renforcée dans la NSS 2022 et la National Defense Strategy (NDS) qui insistent sur la nécessité de contenir l’expansion militaire, économique et technologique chinoise. Sans se démonter, Pékin continuera de son coté à chercher le condominium avec les Américains arguant que dans le monde il y avait de la place pour les deux Etats rivaux.

Au nom d’Allah et de l’illusion
En lieu et place, Khomeini et ses théocrates décdèrent de déborder les limites nationales. Très vite, l’ex-hôte de Neauphle-le-Château prôna l’exportation de la révolution. Le panislamisme vint remplacer le panarabisme, avec les mêmes illusions, les même discours enflammés, la même harangue populiste, le même ergotage idéologique et  les mêmes résultats, insufflant en retour un autre espoir de révolution théocratique chez les sunnites portée par les frères musulmans et le salafisme jihadiste.

Peut-être sans le vouloir, les décideurs de notre monde a laissé un volcan s’ouvrir, en pensant que l’éruption serait contenue. On en subit encore les secousses : de la prise d’otages de l’ambassade américaine à Téhéran à la guerre Iran-Irak, du Hezbollah libanais à la déstabilisation du Golfe, du nucléaire iranien aux rivalités confessionnelles qui traversent tout le monde musulman…

Le Moyen-Orient, lui, déjà mal parti et mal en point, n’a jamais vraiment relevé la tête depuis ce jour de février 1979.




Lundi 23 Juin 2025

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