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Les recettes de « routini al yaoumi »


Rédigé par le Jeudi 25 Mai 2023



Écouter le podcast de cet article :


- Dis moi, le journaleux, c’est quoi cette histoire du fisc qui veut taxer les youtubeurs ?
 
Je venais à peine de m’attabler que je me faisais déjà harangué par le plus casse-pieds de tous les serveurs de café, Rachid, l’éternel mal rasé.
 
- Commences par la salutation de l’Islam et vas d’abord me chercher un café bien corsé, la journée s’annonce pénible si je dois l’entamer par une discussion avec toi.
 
- Ma femme a une chaîne sur youtube, c’est elle qui m’a demandé de poser la question au journaleux qui vient prendre son café ici.
 
- C’est ta femme qui te l’a demandé ? Alors, cela s’annonce encore pire que je ne l’imaginais. Vas me chercher mon café, je ne vais plus me répéter. L’info à un coût, elle n’est pas gratuite.
 
Rachid s’empresse d’aller me commander mon café et néglige des clients attablés avant moi pour me servir en premier. Ce que femme veut, Dieu le veut.
 
- Alors, vas-y, expliques moi cette histoire de taxation des youtubeurs. Serait-ce que le gouvernement est à cours d’argent et n’aurait rien trouvé de mieux que de faire les poches aux youtubeurs ?
 
- D’abord une question, ta femme a une chaîne « routini al yaoumi » sur youtube ?
 
Si les yeux de Rachid pouvaient tirer des balles, je n’aurais pas eu l’opportunité de rédiger le billet que vous vous donnez la peine de lire présentement.
 
- Pourquoi tu me regardes ainsi ? Il paraît que cela rapporte pas mal d’argent aux femmes de se dandiner devant une caméra, dans des habits d’intérieur.
 
J’ai senti que j’avais poussé la provocation trop loin et me hâte de trouver une quelconque réponse pour le calmer, avant qu’il ne me saute dessus pour m’infliger une raclée.
 
- En effet, il est question d’imposer une taxe aux youtubeurs, dont certains encaissent des recettes mensuelles non-négligeables. Il serait même question de revenus mensuels, pour certains d’entre eux, de l’ordre des 100.000 dhs ! Tu penses bien que le fisc salive face à un tel festin, qui volait jusqu’à présent sous les radars.
 
Rachid sort lentement une cigarette de la poche de son chemisier et l’allume, avant de me lancer un regard méchant.
 
- D’abord, ma femme ne fait pas de « routini al yaoumi ». Elle a une chaîne youtube où elle présente des recettes de cuisine qu’elle elle-même a concoctée.
 
- Vu ta maigreur, la cuisine de ta femme ne doit pas être très nutritive.
 
Je bois une gorgée de café en évitant soigneusement le regard de Rachid. Le manque de caféine doit sûrement provoquer chez moi des impulsions suicidaires inconscientes.
 
- Un jour, je vais t’étrangler et je suis sûr que le juge va me relâcher et même me féliciter pour ma bonne action d’avoir débarrassé la société d’un épouvantable journaleux qui cire les bottes des puissants.
 
- Attends, tu n’as encore rien vu, je vais t’ulcérer d’avantage. Dis moi pour quelles raisons tu ne veux pas que des youtubeurs, qui réalisent des revenus assez consistants, ne versent pas d’impôts comme le font le reste des citoyens qui travaillent ou font du commerce.
En tant qu’employé d’une entreprise de presse, le fisc prélève directement un impôt sur mon salaire. Je ne peux, donc, qu’applaudir la démarche du gouvernement qui consiste à pourchasser les fraudeurs du fisc. Plus l’assiette fiscale sera élargie, plus le gouvernement peut se permettre de baisser les taux d’imposition.
 
- Ah, parce que tu crois sincèrement que le gouvernement va baisser la pression fiscale s’il parvenait à taxer plus de gens ?
 
- Tu t’accroches à un détail pour éviter le fond du sujet. Un citoyen qui réalise des revenus doit les déclarer au fisc et verser sa contribution, qui permet de payer les fonctionnaires, construire des infrastructures, etc. C’est une question de principe.
J’estime même que le versement de l’impôt est le principal pilier de la citoyenneté. Ceux qui fraudent sont des parasites sociaux, jouissant des contributions fiscales des bons citoyens sans y participer eux-mêmes. Maintenant, les taux d’imposition et l’utilisation des recettes fiscales relèvent de la politique.
Chaque année, le gouvernement présente un projet loi des finances où toutes ces questions sont précisées. C’est, par la suite, aux députés, pour lesquels nous avons voté, d’apporter des amendements qu’ils jugeraient nécessaires. D’ailleurs, le vote du projet de loi des finances est le principal acte législatif des députés.
Si la fixation des taux d’imposition et l’allocation des ressources ainsi collectées ne sont pas faites de manière qui nous soit satisfaisante, c’est de notre faute, parce que cela voudrait dire que nous avons mal voté. Ainsi va la démocratie.
 
- Tu en as fini avec ta leçon sur la citoyenneté ? Quand des femmes comme la mienne font des vidéos qu’elles diffusent sur Youtube, c’est juste pour aider à boucler les fins de mois difficiles. D’ailleurs, ce n’est pas un travail et les revenus sont fluctuants, cela dépend du nombre de « vues » cumulé par les vidéos.
 
- A partir du moment ou il y a réalisation d’un revenu ou de recettes, il y a imposition, peu importe de quoi tu qualifies l’activité génératrice. Par contre, je pense bien que la nouvelle taxation ne sera appliquée qu’à partir d’un certain seuil.
 
- Ma femme commence à se demander si elle ne doit pas cesser de diffuser des vidéos sur Youtube à partir du moment où ses maigres revenus risquent d’être taxés. Les gens seront privés de ses recettes de cuisine.
 
- Personnellement, je me pose plutôt la question de savoir si la prochaine loi des finances ne va pas comporter une sous-rubrique du volet recettes intitulée « routini al yaoumi ».





Ahmed Naji
Journaliste par passion, donner du relief à l'information est mon chemin de croix. En savoir plus sur cet auteur
Jeudi 25 Mai 2023

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