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Le rôle de la défense dans la lutte contre le blanchiment d'argent

Séminaire UIA Tanger - mai 2024


Par Me Omar Mahmoud Bendjelloun, PhD : Docteur en droit International du développement, Avocat International, Membre du Bureau national de l'Association des Barreaux du Maroc.

La question du blanchiment d’argent interpelle des dimensions diverses, judiciaire, politique, économique et même éthique. Pourquoi une dimension politique ? Parce que le crime de blanchiment d’argent est accessoire, il ne peut s’etablir sans crime initial, ce qui implique son étroite dépendance d’une politique pénale établie par l'Etat.

Prenons trois grands domaines criminels que sont le trafic de stupéfiant, le terrorisme et la traite humaine, le blanchiment d'argent qui les accompagne dépendra des phases et objectifs de chacun des Etats dans la mise en avant ou de la marginalisation de la lutte anti - blanchiment, ce qui voudra dire que traiter la question d’un point de vue strictement judiciaire n’est pas judicieux sans l'analyse de l’environnement politique, comme si l'on abordait la question du blanchiment d’un point de vue strictement bénéficiaire à travers lequel les financiers nous expliquerons que ce crime est un "business" prospère et sa régulation n'ajoute en la matière aucune vertu.

L'Avocature a fait le tour de cette question, notamment au mécanisme de déclaration de soupçon luttanr contre le blanchiment, notamment sur sa technicité et le rôle de l’avocat dans la procédure de participation à la dénonciation et la lutte contre le blanchiment d'argent.

Il s’agit ici de mettre en exergue les problématiques et conflits de lois internes au dispositif normatif. La législation marocaine étant quasi mimétique par rapport à la législation européenne sur le sujet de la lutte contre le blanchiment, l'environnement bipartite entre le Maroc la France, ou même la Belgique, serait édifiant.



La notion de blanchiment a vu le jour en 1982 suite au démantèlement d’un cartel colombien de trafic International de stupéfiant.

Par la suite il y eut la mise en place d'un dispositif International de lutte contre tout types de criminalité, comme la convention de vienne, les Nations Unies pour Crimes et Drogues ONUDC, ou les regroupements Internationaux à vocation d’influence comme le GAFI qui, avec ses 40 recommandations, oriente les législations communautaires et nationales aussi bien européennes que marocaines.

En France comme au Maroc, trois grandes sources encadrent ce phénomène criminel, à savoir la loi sur le blanchiment d'argent, le code pénal et le code de procédure penale, ajoutant le code monétaire et financier CMF propre au droit français qui intervient aussi dans la régulation du blanchiment d’argent.

Parmi les similitudes il ya le rôle de l’avocat dans la lutte anti-blanchiment qui soulève des contradictions d’ordre philosophique entre systèmes légaux.

Dans les trois grandes catégories issus des corpus legislatifs comparés, que sont la prévention du blanchiment d’argent, l’institutionnalisation ou la régulation du blanchiment d’argent, et la répression du blanchiment d'argent, deux contradictions en droit comparé s'imposent à la réflexion : 

En France le périmètre d’action de l'avocat est cerné par rapport a la rédaction de contrats et au maniement de fonds dans plusieurs types de transactions, notamment par la jurisprudence traçant le périmètre professionnel entre Avocats et Experts comptables dans les cessions de fonds de commerce.

Au Maroc, l’Avocat, notamment agrée près la Cour de Cassation, ayant la prérogative de conclure des actes de vente, peut manier le fond et traiter certaines transactions.

Quelle est donc la ligne très fine entre le fait de donner un conseil et celui de participer, par action ou omission, à une opération de blanchiment d'argent ?

Est ce que demander l’existence ou la fourniture d’un document concernant la vente d’un terrain à l’étranger pour le faire valoir devant le parquet national financier PNF en France, ou poser des questions à son client pour le montage d'une pièce à conviction, est-il condamnable ? 

La frontière étant tellement invisible que la jurisprudence et la doctrine doivent collaborer pour apporter une réponse limpide et à la fois subtile à cet enjeu menaçant pour l'exercice professionnel de l'avocat et son immunité. 

Ainsi le GAFI et la régulation Internationale ont encadré la déclaration de soupçon comme mécanisme principal de lutte anti blanchiment, mettant à contribution les institutions bancaire et de crédit, les professions libérales dont les avocats et leurs instances ordinales qui sont sous le projecteur à défaut d'avoir un conseil national constituant une interface institutionnelle unifiée de la profession avec le gouvernement et l'organe de supervision.

Qelques difficultés aussi en matière de cohérence juridique persistent dans la mise œuvre de ce que les anglo-saxons désignent comme le "wisthleblowing".

Par exemple l’article 13 et suivants de la loi marocaine sur le blanchiment d'argent, qui a son équivalent dans le code monétaire et financier français CMF, dispose que les personnes assujettis au système de déclaration sont tenus de communiquer toute transaction suspecte à l’organe de renseignement financier placé sous la tutelle du président du gouvernement, l’équivalent de TRACFIN qui recoit les declarations de soupçon en France, soit les personnes assujetties sont tenues de communiquer aux autorités de supervision toute transaction suspecte sans tenir compte du secret professionnel qui concrètement ne peut plus être opposé par la défense à cette unité en charge du recueil et des information financières. 

Ainsi une question constitutionnelle s'impose :

Où réside le critère d'harmonie dans un système juridique quand une  instance de supervision provoque la transformation profonde des fondements du droit en portant atteinte au sacro-saint principe de secret professionnel des avocats en matière de défense et de procès équitable ?

Y a t il une hiérarchie entre secret"s" professionnel"s" des différents corps professionnels et institutions ?

Est ce que le secret bancaire, levé de facto par ces mécanismes légaux, est il plus important que  le secret professionnel des avocats ? Est ce que le secret professionnel de l'unité de renseignement est il plus important que le secret professeionnel des avocats ? 

Ce sont de véritables interrogations que la jurisprudence devrait résoudre, de vrais questionnements que la doctrine devrait élucider aussi.

Si la question hiérarchique en France est réglée par la position du code monétaire et financier français CMF dans le corpus normatif, au Maroc le conflit de loi reste latent entre la loi régulant la profession d’avocats et celle de la lutte contre le blanchiment d’argent.

L’article 13-1 concernant les autorités de supervision pose un autre problème d'ordre juridique et institutionnel, à savoir si les instances ordinales des avocats peuvent-elles être considérées comme autorités de supervision de par leurs nature et caractéristiques ?

Les instances ordinales de la profession d'Avocat au Maroc de par la loi de 2008  sont en effet indépendantes de l’autorité gouvernementale et judiciaire conformément aux critères Internationaux, contrairement à d'autres pays notamment les pays arabes qui s'éloignent de la convention de La Havane encadrant la profession d'Avocat, sachant que d'un point de vue politique ces corporations peuvent être perçus comme un contre-pouvoir ou un pouvoir d'influence équilibrant la séparation traditionnel du pouvoir d'injonction de l'Etat.

La circulaire du ministère de la justice en 2022 a incorporé l’idée que le gouvernement soit une autorité de supervision, ce qui est inconstitutionnel vu la confusion des pouvoirs.

Le fait que l'organe de renseignement soit placée à la présidence du gouvernement avec le pouvoir de faire opposition, selon l'article 17 de loi anti-blanchiment, contre l’exécution des opérations ayant fait l’objet d’une déclaration de soupçon, alors que ce pouvoir est détenu par l'administration fiscale de façon exceptionnelle considérant que la justice administrative est seule à même d'ordonner cette opposition aussi bien en matière conservatoire que sur le fond, relate certaines irrégularités constitutionnelles et légales.

Ce pouvoir d'exception detenu par le pouvoir exécutif est d’ailleurs sujet à une vaste polémique et débat doctrinaire, jurisprudentiel et médiatique.
 
Par ailleurs, il est commun de définir les institutions par leurs acteurs, soulevant ainsi la question de la qualité des agents de l’unité de supervision qui, de par la loi, n'endossent aucune responsabilité pénale ou civile si la déclaration de soupçon opposée à une transaction s'avère dommageable pour son instigateur, individu, entreprise ou professionnel.
 
Pour conclure, le mimétisme au droit de l’Union Européenne n'est plus de mise en matière de légifération.

Une directive européenne traite la question de la déclaration de soupcon des avocats à travers le système des CARPA, un système non adopté par le Maroc, c'est-à-dire à travers les caisses autonomes pécuniaires des avocats qui, par une interprétation exhaustive où on tente de "joindre les priviléges du pouvoir et les honneurs de l’opposition", veulent harmoniser entre le principe et la philosophie du secret professionnel et l’obligation de déclaration de soupcon.

Pour l’instant, l'inventivité institutionnelle française a placé le curseur dans un niveau intermédiaire, en substituant le mécanisme de la caisse centrale CARPA à l'Avocat individuel ou au Cabinet d'Avocat pour être l'interface professionnelle du gouvernement et de TRACFIN en matière de déclaration de soupçon.

Toutefois, deux grands arrêts belges et luxembourgeois ont declaré que la directive européenne sur la question de blanchiment et de déclaration de soupçon est illégale, ainsi que la Cour Constitutionnelle de Belgique qui a déclaré la loi sur la lutte contre le blanchiment d’argent inconstitutionnelle, sans oublier la Cour de Cassation marocaine qui a declaré en 2014 que la saisie des biens en lien avec une action de blanchiment d’argent, sans qu’il y ait une preuve que le crime initial en est la source, est illégal. 
 
L'Avocat continuera t il à défendre et apporter conseil devant le dispositif sécuritaire en matière de transparence transactionnelle ? C'est le dialogue historique entre l'Etat de droit et la finance.



Lundi 15 Décembre 2025


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