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Le paradoxe du leadership face à l’IA : entre discours et retard stratégique

Recommandations aux leaders marocains


Par Dr Az-Eddine Bennani

Du paradoxe de la productivité au paradoxe de l’intelligence artificielle

Dans les années 1990, malgré l’essor spectaculaire de l’informatique, la productivité ne progressait pas comme attendu. Robert Solow résumait ce paradoxe par une formule devenue célèbre : « On voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de la productivité. ».

Les entreprises étaient équipées, mais elles n’étaient pas encore transformées. L’outil était présent, mais les organisations, les modèles managériaux et les cultures de décision restaient inchangés.

Trente ans plus tard, avec l’intelligence artificielle, un paradoxe de même nature se reproduit à une échelle bien plus large.

Le rapport 2025 de McKinsey, intitulé « Superagency in the Workplace : Empowering People to Unlock AI’s Full Potential at Work », montre que presque toutes les entreprises investissent dans l’IA, que 92 % prévoient d’augmenter leurs investissements au cours des trois prochaines années, mais que seulement 1 % des organisations se considèrent aujourd’hui comme réellement matures dans leur déploiement de l’IA, c’est-à-dire capables de l’intégrer de manière fluide, à l’échelle de l’entreprise, et d’en extraire une valeur business significative.

Ce décalage massif entre ambition et réalité traduit un paradoxe profond : l’IA est partout dans les intentions, mais presque absente dans la transformation réelle.



Un paradoxe non technologique, mais organisationnel et managérial

Ce paradoxe n’est plus d’abord technologique. La puissance des modèles, l’accessibilité des outils et la baisse des barrières techniques ne sont plus les principaux obstacles. Le frein est désormais systémique.

Il se situe dans la gouvernance, la qualité et la maîtrise des données, les compétences disponibles, les modes de décision, la culture interne et la capacité des organisations à se transformer elles-mêmes.

L’IA agit aujourd’hui comme un révélateur de la maturité réelle des organisations. Là où la gouvernance est claire, les données maîtrisées, les responsabilités définies et la vision stratégique partagée, l’IA progresse.

Là où dominent l’improvisation, le cloisonnement et la peur de la remise en cause, l’IA stagne au stade des discours.

Ce que révèlent réellement les usages selon McKinsey :

Les données du rapport McKinsey sont particulièrement éclairantes sur l’écart entre dirigeants et réalité du terrain.

L’enquête menée fin 2024 aux États-Unis auprès de 3 613 employés et 238 dirigeants montre que 94 % des employés et 99 % des dirigeants déclarent connaître les outils d’IA générative.

Pourtant, lorsqu’on observe l’usage effectif, le fossé est considérable.

Les dirigeants estiment que seuls 4 % des employés utilisent l’IA pour au moins 30 % de leur travail quotidien, alors que les employés eux-mêmes sont environ 13 % à déclarer un tel niveau d’usage.

Plus frappant encore, 47 % des employés pensent qu’ils utiliseront l’IA pour plus de 30 % de leurs tâches quotidiennes d’ici un an, tandis que seuls 20 % des dirigeants partagent cette projection.

Cette divergence de perception révèle une désynchronisation profonde entre les leaders et la réalité des usages.

Pourquoi l’adoption réelle reste faible ?

Avant d’adopter réellement l’IA, les dirigeants évaluent plusieurs dimensions décisives : l’utilité concrète pour leurs métiers, l’effort d’intégration dans les systèmes existants, la capacité de l’organisation à absorber le changement, la fiabilité des modèles et l’impact de l’IA sur leur propre rôle et leur légitimité.

Dans la pratique, plusieurs freins structurants se cumulent. L’utilité perçue reste souvent floue. L’effort d’adoption est jugé coûteux, complexe et perturbateur.

L’exemplarité au sommet fait défaut. Les organisations sont mal préparées, avec des données fragmentées, une gouvernance faible et des compétences insuffisantes. La confiance dans les modèles reste limitée. Enfin, l’impact identitaire est souvent sous-estimé.

Résultat : dans de nombreuses entreprises, l’IA reste cantonnée à des projets pilotes ou à des vitrines d’innovation sans portée stratégique réelle.

​Recommandations aux leaders marocains

Pour les leaders marocains, l’intelligence artificielle ne peut plus rester un sujet de discours ou d’expérimentations périphériques.

Elle doit devenir un projet stratégique de souveraineté, de compétitivité et de transformation organisationnelle.

Cela suppose de revoir en profondeur les organigrammes et les modes de gouvernance, en introduisant au plus haut niveau de décision des profils hybrides capables de comprendre à la fois l’informatique, les systèmes d’information, les métiers et le potentiel stratégique réel de l’IA.

Il est également urgent de sortir de la logique de surenchère de pseudo-experts, marocains ou étrangers, qui interviennent souvent sans connaître ni le système entreprise, ni son environnement économique, ni ses contraintes réelles.

La transformation passe aussi par un investissement massif dans la formation des dirigeants et des managers. L’IA est avant tout une transformation culturelle et cognitive.

Un défi de leadership plus que de technologie

Le Maroc ne manque ni de talents, ni de technologies, ni d’ambitions. Ce qui fait encore défaut, c’est la transformation profonde des représentations, des modes de gouvernance et des pratiques managériales.

Les dirigeants ne rejettent pas l’IA. Ils hésitent devant la transformation cognitive, organisationnelle et stratégique qu’elle impose. L’intelligence artificielle révèle moins les limites des machines que celles du leadership.

Par Dr Az-Eddine Bennani



Dimanche 7 Décembre 2025


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